(O) YVARS, Alain – Un poète des flots (sur le tableau “Nuit d’été”” de Winslow Homer)”

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      #156513
      EsperiidaeEsperiidae
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        Je vous soumets un premier texte d’Alain Yvars (deux autres suivront, dans deux autres billets séparés).

        Passionné de peinture et d’écriture, Alain Yvars a décidé de marier les deux pour nous faire découvrir les œuvres et les peintres qu’il affectionne particulièrement. Dans ses courtes nouvelles, les artistes sont, le plus souvent, replacés dans un contexte historique. On les regarde peindre et vivre.

        Le peintre Jean Devost, persuadé que la peinture n’était pas réservée qu’aux voyants, a décidé de mettre sur pied en Suisse des cours de peinture pour personnes handicapés de la vue. Il parlait de « Voir autrement ». De son côté, le Musée des Beaux-Arts de Lyon propose la découverte de ses œuvres par l’ouïe ou le toucher.

        Suivant ces exemples, Alain et moi souhaiterions proposer, à travers l’enregistrement de ces fictions, une approche différente et nouvelle de la peinture : faire découvrir quelques œuvres de grands peintres, non plus par la vision des tableaux, mais uniquement par l’intermédiaire de l’ouïe. Ainsi, il pourra arriver, par la lecture, qu’un jeu de miroir finisse par s’installer entre les œuvres et les mots, créant un dialogue imaginaire avec l’artiste.

        J'aimerais, à travers une première proposition de lecture de trois de ses textes, faire connaître aux aveugles et malvoyants, non pas essentiellement des œuvres littéraires, mais, aussi, des œuvres picturales… Je soumets donc en quelque sorte à votre appréciation, deux choses : l’idée de découverte d’œuvres picturales par l’ouïe ; l’aspect littéraire du texte en lui-même.

        Passée cette introduction, voici donc le premier texte : 



        Un poète des flots

        Winslow Homer – Nuit d’été, 1890, Musée d’Orsay, Paris





        Winslow, viens voir ! Vite !

        Cornelia ouvrit la porte et entra fougueusement dans l’atelier du peintre.

        Je t’ai déjà dit de ne jamais me déranger lorsque je travaille !

        Les soirées sont longues à cette période de l’année. Winslow aimait rester tard le soir dans l’atelier. Il ébauchait sur des toiles les dessins qu’il avait croqués sur le vif dans la journée au cours de ses promenades. Lorsqu’il lui restait du temps, les toiles terminées dans la semaine étaient reprises lentement, amoureusement, avant qu’elles ne sèchent.

        Le peintre regarda la fillette avec tendresse. Elle a bien grandi depuis l’été dernier, pensa-t-il ? Cornelia, sa nièce, la fille de son frère Charles, était en vacances chez lui depuis peu. Sa vivacité naturelle, sa spontanéité, et une petite voix fluette qui n’allait pas tarder à s’épanouir, amusaient l’artiste. Elle lui faisait penser à ces jeunes oisillons qu’il apercevait parfois au bord du nid, dans des trous de rochers le long de la côte : fragiles, mais déjà prêts à affronter la vie.

        L’artiste, célibataire endurci, appréciait cette jeune présence féminine dont les rires incessants réveillaient la grande maison perdue dans la lande. Comme chaque année, ses parents s’en étaient débarrassés : « On t’envoie à Prout’s Neck, chez ton oncle. L’air marin te fera le plus grand bien. Et, surtout, n’ennuie pas Winslow ! C’est un grand peintre, il a besoin de calme.»

        Cornelia s’approcha du chevalet et toisa Winslow en se dandinant sur un pied comme elle aimait le faire lorsqu’elle avait une pensée en tête.

        Arrête de travailler, oncle. Tu vois bien qu’il fait nuit. Tu reprendras demain matin. Allez ! Suis-moi !

        Par expérience, Winslow savait que la fillette ne le lâcherait pas tant qu’il n’aurait pas posé son matériel. Cette gamine possédait l’obstination têtue de son père. De toute façon, elle avait raison, l’obscurité était tombée et il ne distinguait plus les couleurs sur sa palette.

        Que se passe-t-il de si important ? Tu es entrée comme une furie. As-tu croisé un fantôme… ou le diable ?

        Oncle, cela se passe à la crique rocheuse, face à la mer. Il n’y a jamais personne habituellement… Mais ce soir…

        Des rochers ! Tu me déranges en pleine nuit pour aller voir des rochers ! Ta journée passée à courir comme une folle le long de la côte t’a fatiguée, ma fille. Tu ferais mieux d’aller te coucher. Et moi aussi…

        Cornelia attrapa la main de son oncle d’un geste ferme et l’entraîna sans dire un mot.

        Winslow maugréa tout le long du chemin sinueux qui descendait vers la mer. Il marchait derrière Cornelia. Sa jupe, cintrée aux hanches, laissait deviner des formes nouvelles qu’il n’avait pas encore remarquées. Il se fit la réflexion que sa nièce devenait une jeune fille. Reviendrait-elle le voir l’année prochaine ? Cette région sauvage de l’Etat du Maine avec ses longues côtes déchiquetées et désertes était peu souriante pour une adolescente qui avait besoin de s’amuser. Occupé toute la journée à croquer la nature environnante, il n’avait guère le temps de s’occuper d’elle.

        L’océan craquait bruyamment. Dans cette région, le climat, d’une grande rudesse une bonne partie de l’année, s’était offert une soirée d’une douceur exceptionnelle. La lune, gros phare immobile dans le ciel noir, allumait sur les flots des lueurs scintillantes. Les vagues se soulevaient, balançaient, hésitaient un instant, immobiles, puis se cassaient en se fracassant sur les énormes rochers. Des jets d’écume giclaient en l’air.

        Le spectacle était grandiose. La mer était éclairée comme en plein jour. Près du bord, une main invisible agitait l’eau bleutée de tremblements argentés qui se dissolvaient dans les vagues sombres, puis réapparaissaient plus loin dans un mouvement ondulatoire. Ombres chinoises, les silhouettes de quelques personnes assises sur les rochers se détachaient dans la lumière.

        Winslow contemplait la scène d’un oeil gourmand. Il appréciait en connaisseur chaque nuance de cette étendue liquide qui l’attirait et l’éblouissait.

        Regarde !

        D’un geste du bras, Cornelia indiqua un grand espace aménagé en terrasse face à la mer. Deux silhouettes fantomatiques semblaient soudées l’une à l’autre : taches floues baignées d’ombre et de lumière.

        Un violon jouait une musique entraînante. Winslow et Cornelia s’approchèrent et s’assirent dans l’herbe.

        Vue de près, les taches se transformaient en jeunes filles. Etroitement enlacées, elles dansaient le long du rivage. Leurs longues robes flottaient autour d’elles, les unissant dans un même drapé.

        Que faisait-elle à cette heure à tourner dans cette lumière crépusculaire, se demanda Winslow ?

        Alors, oncle ! N’est-ce pas beau ?

        Winslow ne répondit pas. L’impression visuelle était saisissante. L’océan, comme mu par une force incontrôlable, semblait accompagner les danseuses. Les vagues se soulevaient et redescendaient au même rythme que la musique. Une tendre  complicité reliait les puissances de la nature à deux jeunes filles tourbillonnant indéfiniment.

        Alors, oncle, insista Cornelia !

        C’est…

        Le peintre fouilla dans sa poche. Il sortit le carnet de croquis qui ne le quittait jamais. Il fallait faire vite.

        Les jeunes femmes, les yeux fermés, étaient seules au monde, transfigurées. Une grâce intérieure irradiait leurs visages. Derrière elles, une vague énorme monta dans le ciel, puis s’élargit d’une auréole d’écume au-dessus de leurs têtes.

        Winslow savait qu’il tenait le tableau de sa vie. En dessinant, il s’efforçait d’imprégner son cerveau des couleurs, de la lumière, des courbes des femmes, qu’il reproduirait le lendemain sur la toile. Retrouverait-il un jour une image d’une telle puissance poétique ?

        Brusquement, le violon cessa de jouer. Le couple continua à tourner un long moment. Puis les yeux s’éveillèrent, les pas ralentirent et se bloquèrent. Comme à regret, les femmes se désunirent.

        L’arrêt de la musique dérégla le mécanisme harmonieux des vagues. Perturbées, elles finirent par reprendre leur mouvement naturel. Winslow rangea son carnet. Il attira sa nièce vers lui et l’embrassa affectueusement.

        Cornelia… Merci… Je n’oublierai jamais l’image que tu m’as offerte.

        La fillette regardait son oncle, émue et heureuse.

        Winslow murmura :

        La poésie, Cornelia… La poésie…

        #156516
        CocotteCocotte
        Participant

          O

          #156523

          O

          #156525
          Prof. TournesolProf. Tournesol
          Participant

            O

            C'est très beau. Sourire

            #156529
            PlumePlume
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              O

              pour ce projet original !

              #156533
              PommePomme
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