« Nous étions arrivés à un des endroits les plus curieux de la route du Saint-Gothard à Altorf : c’est un défilé formé par le Galenstok et le Crispalt, rempli entièrement par les eaux de la Reuss, que j’avais vue naître la veille au sommet de la Furca, et qui, cinq lieues plus loin, mérite déjà, par l’accroissement qu’elle a pris, le nom de Géante, qu’on lui a donné. La route, arrivée à cet endroit, s’est donc heurtée contre la base granitique du Crispalt, et il a fallu creuser le roc pour qu’elle pût passer d’une vallée à l’autre. Cette galerie souterraine, longue de cent quatre-vingts pieds, et éclairée par des ouvertures qui donnent sur la Reuss, est vulgairement appelée le trou d’Un.
Après avoir fait quelques pas de l’autre côté de la galerie, je me trouvai en face du pont du Diable : je devrais dire des ponts du Diable ; car il y en a effectivement deux : il est vrai qu’un seul est pratiqué, le nouveau ayant fait abandonner l’ancien.
Je laissai ma voiture prendre le pont neuf, et je me mis en devoir de gagner, en m’aidant des pieds et des mains, le véritable pont du Diable, auquel le nouveau favori est venu voler non seulement ses passagers, mais encore son nom.
Les ponts sont tous deux jetés hardiment d’une rive à l’autre de la Reuss, qu’ils franchissent d’une seule enjambée, et qui coule sous une seule arche : celle du pont moderne a soixante pieds de haut et vingt-cinq de large ; celle du vieux pont n’en a que quarante-cinq sur vingt-deux. Ce n’en est pas moins le plus effrayant à traverser, vu l’absence des parapets.
La tradition à laquelle il doit son nom est peut-être une des plus curieuses de toute la Suisse : la voici dans toute sa pureté. »
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