« Je voudrais bien, dit-le député, mériter tous ces compliments, mais, dans les succès que j’ai pu remporter, ni la raison, ni le jugement, ni cette petite portion d’intelligence que vous m’attribuez n’entrèrent pour rien. Que fallait-il ? Plaire, et sinon à tous, du moins au plus grand nombre. Donc cacher avec soin ce qui élève et distingue. Donner au plus petit député l’impression que je suis son frère affectueux et dévoué. N’être pas fier, la grande règle de notre démocratie, où l’on pardonne tout au bon garçon. Ne jamais examiner une question sous son aspect éternel, mais la réduire toujours à un intérêt : intérêt de parti, intérêt de groupe, intérêt d’un arrondissement ou d’un homme. C’est dans les dictionnaires seulement que la politique est l’art de gouverner la Cité. En réalité, elle consiste à séduire une assemblée par des moyens qui sont à peu près ceux d’un paysan qui vend sa vache à la foire. La moindre ruse y suffit, et une connaissance sommaire des hommes et des circonstances.
Et l’homme le plus sot peut gouverner, à condition qu’il ait des choses une vue directe et simple. Il y a eu au pouvoir des hommes intelligents, je n’en disconviens pas. Mais ils ne s’y étaient élevés que par des procédés fort médiocres, et ne s’y sont maintenus que par des pratiques extrêmement faciles. Leur intelligence ne les aidait pas, et au contraire leur nuisait. Il ne faut pas en politique beaucoup d’idées ; elles gênent et encombrent. Il ne faut même pas beaucoup de formules. Pendant des années, il a suffi de dire aux députés : « Je suis un républicain de gauche. » Cette expression a vieilli. Mieux vaut la remplacer aujourd’hui par celle-ci : « Je suis un démocrate sincère. » Grâce à ce talisman, vous passez au travers des pièges les plus subtils. Vous tomberez, c’est entendu, car tout s’use, et il n’est pas de prestige qui puisse éternellement garder son éclat ; mais, vous tomberez « bien » ; ce qui signifie : avec la certitude de vous relever et de reprendre le pouvoir au bout de quelque temps. O divine bêtise ! tu te prélasses victorieusement dans les alcôves, et tu es assise sur tous les trônes. »
Peut-être aurez-vous envie de parcourir ce succulent Éloge de la bêtise (1925)… quatre vingt dix ans plus tard.
Louis Latzarus, l’auteur (1878-1942), est un journaliste, essayiste, biographe et romancier français, auteur de plusieurs romans policiers.
Rassurons-nous… Il n’y a pas seulement en politique que règne la bêtise !
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