Accueil › Forums › Textes contemporains › (O) CABOT, Thierry – Poèmes (Sélection 7)
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- 9 mars 2019 à 6h00 #1448629 mars 2019 à 6h00 #161719
6 (magnifiques ?) poèmes contemporains de notre ami Thierry Cabot :
Avant de t’endormir…
Avant de t’endormir, pose tes mains de soie
Longtemps sur mes cheveux déjà lourds de sommeil.
Laisse, laisse tes mains pour que l’amour s’assoie
Au bord de ce lit chaud vêtant son drap vermeil.
La nuit mêlée à nous monte comme une offrande ;
La lune en demi-teinte irise le balcon ;
Et dans les jeux du cœur, afin qu’elle se rende,
L’esprit gagne la chair d’un mouvement fécond.
Penche vers moi tes yeux dont la couleur ondule ;
Sur ma peau, fais courir ta lumineuse voix.
Onze heures… puis minuit rêvent à la pendule.
O combien je te sens ! O combien je te vois !
La lampe cajoleuse a des soupirs d’amante ;
L’étoffe des rideaux croule à longs plis secrets.
Sous tes doigts, je devine une soif qui m’aimante
Jusqu’à ne plus savoir quels en sont les attraits.
Evocation
Contre les galets blancs se déchiraient les eaux.
C’était comme une force et qui gonfle et qui roule,
Une bête allongeant ses humides naseaux
Dans le sillon d’écume entaillé par la houle.
Le soir déjà fourbu luttait avec le jour,
Et la nuit violette à peine encline à naître
Laissait juste entrevoir au fond de l’éther lourd
L’ébauche d’une forme ou d’un sanglot peut-être.
Devant les flots rageurs, elle se souvenait
De tout, de rien, du monde où s’éteint chaque fête,
Des trilles où loin, loin, un chant de sansonnet
L’avait jadis émue à s’étourdir la tête.
Elle se rappelait plus sensuellement
Les jamais, les toujours confondus sur sa lèvre.
Quand on aime, quel choc ! quel éblouissement !
Le moindre soleil bu nous donne un peu la fièvre.
Tant d’images montaient face à la mer en deuil ;
Vagues de souvenirs à l’assaut d’autres vagues ;
Tout se mêlait sans cesse et tout en un clin d’œil
Se chargeait de rumeurs nostalgiques et vagues.
Frisson, fatigue, doute ; au moins quatre-vingts ans
Contemplaient le flux noir échappé vers le large.
Alors les doigts bleuis, alors les bras pesants,
Elle essuya des pleurs, noble, d’un geste large.
Les moments poétiques
Quand je m’abîmerai dans l’exil du grand âge,
A l’heure où la nuit même enlaidira mon teint,
Lorsque pour me frapper chaque fois davantage,
Des plus jeunes que moi scelleront leur destin ;
Quand les vieux étendards aux claquements fantômes
Auront sur le sol mou fini tous en lambeaux,
Que seule célébrant la vie à pleins arômes,
La poésie oindra les hymnes les plus beaux ;
Oui quand sans déployer au ciel la moindre fable,
Une douceur jamais connue éclatera,
Une douceur profonde, enjôleuse, ineffable
Dont je m’habillerai tout à coup de l’aura ;
Lorsque enfin jusqu’à moi, lumineuses trouées,
S’éveilleront les bals du sein des temps caducs,
Que je verrai bondir leurs notes enjouées
Comme eussent reverdi les princes et les ducs ;
Alors quelques moments drapés de sortilèges
Bouillonneront fougueux à travers les ans morts,
Et triomphal parmi l’assaut des florilèges,
Le poème d’un jour vêtira ses accords.
C’est un après-midi si lointain et si proche.
Entre les murs glacés, des toux désolent l’air.
Dehors, la bise en rage un peu partout s’accroche
Aux faméliques pins distendus sous l’hiver.
Comme est laide à frémir cette salle d’attente.
Comme chaque regard tisse l’ombre et l’ennui.
Nul ne bégaie un mot, et la porte battante
Voit quelqu’un s’éloigner de temps en temps, sans bruit.
D’une rêveuse main, une assez frêle mère
Laisse mourir ses doigts jusqu’aux plis d’un berceau.
L’enfant silencieux dans la torpeur amère,
Semble dormir, soleil jouant sur le ruisseau.
Dort-il vraiment ? Tout près, quelque chose le trouble.
Le voyage là-bas s’estompe à contrecœur.
Bientôt, les yeux ouverts, le monde apparaît double
Et son bras pur s’agite, et bat son petit cœur.
Or voilà que soudain en mouvements de soie,
Les longs doigts maternels devant lui se font jour.
Aussitôt le poupon chaviré par la joie,
Lâche plein de babils délicieux d’amour.
Puis un beau rire frais venu du fond de l’âme
Baigne toute la pièce, abolit tous les sons,
Et ce rire ingénu répand si loin sa flamme
Que chacun à l’entendre y cueille des frissons.
La lumière festoie, ivre d’ail et de menthe.
A la cloche, neuf coups déchirent l’été nu.
Du lit sort un bras chaud comme une fleur aimante
Tout enlacée encore aux nœuds de l’inconnu.
Quel arrachement doux, quelle féconde brise
La tirent des îlots clairsemés du sommeil ?
Elle sent que la nuit de toutes parts se brise
Pour la mêler au jour, le front lisse et vermeil ;
Le jour dont sur son cou la timide caresse
Vient asseoir le prestige à chaque effleurement ;
Mais déjà la voici, mignonne, qui s’empresse
D’embrasser le tapis d’un jeune pied charmant.
Autour des volets clos fusent des lueurs blondes.
Près de moi, silhouette adorée, elle va,
Conjuguant l’éternel pendant quelques secondes,
Faire briller un geste inouï de diva.
Et dans le tremblement moiré de ses épaules,
Dans le voluptueux roulis de son bassin,
Comme si c’était là le plus fameux des rôles,
Le rêve flottera plus charmeur qu’un vent saint ;
Ainsi je la verrai, la nuque à la fenêtre,
Pleine d’une adorable et souple nudité,
Se fondre tout entière, à nouveau pour y naître,
Avec le fol éclat sensuel de l’été.
Elle, vingt ans à peine, hirondelle en voyage,
Montre deux yeux songeurs lourds de joyaux diffus.
S’il m’en souvient, peut-être ai-je aussi le même âge.
L’automne au coin d’un banc met des rayons confus.
Que m’offrent-ils, ces yeux habités à l’extrême,
Tel un monde sensible entrouvert tout du long ?
Ne dévoilent-ils pas quelque huit clos suprême
Où la vie eût du cœur fait jaillir le filon ?
Octobre qui jamais, jamais ne fut plus tendre,
Baise une feuille morte envolée à demi.
Elle songe si loin, sans me voir ni m’entendre,
Au point de ne goûter que l’ailleurs, son ami.
Troublantes face à moi, ses prunelles levées
Par-delà le falot, l’anodin, le banal,
Mêlent jusqu’à plus soif des fontaines rêvées
Dont s’exhale, profond, le sanglot virginal.
Elle songe… et je vole au bout de son errance,
Aux confins de sa quête, au tréfonds de ses nœuds.
Crainte, suavité, nostalgie, espérance ;
Un paysage court, changeant, vertigineux.
Et l’absente ô combien présente pour moi-même !
Livre dans ce regard, de chemin en chemin,
Toute une âme infinie animant le poème
Mystérieux et cher de l’éternel humain.
Par on ne sait quel fil, je me rappelle encore
Le souffle printanier de certain beau jeudi.
Enfants nobles et purs que la grâce décore,
Elle et moi sourions à l’éclatant midi.
Nous ne connaissons point les blessures des hommes ;
Le seul goût d’être ensemble illumine nos voix ;
Et comme rien ne peut ternir ce que nous sommes ;
Aujourd’hui, c’est demain cajolé maintes fois.
Sept ans. Pas un de plus. Que l’heure semble unique !
Le sacre nuptial approche en frissonnant.
Ma fiancée en herbe, ô feu ! me communique
De sa lèvre un peu rose, un oui tourbillonnant.
Son doigt pâle et mignon vite orné d’une bague,
Devient oiseau de cœur, caresse de l’esprit,
Et l’amour qui chez moi règne, gonfle, divague,
Parsème ses cheveux d’un arc-en-ciel fleuri.
Enfin pour la combler, rêve de tous les rêves,
Tandis que le salon flamboie avec douceur,
Que submergés sous les délices les moins brèves,
Nous humons du futur l’onctueuse épaisseur,
J’enlace à pleine main le rideau couleur neige
Où je vois notre hymen vibrer de flux ardents,
Puis en cadeau béni, lumineux sortilège,
Je lui fais une robe et l’enroule dedans.
Quatre moments surgis des flots de la mémoire…
Quatre vieilles saisons comme décor lointain…
Ma figure trouée ainsi qu’une écumoire,
Jeune, resplendira de chaque don éteint :
Un rire de bébé, l’hiver, qui nous étonne,
Un éveil somptueux se déployant, l’été,
Un regard automnal plein de fièvre gloutonne,
Un couple d’angelots qu’avril a transporté.
Pour m’être tant blessé…
Pour m’être tant blessé dans toutes les demeures,
N’ai-je pas moins de bleu que de gris ou de noir ?
A mon sein faible et nu, cogne le désespoir
Qui ne sait rien du jour, qui n’entend rien des heures.
Quelles heures ? Le temps piétina les meilleures,
Et demain tend déjà son ignoble miroir
Comme s’il me fallait de trottoir en trottoir
Ne croiser que mon ombre et mes quêtes mineures.
« J’aurais pu… j’aurais pu… » Les regrets malfaisants
Tachent de sang amer le canevas des ans ;
A ma montre il est tard et l’aiguille elle-même
Semble ne point savoir ce qui la fait courir.
Face à la brume, au deuil que chaque douleur sème,
Mon Dieu ! ce n’est plus vivre et ce n’est pas mourir.
Rêve énorme
Si faible d’une vie acculée à l’impasse,
Si fort de mes desseins géants et fabuleux,
Je me découvrirai semblable au ciel qui passe
Avec ses moutons gris, ses loups noirs, ses geais bleus.
Brisant le cadenas des pays en jachère,
Soutenu, fécondé par de nouveaux printemps,
J’agiterai ma soif ô combien la plus chère
Aux secousses d’un hymne ouvert à tous les temps.
Et comme je n’aurai plus d’âge, plus de forme,
Comme sur moi viendront se déchaîner sans fin,
Exquis, des millions d’éléments, rêve énorme,
Je me ferai matière à chaque place, enfin !
D’abord sous le feuillage empli de moiteurs chaudes,
Je serai goutte d’eau, frémissement, duvet.
Le soleil soufflera des éclats d’émeraudes
Et cheminera pur, la houle à son chevet.
Bientôt je serai fleur dans le nid de la brume,
Source dans les taillis, flamme dans le désert.
Bientôt dans les sous-bois que le désir allume,
Je serai fin murmure ingénument disert.
Quoi que diront les jours à l’étoile fugace,
Je serai même brise et sable et lune et flots,
Lorsque la nuit songeuse emmaillote l’espace
Et que toute ombre douce y brode maints halos.
Parmi la grâce neuve ou l’odyssée altière,
Je serai tout autant montagne au rire d’or
Qui, pleine du baiser profond de la lumière,
Explosera de fête au cœur de messidor.
Je serai… je serai tempête, déchirure,
Ecrasement boueux des plaines sans couleur
Dont se déferont l’âme ainsi que la parure
Après cent mille chocs tombés du vent hurleur.
Puis… puis, charme inconnu, presque fou, délectable,
Consumant dix coteaux, dévorant cent vallons,
Je serai lave épaisse unie au sol instable
Pour napper de sang vif les élans les plus longs.
Encore, encore là, clair poème du monde,
Je serai fleuve, mer, océan ; je serai
Onde gonflée, ô suc ! de la force de l’onde,
Eau suave toujours d’un infini secret.
Encore, encore ailleurs, jusqu’au plafond des astres,
Nu dans le firmament joyeux de refleurir,
Je serai – bleu cyclone – et naissance et désastres,
Création suprême, à mourir, à mourir.
Rêves croisés
Enjoués, souples, las, timides ou sonores,
Des pas rythment le souffle aveugle des cités.
Sur la place qui brûle et s’anime, éclatés,
Dans les regards vingt cieux filent cent métaphores.
Parmi tant de passants d’âge et de cœur divers,
Une femme, un vieil homme, une très jeune fille
Dont quelque rêve fou par saccades pétille,
Semblent ne contempler que leur propre univers.
En se croisant, pareils à des ombres fugaces,
A peine se sont-ils devinés, reconnus.
A travers six beaux yeux, trois mondes ingénus
Là magnifiquement éclairent ces trois faces.
Lequel jusqu’à plus soif hume l’être et le don ?
Quel infini choyé du fond de leurs prunelles,
A celles-ci fait voir maintes fleurs éternelles
Et comble celui-là d’un suprême abandon ?
Les voilà donc si près… si loin. L’âme candide,
O trouble ! ils boivent l’heure avec saisissement,
Tandis qu’en eux s’allume un arc-en-ciel aimant
Qui nappe de joyaux certain songe splendide.
Tourbillon, foyer pur où chacun marche seul ;
Conscience de l’un sourde à celle des autres ;
D’une envolée unique, ils se font les apôtres,
Comme si leur voyage exilait tout linceul.
9 mars 2019 à 8h34 #161720O
9 mars 2019 à 9h39 #161722O
Oui,
bien amicalement,
Christiane-Jehanne.
9 mars 2019 à 9h52 #161723O
Si faible d’une vie acculée à l’impasse,
Si fort de mes desseins géants et fabuleux,
Je me découvrirai semblable au ciel qui passe
Avec ses moutons gris, ses loups noirs, ses geais bleus.
Très beau quatrain !
Amitiés,
Ahikar
9 mars 2019 à 10h39 #161724Quelle chance pour celui ou celle qui les lira. C'est raffiné et sensible. J'aime beaucoup.
Pomme
9 mars 2019 à 13h11 #161726Très beau en effet !
O
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