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- 20 avril 2008 à 19h20 #145824
RODENBACH, Georges – Poésies
“Béguinage flamand”
I
Au loin, le béguinage avec ses clochers noirs,
Avec son rouge enclos, ses toits d’ardoises bleues
Reflétant tout le ciel comme de grands miroirs,
S’étend dans la verdure et la paix des banlieues.
Les pignons dentelés étagent leurs gradins
Par où montent le Rêve aux lointains qui brunissent,
Et des branches parfois, sur les murs des jardins,
Ont le geste très doux des prêtres qui bénissent.
En fines lettres d’or chaque nom des couvents
Sur les portes s’enroule autour des banderoles,
Noms charmants chuchotés par la lèvre des vents ;
La maison de l’Amour, la maison des Corolles,
Les fenêtres surtout sont comme des autels
Où fleurissent toujours des géraniums roses,
Qui mettent, combinant leurs couleurs de pastels,
Comme un rêve de fleurs dans les fenêtres closes.
Fenêtres des couvents ! attirantes le soir
Avec leurs rideaux blancs, voiles de mariées,
Qu’on voudrait soulever dans un bruit d’encensoir
Pour goûter vos baisers, lèvres appariées !
Mais ces femmes sont là, le coeur pacifié,
La chair morte, cousant dans l’exil de leurs chambres ;
Elles n’aiment que toi, pâle crucifié,
Et regardent le Ciel par les trous de tes membres !
Oh ! le silence heureux de l’ouvroir aux grands murs,
Où l’on entend à peine un bruit de banc qui bouge,
Tandis qu’elles sont là, suivant de leurs yeux purs
Le sable en ruisseaux blonds sur le pavement rouge.
Oh ! le bonheur muet des vierges s’assemblant,
Et comme si leurs mains étaient de candeur telle
Qu’elles ne peuvent plus manier que du blanc,
Elles brodent du linge ou font de la dentelle.
C’est un charme imprévu de leur dire ” ma sœur “
Et de voir la pâleur de leur teint diaphane
Avec un pointillé de taches de rousseur
Comme un camélia d’un blanc mat qui se fane.
Rien d’impur n’a flétri leurs flancs immaculés,
Car la source de vie est enfermée en elles
Comme un vin rare et doux dans des vases scellés
Qui veulent, pour s’ouvrir, des lèvres éternelles !
II
Cependant quand le soir douloureux est défunt,
La cloche lentement les appelle à complies
Comme si leur prière était le seul parfum
Qui pût consoler Dieu dans ses mélancolies !
Tout est doux, tout est calme au milieu de l’enclos ;
Aux offices du soir la cloche les exhorte,
Et chacune s’y rend, mains jointes, les yeux clos,
Avec des glissements de cygne dans l’eau morte.
Elles mettent un voile à longs plis ; le secret
De leur âme s’épanche à la lueur des cierges,
Et, quand passe un vieux prêtre en étole, on croirait
Voir le Seigneur marcher dans un Jardin de Vierges !
III
Et l’élan de l’extase est si contagieux,
Et le coeur à prier si bien se tranquillise,
Que plus d’une, pendant les soirs religieux,
L’été répète encor les Ave de l’Église ;
Debout à sa fenêtre ouverte au vent joyeux,
Plus d’une, sans Ôter sa cornette et ses voiles,
Bien avant dans la nuit, égrène avec ses yeux
Le rosaire aux grains d’or des priantes étoiles !20 avril 2008 à 19h24 #145825“La lampe dans la chambre”
La lampe dans la chambre est une rose blanche
Qui s’ouvre tout à coup au jardin gris du soir ;
Son reflet au plafond dilate un halo noir
Et c’est assez pour croire un peu que c’est dimanche.
La lampe dans la chambre est une lune blanche
Qui fait fleurir dans les miroirs des nénuphars ;
On ne sait plus quel jour il est, ni s’il est tard,
Sauf qu’on est doux comme à la fin d’un beau dimanche.
Sourire de la lampe en sa dentelle blanche
Qu’on dirait une coiffe où dorment des cheveux ;
Lampe amicale aux lents regards d’un calme feu
Qui donne à l’air de chaque soir l’air du dimanche.20 avril 2008 à 19h25 #145826“Les vieux quais”
Il est une heure exquise à l’approche des soirs,
Quand le ciel est empli de processions roses
Qui s’en vont effeuillant des âmes et des roses
Et balançant dans l’air des parfums d’encensoirs.
Alors tout s’avivant sous les lueurs décrues
Du couchant dont s’éteint peu à peu la rougeur,
Un charme se révèle aux yeux las du songeur :
Le charme des vieux murs au fond des vieilles rues.
Façades en relief, vitraux coloriés,
Bandes d’Amours captifs dans le deuil des cartouches,
Femmes dont la poussière a défleuri les bouches,
Fleurs de pierre égayant les murs historiés.
Le gothique noirci des pignons se décalque
En escaliers de crêpe au fil dormant de l’eau,
Et la lune se lève au milieu d’un halo
Comme une lampe d’or sur un grand catafalque.
Oh ! les vieux quais dormants dans le soir solennel,
Sentant passer soudain sur leurs faces de pierre
Les baisers et l’adieu glacé de la rivière
Qui s’en va tout là-bas sous les ponts en tunnel.
Oh !les canaux bleuis à l’heure où l’on allume
Les lanternes, canaux regardés des amants
Qui devant l’eau qui passe échangent des serments
En entendant gémir des cloches dans la brume.
Tout agonise et tout se tait : on n’entend plus
Qu’un très mélancolique air de flûte qui pleure,
Seul, dans quelque invisible et noirâtre demeure
Où le joueur s’accoude aux châssis vermoulus !
Et l’on devine au loin le musicien sombre,
Pauvre, morne, qui joue au bord croulant des toits ;
La tristesse du soir a passé dans ses doigts,
Et dans sa flûte à trous il fait chanter de l’ombre.20 avril 2008 à 19h27 #145827“Dans l’air fraîchi”
Dans l’air fraîchi, venant d’où, déclose comment ?
Vers moi, par la fenêtre ouverte, une musique
Déferle à petites vagues si tristement.
Elle me fait à l’âme un mal presque physique.
Confuse comme un songe… est-ce d’un piano,
Est-ce d’un violon méconnu qui s’afflige
Ou d’une voix humaine en élans comme une eau
D’un jet d’eau qui s’effeuille en larmes sur sa tige.
Ah ! La musique triste en route dans le soir,
Qui voyage en fumée, en rubans, qui sinue
En forme de ruisseaux pauvres dans l’ombre nue,
Et trace de muets signes sur le ciel noir
Où l’on peut suivre et lire un peu sa destinée
Dont les lignes du son tracent la preuve innée,
Chiromancie éparse, oracle instrumental !
Puis s’embrouille dans l’air la musique en partance,
Eteignant peu à peu ses plaintes de cristal
Qu’on s’obstine à poursuivre aux confins du silence.20 avril 2008 à 19h28 #145828“Les pièces d’eau”
Les pièces d’eau, songeant dans les parcs taciturnes,
Dans les grands parcs muets semés de boulingrins,
S’aigrissent ; et n’ont plus pour tromper leurs chagrins
Qu’un décalque de ciel avant les deuils nocturnes ;
Une fête galante en nuages mirés,
En nuages vêtus de satin soufre et rose
Qui s’avancent noués de rubans et parés
Pour quelque menuet ou quelque apothéose :
Nuages du couchant en souples falbalas ;
Atours bouffants, paniers sur des hanches aiguës,
Tout se mire parmi les vasques exiguës ;
Et le siècle défunt revit dans le coeur las,
Dans le coeur las de l’eau qui soudain se colore
Et croit revoir de belles dames sur ses bords
Le coeur de l’eau des pièces d’eau se remémore,
Lui qui songeait : ” ah ! Qu’il est loin le temps d’alors,
Le joli temps des fins corsages à ramages ! “
Or ce temps recommence et l’eau revoit encor
Mais pour un court instant, l’ancien et cher décor,
Souvenir qui repasse au hasard des nuages…
Car c’est tout simplement cela, le souvenir :
Un mirage éphémère-une pitié des choses
Qui dans notre âme vide ont l’air de revenir ;
Tel, dans les pièces d’eau, le ciel en robes roses !20 avril 2008 à 19h32 #142092 - AuteurMessages
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