Un familier du Musée du Louvre, puisqu’il y était conservateur adjoint, avait une « âme sensible et extrême, toujours ou toute en dedans ou très loin au dehors par delà le réel. Elle croyait aux mondes intermédiaires ; et tandis qu’aucun mystère ne l’effrayait, elle avait la crainte de la vie pratique, qu’elle connaissait mal et dont elle attendait peu… C’était un cœur solitaire, d’approche difficile ».
La nuit, parfois, il venait faire des rondes au milieu des tableaux. « Pour lui, ce n’étaient pas des fantômes, mais des vivants meilleurs. S’il lui arrivait de penser aux vivants d’os et de chair, il apercevait alors ces derniers comme de ridicules automates. La vie véritable, avec toute sa puissance, respirait là, dans le noir silence de la grande galerie ; il en subissait la pression croissante. […] Il ralentissait le pas sous le regard enveloppant de la Joconde, il surprit un appel dans un souffle : « Fais ton rêve avec nous. » Plus loin, les deux vieux alchimistes de Rembrandt lurent dans leurs livres : « Nous avons les secrets de vie. » Le Charles Ier de Van Dyck murmura : « Ici l’on ressuscite et l’on règne. » Une vierge de Raphaël parla plus distinctement : « Il n’est qu’un chemin pour venir à nous. La souffrance. Tu es au bout. Viens. » Alors il se tourna vers la belle compagnie qui s’animait autour de la table, dans les Noces de Cana ; il s’écria, les mains jointes devant elle : « Oh ! recevez-moi dans votre paix éternelle. Défendez-moi contre les vivants. Je me sens vôtre, faites-moi place au milieu de vous ! » »
Eugène-Melchior de Vogüé vous révèle poétiquement dans Le Portrait du Louvre (1888) ce que le destin fit de cet étrange conservateur.
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