Publié en 1914, Les Caves du Vatican est, dans tous les sens du terme, un drôle de roman.
Anthime Armand-Dubois, un athée convaincu qui se moque des dévotions de sa femme et qui mène des expériences scientifiques sur des rats, est “victime” d’une soudaine vision de la Vierge et devient un catholique acharné… Pendant ce temps, son beau-frère Julius de Baraglioul, écrivain médiocre, découvre l’existence d’un fils naturel de son père, le jeune Lafcadio, qui occupe son temps à philosopher, jouer ses décisions aux dés, et trainer avec des individus peu recommandables… L’un d’entre eux va monter une gigantesque escroquerie destinée à faire croire à de riches croyants que le Pape a été séquestré et remplacé par un faux, et à lever des fonds pour une mission secrète de sauvetage… Un second beau-frère d’Anthime, naïf et crédule, va mordre à ce dangereux hameçon…
Le ton de ce roman est grinçant, parodique, parfois bouffon ; son système narratif est d’une complexité étonnante, et les personnages, à force de conversions, de déguisements et de revirements, s’y transforment sans cesse. Des réflexions sur la liberté, l’argent, la foi, la littérature, émaillent ce récit toujours inattendu…
C’est dans ce roman qu’a lieu la scène célèbre du meurtre par “acte gratuit”:
« Un crime immotivé, continuait Lafcadio : quel embarras pour la police ! […] Ce n’est pas tant des événements que j’ai curiosité, que de moi-même. Tel se croit capable de tout, qui, devant que d’agir, recule… Qu’il y a loin, entre l’imagination et le fait !… Et pas plus le droit de reprendre son coup qu’aux échecs. Bah ! pour qui prévoirait tous les risques, le jeu perdrait tout intérêt ! (…) Là, sous la main, cette double fermeture – tandis qu’il est distrait et regarde au loin devant lui – joue, ma foi ! plus aisément encore qu’on eût cru. Si je puis compter jusqu’à douze, sans me presser, avant de voir dans la campagne quelque feu, le tapir est sauvé. Je commence : Une ; deux ; trois ; quatre ; (lentement ! lentement) cinq ; six ; sept ; huit ; neuf… Dix, un feu… »
Merci pour votre belle lecture de ce roman de Gide des plus loufoques. J’avais lu l’oeuvre autrefois et, curieusement, avec les années mon jugement n’est plus le même du tout. Certes je me suis bien amusée avec la galerie des personnages ridicules, le pape séquestré, le mari catholique naïf qui aboutit dans une maison de passe et autres inventions de l’auteur. Mais le fameux “crime gratuit” qui m’avait bluffée autrefois m’a semblé détestable. La scène, très bien écrite d’ailleurs, où le pauvre gars est balancé par la fenêtre est typique d’un certain sadisme de Gide. Et Lafcadio est parfaitement antipathique !
J’ai eu grand plaisir à l’écoute néanmoins. Bien sûr.
A bientôt (j’ai découvert un enregistrement de vous qui m’avait échappé et que j’ai la plus grande hâte d’entendre.)
Merci beaucoup, Sylve 🙂 J’aurai, comme toujours, beaucoup de plaisir à lire vos prochains commentaires. Gide est un auteur étonnant, qui aura exprimé son talent dans des genres très variés, sans peut-être jamais trouver – ou chercher ? – ce qui ferait l’unité de son oeuvre. Entre ce roman au second degré, très drôle, et remarquablement écrit, et les Nourritures Terrestres, ou des pages plus sages, comme La Porte Etroite ou Isabelle, sans compter ses écrits politiques très lucides, les faits divers dont il s’empare, etc. on sent toujours quelqu’un prêt à penser à contre-courant, y compris à contre-courant de lui-même.
Madame, ceci est un hommage, pardon un hymne à votre façon de musicaliser les mots.
J’avais été ébloui par votre interprétation de »César Birotteau«. Mais là, vous atteignez les environs du sommet.
On entre dans la joaillerie narrative. Je ne vous aime pas, Madame. —ce serait par trop malséant.
Non, c’est au-delà; presque liturgique. Je ne vous remercie pas. Non plus. Vous Êtes ce merci!
Cher ami, vous compensez très généreusement le peu d’intérêt suscité par ce livre – pourtant pétillant d’intelligence et d’humour. Je ne peux rivaliser avec vos hyperboles qui me font sourire, mais je vous remercie très sincèrement et très chaleureusement. Votre concept de “joaillerie narrative” me plaît beaucoup 🙂
Merci beaucoup 😊. Ce livre est très marquant, longtemps après sa lecture… je suis heureuse qu’il vous ait plu.
Tous ces personnages atypiques sont souvent naïfs et (ou) loufoques et pourtant cette histoire donne froid dans le dos !
Merci Pauline pour ces plus qu’agréables moments à vous écouter.
Pas très catholique, Pauline !
Cher Jean-Pierre, voici une remarque qui relève de l’acte gratuit !
Il m’en a coûté plus que vous dîtes !