VERLAINE, Paul – Poésies

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  • #146210
    VictoriaVictoria
    Participant

      VERLAINE, Paul – Poésies

      A la promenade – (Fêtes Galantes)



      Le ciel si pâle et les arbres si grêles
      Semblent sourire à nos costumes clairs
      Qui vont flottant légers avec des airs
      De nonchalance et des mouvements d’ailes.

      Et le vent doux ride l’humble bassin,
      Et la lueur du soleil qu’atténue
      L’ombre des bas tilleuls de l’avenue
      Nous parvient bleue et mourante à dessein.

      Trompeurs exquis et coquettes charmantes,
      Coeurs tendres mais affranchis du serment,
      Nous devisons délicieusement,
      Et les amants lutinent les amantes
      De qui la main imperceptible sait
      Parfois donner un souffle qu’on échange
      Contre un baiser sur l’extrême phalange
      Du petit doigt, et comme la chose est
      Immensément excessive et farouche,
      On est puni par un regard très sec,
      Lequel contraste, au demeurant, avec
      La moue assez clémente de la bouche.

      #146211
      VictoriaVictoria
      Participant

        Art poétique – (Jadis et naguère)


        De la musique avant toute chose,
        Et pour cela préfère l’Impair
        Plus vague et plus soluble dans l’air,
        Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

        Il faut aussi que tu n’ailles point
        Choisir tes mots sans quelque méprise :
        Rien de plus cher que la chanson grise
        Où l’Indécis au Précis se joint.

        C’est des beaux yeux derrière des voiles,
        C’est le grand jour tremblant de midi,
        C’est, par un ciel d’automne attiédi,
        Le bleu fouillis des claires étoiles !

        Car nous voulons la Nuance encor,
        Pas la Couleur, rien que la nuance !
        Oh ! la nuance seule fiance
        Le rêve au rêve et la flûte au cor !

        Fuis du plus loin la Pointe assassine,
        L’Esprit cruel et le Rire impur,
        Qui font pleurer les yeux de l’Azur,
        Et tout cet ail de basse cuisine !

        Prends l’éloquence et tords-lui son cou !
        Tu feras bien, en train d’énergie,
        De rendre un peu la Rime assagie.
        Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?

        O qui dira les torts de la Rime ?
        Quel enfant sourd ou quel nègre fou
        Nous a forgé ce bijou d’un sou
        Qui sonne creux et faux sous la lime ?

        De la musique encore et toujours !
        Que ton vers soit la chose envolée
        Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
        Vers d’autres cieux à d’autres amours.

        Que ton vers soit la bonne aventure
        Eparse au vent crispé du matin
        Qui va fleurant la menthe et le thym…
        Et tout le reste est littérature.

        #146212
        VictoriaVictoria
        Participant

          Avant que tu ne t’en ailles – (La Bonne chanson)


          Avant que tu ne t’en ailles,
          Pâle étoile du matin,
          – Mille cailles
          Chantent, chantent dans le thym. -

          Tourne devers le poète,
          Dont les yeux sont pleins d’amour;
          – L’alouette
          Monte au ciel avec le jour. -

          Tourne ton regard que noie
          L’aurore dans son azur;
          – Quelle joie
          Parmi les champs de blé mûr ! -

          Puis fais luire ma pensée
          Là-bas – bien loin, oh, bien loin !
          – La rosée
          Gaîment brille sur le foin. -

          Dans le doux rêve où s’agite
          Ma mie endormie encor…
          – Vite, vite,
          Car voici le soleil d’or. -

          #146213
          VictoriaVictoria
          Participant

            Bon chevalier masqué qui chevauche en silence – (Sagesse)


            Bon chevalier masqué qui chevauche en silence,
            Le Malheur a percé mon vieux coeur de sa lance.

            Le sang de mon vieux coeur n’a fait qu’un jet vermeil,
            Puis s’est évaporé sur les fleurs, au soleil.

            L’ombre éteignit mes yeux, un cri vint à ma bouche
            Et mon vieux coeur est mort dans un frisson farouche.

            Alors le chevalier Malheur s’est rapproché,
            Il a mis pied à terre et sa main m’a touché.

            Son doigt ganté de fer entra dans ma blessure
            Tandis qu’il attestait sa loi d’une voix dure.

            Et voici qu’au contact glacé du doigt de fer
            Un coeur me renaissait, tout un coeur pur et fier

            Et voici que, fervent d’une candeur divine,
            Tout un coeur jeune et bon battit dans ma poitrine !

            Or je restais tremblant, ivre, incrédule un peu,
            Comme un homme qui voit des visions de Dieu.

            Mais le bon chevalier, remonté sur sa bête,
            En s’éloignant, me fit un signe de la tête

            Et me cria (j’entends encore cette voix) :
            ” Au moins, prudence ! Car c’est bon pour une fois.

            #146214
            VictoriaVictoria
            Participant

              C’est l’extase langoureuse – (Romances sans paroles)


              C’est l’extase langoureuse,
              C’est la fatigue amoureuse,
              C’est tous les frissons des bois
              Parmi l’étreinte des brises,
              C’est, vers les ramures grises,
              Le choeur des petites voix.

              O le frêle et frais murmure !
              Cela gazouille et susurre,
              Cela ressemble au cri doux
              Que l’herbe agitée expire…
              Tu dirais, sous l’eau qui vire,
              Le roulis sourd des cailloux.

              Cette âme qui se lamente
              En cette plainte dormante,
              C’est la nôtre, n’est-ce pas ?
              La mienne, dis, et la tienne,
              Dont s’exhale l’humble antienne
              Par ce tiède soir, tout bas ?

              #146215
              VictoriaVictoria
              Participant

                Chanson d’automne – (Poèmes saturniens)


                Les sanglots longs
                Des violons
                De l’automne
                Blessent mon coeur
                D’une langueur
                Monotone.

                Tout suffocant
                Et blême, quand
                Sonne l’heure,
                Je me souviens
                Des jours anciens
                Et je pleure

                Et je m’en vais
                Au vent mauvais
                Qui m’emporte
                Deçà, delà,
                Pareil à la
                Feuille morte.

                #146216
                VictoriaVictoria
                Participant

                  Chevaux de bois – (Romances sans paroles)


                  Tournez, tournez, bons chevaux de bois,
                  Tournez cent tours, tournez mille tours,
                  Tournez souvent et tournez toujours,
                  Tournez, tournez au son des hautbois.

                  Le gros soldat, la plus grosse bonne
                  Sont sur vos dos comme dans leur chambre,
                  Car en ce jour au bois de la Cambre
                  Les maîtres sont tous deux en personne.

                  Tournez, tournez, chevaux de leur coeur,
                  Tandis qu’autour de tous vos tournois
                  Clignote l’oeil du filou sournois,
                  Tournez au son du piston vainqueur.

                  C’est ravissant comme ça vous soûle
                  D’aller ainsi dans ce cirque bête :
                  Bien dans le ventre et mal dans la tête,
                  Du mal en masse et du bien en foule.

                  Tournez, tournez sans qu’il soit besoin
                  D’user jamais de nuls éperons
                  Pour commander à vos galops ronds,
                  Tournez, tournez, sans espoir de foin

                  Et dépêchez, chevaux de leur âme :
                  Déjà voici que la nuit qui tombe
                  Va réunir pigeon et colombe
                  Loin de la foire et loin de madame.

                  Tournez, tournez ! le ciel en velours
                  D’astres en or se vête lentement.
                  Voici partir l’amante et l’amant.
                  Tournez au son joyeux des tambours !

                  #146217
                  VictoriaVictoria
                  Participant

                    Clair de lune – (Fêtes galantes)


                    Votre âme est un paysage choisi
                    Que vont charmant masques et bergamasques
                    Jouant du luth et dansant et quasi
                    Tristes sous leurs déguisements fantasques.

                    Tout en chantant sur le mode mineur
                    L’amour vainqueur et la vie opportune,
                    Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
                    Et leur chanson se mêle au clair de lune,

                    Au calme clair de lune triste et beau,
                    Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
                    Et sangloter d’extase les jets d’eau,
                    Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.

                    #146218
                    VictoriaVictoria
                    Participant

                      Colloque sentimental – (Fêtes galantes)


                      Dans le vieux parc solitaire et glacé
                      Deux formes ont tout à l’heure passé.

                      Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
                      Et l’on entend à peine leurs paroles.

                      Dans le vieux parc solitaire et glacé
                      Deux spectres ont évoqué le passé.

                      – Te souvient-il de notre extase ancienne?
                      – Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne?

                      – Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
                      Toujours vois-tu mon âme en rêve? – Non.

                      Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
                      Où nous joignions nos bouches ! – C’est possible.

                      – Qu’il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir !
                      – L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

                      Tels ils marchaient dans les avoines folles,
                      Et la nuit seule entendit leurs paroles.

                      #146219
                      VictoriaVictoria
                      Participant

                        Croquis parisien – (Poèmes saturniens)


                        La lune plaquait ses teintes de zinc
                        Par angles obtus.
                        Des bouts de fumée en forme de cinq
                        Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.

                        Le ciel était gris. La bise pleurait
                        Ainsi qu’un basson.
                        Au loin, un matou frileux et discret
                        Miaulait d’étrange et grêle façon.

                        Moi, j’allais, rêvant du divin Platon
                        Et de Phidias,
                        Et de Salamine et de Marathon,
                        Sous l’oeil clignotant des bleus becs de gaz.

                        #146220
                        VictoriaVictoria
                        Participant

                          Ecoutez la chanson bien douce – (Sagesse)


                          Ecoutez la chanson bien douce
                          Qui ne pleure que pour vous plaire,
                          Elle est discrète, elle est légère :
                          Un frisson d’eau sur de la mousse !

                          La voix vous fut connue (et chère ?)
                          Mais à présent elle est voilée
                          Comme une veuve désolée,
                          Pourtant comme elle encore fière,

                          Et dans les longs plis de son voile,
                          Qui palpite aux brises d’automne.
                          Cache et montre au coeur qui s’étonne
                          La vérité comme une étoile.

                          Elle dit, la voix reconnue,
                          Que la bonté c’est notre vie,
                          Que de la haine et de l’envie
                          Rien ne reste, la mort venue.

                          Elle parle aussi de la gloire
                          D’être simple sans plus attendre,
                          Et de noces d’or et du tendre
                          Bonheur d’une paix sans victoire.

                          Accueillez la voix qui persiste
                          Dans son naïf épithalame.
                          Allez, rien n’est meilleur à l’âme
                          Que de faire une âme moins triste !

                          Elle est en peine et de passage,
                          L’âme qui souffre sans colère,
                          Et comme sa morale est claire !…
                          Ecoutez la chanson bien sage.

                          #146221
                          VictoriaVictoria
                          Participant

                            Green – (Romances sans paroles)


                            Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
                            Et puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous.
                            Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
                            Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux.

                            J’arrive tout couvert encore de rosée
                            Que le vent du matin vient glacer à mon front.
                            Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
                            Rêve des chers instants qui la délasseront.

                            Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
                            Toute sonore encore de vos derniers baisers ;
                            Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête,
                            Et que je dorme un peu puisque vous reposez.

                            #146222
                            VictoriaVictoria
                            Participant

                              J’ai presque peur, en vérité – (La Bonne chanson)


                              J’ai presque peur, en vérité,
                              Tant je sens ma vie enlacée
                              A la radieuse pensée
                              Qui m’a pris l’âme l’autre été,

                              Tant votre image, à jamais chère,
                              Habite en ce coeur tout à vous,
                              Mon coeur uniquement jaloux
                              De vous aimer et de vous plaire ;

                              Et je tremble, pardonnez-moi
                              D’aussi franchement vous le dire,
                              A penser qu’un mot, un sourire
                              De vous est désormais ma loi,

                              Et qu’il vous suffirait d’un geste.
                              D’une parole ou d’un clin d’oeil,
                              Pour mettre tout mon être en deuil
                              De son illusion céleste.

                              Mais plutôt je ne veux vous voir,
                              L’avenir dût-il m’être sombre
                              Et fécond en peines sans nombre,
                              Qu’à travers un immense espoir,
                              Plongé dans ce bonheur suprême
                              De me dire encore et toujours,
                              En dépit des mornes retours,
                              Que je vous aime, que je t’aime !

                              #146223
                              VictoriaVictoria
                              Participant

                                L’Heure exquise – (La Bonne chanson)


                                La lune blanche
                                Luit dans les bois ;
                                De chaque branche
                                Part une voix
                                Sous la ramée …

                                Ô bien-aimée.

                                L’étang reflète,
                                Profond miroir,
                                La silhouette
                                Du saule noir
                                Où le vent pleure …

                                Rêvons, c’est l’heure.

                                Un vaste et tendre
                                Apaisement
                                Semble descendre
                                Du firmament
                                Que l’astre irise …

                                C’est l’heure exquise.

                                #146224
                                VictoriaVictoria
                                Participant

                                  La Vie humble aux travaux ennuyeux et faciles – (Sagesse)


                                  La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles
                                  Est une oeuvre de choix qui veut beaucoup d’amour.
                                  Rester gai quand le jour, triste, succède au jour,
                                  Etre fort, et s’user en circonstances viles,

                                  N’entendre, n’écouter aux bruits des grandes villes
                                  Que l’appel, ô mon Dieu, des cloches dans la tour,
                                  Et faire un de ces bruits soi-même, cela pour
                                  L’accomplissement vil de tâches puériles,

                                  Dormir chez les pêcheurs étant un pénitent,
                                  N’aimer que le silence et converser pourtant,
                                  Le temps si grand dans la patience si grande,

                                  Le scrupule naïf aux repentirs têtus,
                                  Et tous ces soins autour de ces pauvres vertus !
                                  – Fi, dit l’Ange Gardien, de l’orgueil qui marchande !

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