Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages (1818).

L’Infortuné Barnet

« Downe laissa son regard tomber sur les rideaux rouges qui pendaient derrière les vitres et renvoyaient leur vive couleur sur leurs visages. À ce moment passa dans la rue une grande femme à l’air imposant, que l’homme d’affaires reconnut pour être la femme de Barnet. Barnet l’avait reconnue aussi et se détourna.
– Tout cela s’arrangera un jour, dit Downe, avec une sympathie qui voulait être enjouée.
[…]
– Vous, vous pouvez croire que tout s’arrangera, dit Barnet. Moi, je suis d’une autre opinion… Non, Downe, il faut voir les choses telles qu’elles sont. Ni pavot, ni mandragore… »

L’Infortuné Barnet (Fellow-townsmen) a été publié en 1880 par l’auteur de Tess d’Urbervilles et de Jude l’Obscur. Thomas Hardy y dépeint avec sa délicatesse et sa subtilité si particulières les sentiments de Barnet, malheureux en ménage mais secrètement amoureux de Lucy Saville.

C’est aussi une réflexion mélancolique sur la force du destin, qui s’évertue à rapprocher ou à éloigner les êtres qui s’aiment.

Traduction : Cecil Georges-Bazil (1891-1926). Publié dans le journal Le Peuple en 1921.

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Illustration :

Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages (1818).

Références musicales :
Johannes Brahms, Symphony No. 2 in D Major, Op. 73 – 02 – Adagio non troppo, interprétée par le Czech National Symphony Orchestra (domaine public).
Licence d'utilisation : Réutilisation du livre audio soumise à autorisation préalable.
Livre audio gratuit ajouté le 30/08/2022.

33 Commentaires

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  1. Il y a deux jours, le 27, je vous ai mis un mot, réponse à votre réponse en quelque sorte, juste pour dire que votre expression  désespoir résigné  me semblait exactement adaptée aux personnages et pour vous remercier de l’illustration de Kaspar David Friedrich, peintre que j’aime depuis longtemps. J’ai vu apparaître mon message MAIS il a immédiatement disparu, ainsi qu’un autre sur Lizzie Blakestone. Depuis ce moment les commentaires sont bloqués au 27 et je ne peux plus en voir aucun. J’ai essayé sans succès d’avoir recours au secours technique. C’est pourquoi je me permets de faire appel à vous pour obtenir de l’aide, si toutefois j’arrive à poster ce message…

  2. “Désespérément solitaires”, c’est exactement comme vous le dites. En tout cas une belle lecture et merci pour le Kaspar David Friedrich, peintre que j’ai toujours aimé.

  3. Bonjour Vincent, merci pour votre belle lecture, je connaissais mal Thomas Hardy avant de me plonger avec le plus grand intérêt dans son univers sur ce site. En écoutant Tess on peut avoir l’idée que l’auteur s’en prend aux structures sociales patriarcales et puritaines mais avec le pauvre Barnet, on voit bien que la condamnation est plus profonde, comme la malédiction du péché originel. Quoi que fassent les pauvres humains il n’y a aucun salut pour eux. Ils se trompent, ils s’égarent, leurs décisions semblent absurdes. Et ce que je trouve fascinant c’est que cette misère humaine soit insérée dans le cadre splendide de lacs et de montagnes. Toute la beauté et la lumière vont à la nature, d’essence poétique et lumineuse. L’homme est dans les ténèbres. Thomas Hardy ne serait pas croyant, d’après ce que j’ai lu, mais je trouve sa vision du monde radicalement religieuse, calviniste ou pascalienne : l’homme n’a pas la grâce….

    1. Bonjour Sylvie, je crois que vous avez raison, les personnages de Thomas Hardy sont souvent maudits et un destin funeste plane sur eux. On le voit dans ce beau petit livre, où les occasions manquées sont légion, où les personnages restent, au fond, désespérément solitaires.
      Je trouve aussi que Hardy parvient, dans ce roman pourtant très court, à mettre en mouvement tout un petit monde qu’on n’a pas envie de quitter. Les personnages sont attachants dans leur désespoir résigné, et je trouve que le texte, bien que pessimiste, n’est pas désespérant.
      Au plaisir de retrouver bientôt vos fines analyses 🙂 !

  4. Un immense merci, cher Vincent de l’Épine, pour votre lecture – elles sont toujours tellement justes et sensibles – de ce roman de T. Hardy, auteur que je découvre tardivement, mais avec un très, très grand intérêt.

    1. Ah, Suz, quel malheur, je ne vois que maintenant votre message, près d’un an après ! Lirez-vous cette réponse ? Essayons quand même… Heureux de contribuer à vous faire découvrir ce grand auteur, qu’on résume généralement à un seul roman, même si c’est une oeuvre majeure. Merci pour vos remarques sur ma lecture, elles m’encouragent à persévérer.

  5. Bonjour Vincent de l’Epine,
    Merci pour cette lecture. Le texte n’était pas trop long et s’est écouté facilement, j’y ai trouvé un certain suspens.
    Le titre est bien adapté, Barnet fait vraiment face à l’adversité !
    Effectivement, l’épisode cauchemardesque du démantèlement du cimetière a dû marquer cet auteur, la mort est très présente dans ses textes (souvent une mort subite). D’autres événements personnels ont dû l’affecter.
    On note aussi les thématiques du devoir, de la droiture, de l’expiation, et les réactions inattendues de protagonistes sur lesquelles on n’a pas de prise (une certaine absurdité ?).
    A bientôt sur L. A.,

    1. Merci, Ribambelle,
      En effet, pour une fois, je trouve le titre plus adapté que le titre original, “Fellow-townsmen”, qui peut se traduire par “concitoyens” ou quelque chose d’approchant. Vous avez raison aussi, il y a toujours chez Hardy le sceau de la fatalité et des évènements tragiques. Il y a toujours beaucoup de douleur chez cet auteur, mais beaucoup de sensibilité aussi, c’est pourquoi il est aussi attachant. On ne peut que regretter qu’aussi peu de textes soient libres de droit en français… même si la date de libération de la traduction de “Jude l’Obscur” s’approche tout doucement (ce sera pour 2028).
      Merci de votre retour, très précieux et pertinent comme toujours !

  6. Merci cher Vincent, pour cette belle lecture.
    Votre voix rend parfaitement les déchirements que l’on devine dans l’esprit torturé de l’infortuné Barnet. J’ai ressenti en vous écoutant, sa droiture, sa difficulté à exposer clairement ses sentiments, et sa gaucherie aux moments les plus cruciaux de son existence.
    Une belle histoire triste, très bien servie par une lecture toujours juste.

    1. Merci Luc ! je suis très sensible à votre petit mot et très heureux que cette lecture vous ait plu. Le personnage de Barnet est très touchant, avec ses faiblesses particulièrement humaines, dans ces fameux ‘moments cruciaux’ de son existence. Thomas Hardy est un auteur particulièrement subtil dans sa peinture de l’âme humaine, et sait rendre toujours ses personnages émouvants. Au plaisir de vous retrouver !

  7. Merci pour cette belle lecture. Quel pessimisme tout de même ! J’ai lu dans la biographie de Thomas Hardy qu’il avait fait des études d’architecture et fut chargé ensuite de superviser le démantèlement du cimetière de l’église St Pancras pour permettre l’édification de la future gare éponyme. Pendant un an, nuit après nuit, il a fallu exhumer les restes de 88 000 défunts et les ensevelir dans une fosse commune. Il paraît qu’il est ressorti traumatisé par cette épreuve. Il a alors abandonné ses études et quitté définitivement Londres.
    Je me demande si cette expérience traumatisante n’est pas fondatrice de son œuvre. Tous ces morts qui ont fini dans une fosse commune !

    1. Merci Ahikar pour votre retour. Personnellement, venant de relire “Jude l’obscur”, je trouve que ce petit roman de Hardy est presque optimiste :-). Il est vrai que cette noirceur est une constante dans son oeuvre. J’ignorais la partie de sa biographie que vous citez, mais probablement, cette expérience a participé à sa construction en tant qu’être humain, et donc en tant qu’écrivain… on ne peut pas sortir intact d’une telle épreuve.
      Merci de cette précision érudite !

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