Accueil › Forums › Textes contemporains › (O) RETBI, Schmuel – Motty à Londres
- Ce sujet contient 10 réponses, 8 participants et a été mis à jour pour la dernière fois par Plume, le il y a 8 années et 8 mois.
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- 3 avril 2016 à 18h43 #1444043 avril 2016 à 18h43 #159021
Bonjour à tous,
Je présente à vos avis un nouveau texte de Shmuel Retbi intitulé « Motty à Londres »: l'histoire d'un petit fonctionnaire israélien qui se découvre « anglais ».
J'ai mis le texte complet sur Dropbox. Voici le lien qui, j'espère fonctionnera sans problème (il faut cliquer sur « Non merci, afficher le document »):
https://www.dropbox.com/l/s/vpsrEhAaaqX7zHAt2BVRSn
Et, pour vous mettre en appétit, je vous copie ci-dessous un extrait du texte. Bonne lecture et merci d'avance pour vos votes !
Cordialement,
Plume
Premier tableau : Le songe d'une nuit d'été
Mille étoiles brillaient dans un firmament imberbe et imperturbable. La rue étroite en était toute illuminée. Une pleine lune morose patrouillait nonchalamment dans cet infini perlé. Au numéro trente-sept de la rue se dressait un immeuble minable de quatre étages, sans ascenseur, évidemment. Pourquoi les jeunes couples habiteraient-ils dans des bâtiments équipés d'ascenseur ? Ont-ils les moyens de s'offrir ce luxe ? Non, la question tenait purement de la rhétorique et la réponse s'avérait totalement lamentable. Dans l'un des quatre appartements du second étage, on aurait trouvé une chambre à coucher, à condition de la chercher. Dans un coin, gisait un lit. Sur le lit, reposaient Motty et sa femme. La température ambiante était de trente-deux degrés à l'ombre. D'ailleurs, à trois heures du matin, on aurait du mal à relever la température au soleil. Nous déclinons donc toute responsabilité quant à l'exactitude de la température diurne en cette nuit blafarde, pardonnez-nous. Malgré cette forte chaleur, une sueur froide coulait sur la calvitie précoce de notre héros et mouillait l'oreiller. Motty, c'est son nom, comme on l'aura sans doute deviné, s'éveilla. Par contraste, sinon par opposition, sa femme s'endormit enfin. Ce prodige, ce miracle, oserions-nous dire, avait pour cause l'arrêt immédiat et total des ronflements tourmentés et anxieux de l'homme aux prises avec sa vie médiocre. Le songe batifolait devant les yeux mi-clos de Motty et fuyait son regard, tel un daim poursuivi par un loup affamé, tel un blaireau pourchassé par un vautour implacable, tel un rêve échappé d'une cervelle en effervescence.
Motty se leva sans bruit, passa là où le Président se rend lui-même trois fois par jour au moins, et revint se coucher sans bruit. Le songe le tracassait. Ce n'était d'ailleurs plus un songe, mais une véritable obsession. Cela faisait maintenant deux mois que l'idée avait germé derrière ce front aride et soucieux. Elle suivait les méandres touffus et les corridors obscurs de cette cervelle préoccupée par l'incertitude du lendemain. En fait, les réflexions de Motty ne visaient plus qu'à chasser les petits tracas du quotidien. Ce profond penseur voulait exterminer à jamais les fins de mois qui se poursuivaient les unes les autres, dures à boucler, précaires et ingrates. Comme il en convenait lui-même, l'idée n'avait rien de bien original. Elle semblait provenir d'une personnalité délibérément égoïste et capricieuse. Mais ce serait nous méprendre sur le véritable caractère du dormeur contrarié. Motty était l'homme le plus affable du monde, le plus serviable et le moins caustique. Un ange avec tout un chacun, un trésor à la maison, une glace à la pistache au boulot. La perfection faite fonctionnaire. Il avait une femme délicieuse, deux petits enfants adorables, un poste fixe au Ministère des Finances, une auto minuscule et un humble logis hypothéqué pour un quart de siècle encore, en bref, tout ce qu'il fallait pour être malheureux. Que peut-on désirer de plus à l'âge de trente-deux ans ? Et cependant, cette pensée bizarre se développait petit à petit dans son esprit. Comme on l'a vu plus haut, on sortait du domaine de la réflexion pour entrer dans celui de l'idée fixe. Motty semblait pour ainsi dire divisé en deux, lui-même d'un côté, l'objet de sa hantise de l'autre. Tout naturellement, le songe avait remplacé la pensée et on courait tout droit au cauchemar et à la tragédie. Au matin, notre homme chassa le reste de sa personne au fil de la fumée de son premier café et se concentra sur la réalisation du projet. Il faut donc l'avouer, ici, il s'agissait déjà d'une volonté immuable qui allait l'amener bientôt à commettre une erreur irréparable. Cette fatale bévue changerait bientôt du tout au tout le cours de sa vie lugubre et insouciante.
Ne crains rien, oh ! lecteur inquiet et fiévreux ! Motty ne se jettera pas sous les roues d'un tramway et ne sautera pas d'un avion en vol, non. Tout finit à peu près correctement dans ce triste récit, et il n'y a donc pas lieu de s'alarmer outre-mesure. Certes, le ton emphatique employé ici prête à confusion et ne rend pas l'atmosphère réelle de la situation. Mais un rendu pour un prêté, on s'en rendra vite compte, il n'y a rien ici de bien dramatique, rien qui ne mérite plus qu'un léger haussement d'épaules blasé et un froncement de sourcils sceptiques. Exposons à présent l'idée qui occupait les songes de ce serviteur subalterne de l'autorité publique. Cela se résume en une petite phrase bizarre de trois mots, pas plus, une idée farfelue, le fruit d'un tourbillon saugrenu et confus :
« Je suis Anglais. »
Voilà, c'était bien simple. A mi-chemin entre l'enfance et la vieillesse, Motty se sentait soudain le besoin de changer de personnalité, comme cela arrive à des gens très bien. Au début, il n'avait pas compris lui-même le sens profond de cette image qu'il avait entre-aperçue dans un demi-brouillard. Mais si la signification de ce symbole n'eût pas échappé à un observateur plus perspicace, Motty n'avait rien du prophète ni du devin. Faisons ici un emploi abusif du paradoxe et déclarons, sans peur et sans reproche : si notre ami avait compris que la brume représentait le fameux smog londonien, tout se serait alors éclairci dans son esprit, à la lumière de ces ténèbres lourdes et humides. Derrière les ronflements de juillet, Motty entrevoyait l'ombre raide et digne d'un homme debout en silence. La quatrième nuit de cette apparition, il remarqua que l'homme lui ressemblait comme deux gouttes de sueur ou de brouillard. La silhouette était vêtue d'un imperméable comme on n'en voit pas dans le pays d'origine de Motty, surtout entre mai et octobre. Concentrant la force de sa pensée, notre héros parvenait maintenant à saisir la tournure générale de sa propre image. Un vêtement sobre, sombre et sinistre, une sorte de redingote surannée, et tout en haut, couvrant la calvitie, un chapeau melon. L'apparition tenait à la main un objet qui ôta à son instigateur les derniers doutes qui enveloppait encore le sens précis de cette demi-réalité : un parapluie. Ce symbole incontestable du caractère insulaire et britannique avait donc provoqué la déclaration intime et tacite, écrite en lettres de cambouis sur un fond de grisaille : « Je suis Anglais ».
3 avril 2016 à 20h13 #159022O
Texte bien amusant, comme toujours. Bonne lecture, chère Plume!
Cocotte
5 avril 2016 à 13h43 #159030O
5 avril 2016 à 22h28 #159033Chère Cocotte ,
Toujours dynamique … OK sur DROPBOX.
Bien cordialement ,
Ahmed
13 avril 2016 à 12h03 #159058Merci pour vos votes. Je me permets de faire remonter ce post dans les messages récents pour que les DDV qui ne l'ont pas vu et souhaiteraient voter puissent le faire dans les quelques jours qui restent.
Plume
14 avril 2016 à 12h24 #159062O
15 avril 2016 à 14h35 #159068O
20 avril 2016 à 6h15 #159075O.
20 avril 2016 à 19h13 #159077Quelques remarques bienveillantes de finition.
tout illuminée : l’adverbe tout devient adjectif devant une consonne pour des raison d’euphonie (toute blanche) mais redevient invariable en tant qu’adverbe devant une voyelle du fait de l’élision (tout entière).
et l’on : l euphonique préférable pour éviter un hiatus.
outre mesure : pas de trait d’union.
rien qui mérite plus qu’un : le “que” de “plus que” ne peut pas se combiner avec un “ne” de restriction “ne… que”. Avec des termes comme “rien”, il faut se méfier car ils peuvent avoir une valeur grammaticalement positive. Ici, la négation de “rien” existe déjà par la reprise sous-entendue “il n’y a rien qui”.
Je suis anglais : pas de majuscule à l’adjectif ni à la langue, c’est le substantif en tant que citoyen qui prend la majuscule, un Anglais est anglais et parle anglais.
O20 avril 2016 à 19h16 #159078Merci, Aegidius, pour votre vigilance et vos judicieuses remarques. Je ferai les corrections nécessaires. J'ai pourtant relu avec attention le texte mais le français a tant de subtilités que certaines m'échappent.
Cordialement,
Plume
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