Portrait critique et littéraire de Molière par Sainte-Beuve.
Extrait : « Molière est du siècle où il a vécu, par la peinture de certains travers particuliers et dans l’emploi des costumes, mais il est plutôt encore de tous les temps, il est l’homme de la nature humaine. Rien ne vaut mieux, pour se donner dès l’abord la mesure de son génie, que de voir avec quelle facilité il se rattache à son siècle, et comment il s’en détache aussi ; combien il s’y adapte exactement, et combien il en ressort avec grandeur. Les hommes illustres ses contemporains, Despréaux, Racine, Bossuet, Pascal, sont bien plus spécialement les hommes de leur temps, du siècle de Louis XIV, que Molière. Leur génie (je parle même des plus vastes) est marqué à un coin particulier qui tient du moment où ils sont venus, et qui eût été probablement bien autre en d’autres temps. Que serait Bossuet aujourd’hui ? qu’écrirait Pascal ? Racine et Despréaux accompagnent à merveille le règne de Louis XIV dans toute sa partie jeune, brillante, galante, victorieuse ou sensée. Bossuet domine ce règne à l’apogée, avant la bigoterie extrême, et dans la période déjà hautement religieuse. Molière, qu’aurait opprimé, je le crois, cette autorité religieuse de plus en plus dominante, et qui mourut à propos pour y échapper, Molière, qui appartient comme Boileau et Racine (bien que plus âgé qu’eux), à la première époque, en est pourtant beaucoup plus indépendant, en même temps qu’il l’a peinte au naturel plus que personne. Il ajoute à l’éclat de cette forme majestueuse du grand siècle; il n’en est ni marqué, ni particularisé, ni rétréci; il s’y proportionne, il ne s’y enferme pas. »
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