En ménage,comme À vau l’eau écrit à la même époque (1882), peint l’existence sans saveur de deux anti-héros, aux idées noires, André homme de lettres inconnu et Cyprien artiste peintre qui ne vend pas ses toiles… L’un concubin et l’autre cocu provisoire, sont imbibés de préceptes pessimistes… et subissent douloureusement le ménage : certes la femme est bien utile, mais…
« Pourquoi avait-il toujours exercé des états stériles, des professions improductives comme celles de répétiteur et d’homme de lettres ? Pourquoi n’avait-il pas accepté les basses besognes de son métier, ne s’était-il point fait sérieusement journaliste ? Il avait pourtant connu des gens qui cousaient, bout à bout, des balivernes évaluées avec raison au poids de l’or, car toutes les nuits la gomme les répétait stupidement, à table, parmi les filles ! »
« André déplia a sa serviette et regarda, recueilli, la table. Près des filets luisants des couverts et des lames claires des couteaux, les assiettes mettaient sur le blanc de craie de la nappe des ronds d’un blanc plus jaune que surmontait le gris diaphane des verres traversés par des coulées de jour qui descendaient du calice dans le pied où elles s’arrêtaient scintillant en un point vif. Des salières à double compartiment s’étalaient, opposant le blanc argenté du sel au rouge tripoli du poivre anglais, à gauche et à droite des plats, tandis que près des carafes, réverbérant dans leur eau le visage bizarrement allongé des convives, le flacon mer-d’oïe d’un moutardier apparaissait, d’une couleur indécise, flottant entre le violet et le vert prune, noyé qu’il était par l’ombre tombée d’une bouteille dont le ventre réfléchissait, à son tournant, en un petit carré de lumière, le cadre croisillé de la fenêtre. »
La plume de Huysmans est une véritable caméra…
Jean Béraud, Les Buveurs d’absinthe (1908).
J’ai découvert Huysmans gràce à Houellebecq qui le cite dans son dernier roman. Quelle merveille! Quelle modernité! Merci cher René, votre voix et talent de lecteur font mouche encore une fois.