SÉNÈQUE – Sur le végétarisme

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      Augustin BrunaultAugustin Brunault
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        SÉNÈQUE – Sur le végétarisme (Extrait de la 108è Lettre à Lucilius)

        Traduction : Joseph Baillard.



        […] Puisque je t'ai commencé l'histoire des premières ferveurs de ma jeunesse philosophique, suivies des tiédeurs du vieil âge, je puis sans rougir t'avouer de quel beau feu Sotion m'a enflammé pour Pythagore. Il expliquait pourquoi ce philosophe et, après lui, Sextius s'étaient abstenus de la chair des animaux. Leurs motifs à chacun différaient, mais tous deux en avaient d'admirables. Sextius pensait qu'il existe assez d'aliments pour l'homme sans qu'il verse le sang, et que la cruauté devient habitude, dès qu'on se fait du déchirement des chairs un moyen de jouissance. « Réduisons, ajoutait-il, les éléments de sensualité ; » et il finissait en disant que notre variété de mets est aussi contraire à la santé que peu faite pour le corps.

        Au dire de Pythagore, une parenté universelle lie tous les êtres, et une transmutation sans fin les fait passer d'une forme à une autre. À l'en croire, nulle âme ne périt ni même ne cesse d'agir, sauf le court moment où elle revêt une autre enveloppe. Sans chercher ici après quelles successions de temps et quels domiciles tour à tour habités, elle retourne à la forme humaine, toujours est-il que Pythagore a imprimé aux hommes l'horreur du crime et du parricide, puisqu'ils pourraient, sans le savoir, menacer l'âme d'un père ; et porter un fer ou une dent sacrilège sur cette chair où logerait un membre de leur famille.

        Après cet exposé, que Sotion enrichissait d'arguments à lui : « Tu ne crois pas, s'écriait-il, que les âmes ont des corps divers pour destinations successives, et que ce qu'on appelle mort est une transmigration ? Tu ne crois pas que chez l'animal qui broute l'herbe, chez ceux qui peuplent l'onde ou les forêts, séjourne ce qui fut l'âme d'un homme ? Tu ne crois pas que rien en ce monde ne meurt, mais change de lieu seulement ; qu'à l'exemple des corps célestes et de leurs révolutions marquées, chaque être qui respire a ses métamorphoses, chaque âme son cercle à parcourir ? Tout cela, de grands hommes l'ont cru ! Suspends donc ton jugement ; et en attendant, respecte tout ce qui a vie. Si cette doctrine est vraie, s'abstenir de la chair des animaux sera s'épargner des crimes. Si elle est fausse, ce sera frugalité. Que peux-tu perdre à me croire ? C'est une pâture de lions et de vautours que je t'arrache. » Frappé de ces discours, je m'abstins dès lors de toute nourriture animale ; et un an de ce régime me l'avait rendu facile, agréable même. Mon esprit m'en paraissait devenu plus agile ; et je ne jurerais pas aujourd'hui qu'il ne l'était point. Tu veux savoir comment j'ai arrêté ? L'époque de ma jeunesse tomba sous le principat de Tibère : on proscrivait alors des cultes étrangers ; et parmi les preuves de ces superstitions était comptée l'abstinence de certaines viandes. À la prière donc de mon père, qui craignait peu d'être inquiété, mais qui n'aimait point la philosophie, je repris mon ancienne habitude ; et il n'eut pas grand'peine à me persuader de faire meilleure chère.

        Attalus vantait aussi l'usage d'un matelas qui résiste ; tel est encore le mien à mon âge : l'empreinte du corps n'y paraît point. Tout ceci est pour te montrer quelle ardeur véhémente emporte une âme neuve vers toutes les bonnes doctrines, dès qu'on l'y exhorte, dès qu'on l'y pousse. Mais le mal et la faute viennent en partie des maîtres qui enseignent l'art de disputer, non de vivre, et en partie des disciples qui arrivent déterminés à cultiver leur esprit, sans songer à l'âme ; si bien que la philosophie n'est plus que de la philologie. […]

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