Simone Weil à Baden-Baden (1921)

Remarques sur le nouveau projet de constitution (1943)

«« La souveraineté réside dans la nation. »

De quelque manière qu’on retourne cette phrase, je défie qu’on lui trouve aucun sens. Est-ce une affirmation de fait ? Jamais dans l’histoire connue, ni dans la préhistoire autant qu’on la devine, il n’y a eu de nation souveraine. Veut-on affirmer ce qui est désirable ? il n’est pas désirable que la nation soit souveraine, mais uniquement la justice. »

Simone Weil, Remarques sur le nouveau projet de constitution (1943).

La situation politique produite par les élections législatives 2022 en France invite à une réflexion libre sur les constitutions. Considération intempestive au cœur de l’histoire d’hier et d’aujourd’hui, le petit texte de Simone Weil qu’on va entendre mérite d’être lu attentivement. Partant d’une critique radicale de l’idole de la souveraineté de la nation et d’une critique des partis politiques, il libère la pensée de nombreux préjugés, pour préparer une véritable réflexion politique sur la responsabilité dans l’exercice des pouvoirs.

En 1943, nul ne peut savoir si les Alliés auront la victoire finale contre l’Axe. Au cœur de la guerre, dans ce climat d’incertitude, installés à Londres avec le général de Gaulle, les résistants de la France Libre nourrissent, certes, l’espoir de la victoire. Dans ce contexte, la préoccupation politique est celle de savoir quelle constitution préparer pour reconstruire le pays après la victoire voulue. Faut-il reprendre la constitution de la IIIème République et ses principes ? Faut-il juste la modifier légèrement ou revoir tout de fond en comble et proposer autre chose ? Un bureau est spécialement chargé de réfléchir à la reconstruction de la France après l’occupation allemande et le gouvernement de Vichy, après les destructions matérielles du pays et, au total, sa ruine spirituelle.

À Londres, Simone Weil participe aux travaux de ce bureau. Elle y rédige en même temps, la même année, plusieurs de ses grands textes politiques : la Note sur la Suppression Générale des Partis Politiques, La Personne et le Sacré et L’Enracinement. Dans les Remarques sur le nouveau projet de constitution, elle formule des critiques radicales à l’encontre du projet imaginé (qui donnera en gros la IVème république, quasi copie de la constitution de la IIIème). Ce que la philosophe propose au contraire c’est un changement complet de principe et d’horizon. Ne raisonnant que secondairement en termes de contrôle mutuel des pouvoirs, l’élève d’Alain appuie sa réflexion sur l’exigence fondamentale de justice, qui ne se réduit pas à l’application des lois mais qui consiste selon elle dans un véritable acte de penser : juger en équité, qui est au fond l’acte de responsabilité qui incombe à chacun, qu’il soit magistrat, législateur ou membre du gouvernement. Il s’agit, pour elle, de penser un régime qui permette à des individus de se soucier attentivement et en toute responsabilité du bien public et de la justice. Le préalable à l’existence d’un tel régime c’est la rupture franche avec la notion de souveraineté de la nation (ou de souveraineté du peuple) (notion admise sans précaution encore aujourd’hui de l’extrême droite à l’extrême gauche, en passant par le centre) ainsi qu’une rupture non moins audacieuse avec l’institution des partis politiques.


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Livre audio gratuit ajouté le 01/07/2022.

2 Commentaires

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  1. Bonjour chère Bruissement, vous résumez très bien la position du problème politique pour Simone Weil. J’ai posté un deuxième texte aujourd’hui où elle formule justement quelques idées importantes pour lune constitution. Merci pour votre commentaitre

  2. Vouloir gouverner ou légiférer en vue du bien commun…est un préalable… qui ne semble pas exister de nos jours au sein de nos gouvernants et parlementaires!
    Pourtant il serait passionnant d’étudier une constitution qui tendrait à y parvenir.
    Merci pour votre lecture, cher Ludovic.

Lu par Ludovic CoudertVoir plus

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