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- 23 avril 2008 à 17h04 #145888
Le Cochon
Grognon, mais familier comme si nous t’avions gardé ensemble, tu fourres le nez partout et tu marches autant avec lui qu’avec les pattes.
Tu caches sous des oreilles en feuilles de betterave tes petits yeux cassis.
Tu es ventru comme une groseille à maquereau.
Tu as de longs poils comme elle, comme elle la peau claire et une courte queue bouclée.
Et les méchants t’appellent : “ Sale cochon ! ” Ils disent que, si rien ne te dégoûte, tu dégoûtes tout le monde et que tu n’aimes que l’eau de vaisselle grasse.
Mais ils te calomnient.
Qu’ils te débarbouillent et tu auras bonne mine.
Tu te négliges par leur faute.
Comme on fait ton lit, tu te couches, et la malpropreté n’est que ta seconde nature.23 avril 2008 à 17h06 #145889Le Cochon et les perles
Dés qu’on le lâche au pré, le cochon se met à manger et son groin ne quitte plus la terre.
Il ne choisit pas l’herbe fine. Il attaque la première venue et pousse au hasard, devant lui, comme un soc ou comme une taupe aveugle, son nez infatigable.
Il ne s’occupe que d’arrondir un ventre qui prend déjà la forme du saloir, et jamais il n’a souci du temps qu’il fait.
Qu’importe que ses soies aient failli s’allumer tout à l’heure au soleil de midi, et qu’importe maintenant que ce nuage lourd, gonflé de grêle, s’étale et crève sur le pré.
La pie, il est vrai, d’un vol automatique se sauve ; les dindes se cachent dans la haie, et le poulain puéril s’abrite sous un chêne.
Mais le cochon reste où il mange.
Il ne perd pas une bouchée.
Il ne remue pas, avec moins d’aise, la queue.
Tout criblé de grêlons, c’est à peine s’il grogne :
– Encore leurs sales perles !23 avril 2008 à 17h07 #145890Le Crapaud
Né d’une pierre, il vit sous une pierre et s’y creusera un tombeau.
Je le visite fréquemment, et chaque fois que je lève sa pierre, j’ai peur de le retrouver et peur qu’il n’y soit plus.
Il y est.
Caché dans ce gîte sec, propre, étroit, bien à lui, il l’occupe pleinement, gonflé comme une bourse d’avare.
Qu’une pluie le fasse sortir, il vient au-devant de moi.
Quelques sauts lourds, et il me regarde de ses yeux rougis.
Si le monde injuste le traite en lépreux, je ne crains pas de m’accroupir près de lui et d’approcher du sien mon visage d’homme.
Puis je dompterai un reste de dégoût, et je te caresserai de ma main, crapaud !
On en avale dans la vie qui font plus mal au coeur.
Pourtant, hier, j’ai manqué de tact.
Il fermentait et suintait, toutes ses verrues crevées.
– Mon pauvre ami, lui dis-je, je ne veux pas te faire de peine, mais, Dieu ! que tu es laid !
Il ouvrit sa bouche puérile et sans dents, à l’haleine chaude, et me répondit avec un léger accent anglais :
– Et toi ?23 avril 2008 à 17h09 #145891Le Cygne
Il glisse sur le bassin, comme un traîneau blanc, de nuage en nuage. Car il n’a faim que des nuages floconneux qu’il voit naître, bouger, et se perdre dans l’eau.
C’est l’un d’eux qu’il désire. Il le vise du bec, et il plonge tout à coup son col vêtu de neige.
Puis, tel un bras de femme sort d’une manche, il retire.
Il n’a rien.
Il regarde : les nuages effarouchés ont disparu.
Il ne reste qu’un instant désabusé, car les nuages tardent peu à revenir, et, là-bas, où meurent les ondulations de l’eau, en voici un qui se reforme.
Doucement, sur son léger coussin de plumes, le cygne rame et s’approche…
Il s’épuise à pêcher de vains reflets, et peut-être qu’il mourra, victime de cette illusion, avant d’attraper un seul morceau de nuage.
Mais qu’est-ce que je dis ?
Chaque fois qu’il plonge, il fouille du bec la vase nourrissante et ramène un ver.
Il engraisse comme une oie.23 avril 2008 à 17h10 #145892Le Nid de chardonnerets
Il y avait, sur une branche fourchue de notre cerisier, un nid de chardonnerets joli à voir, rond, parfait, tous crins au-dehors, tout duvet au-dedans, et quatre petits venaient d’y éclore.
Je dis à mon père :
– J’ai presque envie de les prendre pour les élever.
Mon père m’avait expliqué souvent que c’est un crime de mettre des oiseaux en cage. Mais, cette fois, las sans doute de répéter la même chose, il ne trouva rien à me répondre.
Quelques jours après, je lui dis :
– Si je veux, ce sera facile. Je placerai d’abord le nid dans une cage, j’attacherai la cage au cerisier et la mère nourrira les petits par les barreaux, jusqu’à ce qu’ils n’aient plus besoin d’elle.
Mon père ne me dit pas ce qu’il pensait de ce moyen.
C’est pourquoi j’installai le nid dans une cage, la cage sur le cerisier et ce que j’avais prévu arriva : les vieux chardonnerets, sans hésiter, apportèrent aux petits des pleins becs de chenilles. Et mon père observait de loin, amusé comme moi, leur va-et-vient fleuri, leur vol teint de rouge sang et de jaune soufre.
Je dis un soir :
– Les petits sont assez drus. S’ils étaient libres, ils s’envoleraient. Qu’ils passent une dernière nuit en famille et demain je les porterai à la maison, je les pendrai à ma fenêtre, et je te prie de croire qu’il n’y aura pas beaucoup de chardonnerets au monde mieux soignés.
Mon père ne me dit pas le contraire.
Le lendemain, je trouvai la cage vide. Mon père était là, témoin de ma stupeur.
– Je ne suis pas curieux, dis-je, mais je voudrais bien savoir quel est l’imbécile qui a ouvert cette cage !23 avril 2008 à 17h12 #145893Le Paon
Il va sûrement se marier aujourd’hui.
Ce devait être pour hier. En habit de gala, il était prêt.
Il n’attendait que sa fiancée. Elle n’est pas venue. Elle ne peut tarder.
Glorieux, il se promène avec une allure de prince indien et porte sur lui les riches présents d’usage.
L’amour avive l’éclat de ses couleurs et son aigrette tremble comme une lyre.
La fiancée n’arrive pas.
Il monte au haut du toit et regarde du côté du soleil.
Il jette son cri diabolique :
Léon ! Léon !
C’est ainsi qu’il appelle sa fiancée. Il ne voit rien venir et personne ne répond. Les volailles habituées ne lèvent même point la tête. Elles sont lasses de l’admirer. Il redescend dans la cour, si sûr d’être beau qu’il est incapable de rancune.
Son mariage sera pour demain.
Et, ne sachant que faire du reste de la journée, il se dirige vers le perron. Il gravit les marches, comme des marches de temple, d’un pas officiel.
Il relève sa robe à queue toute lourde des yeux qui n’ont pu se détacher d’elle.
Il répète encore une fois la cérémonie.23 avril 2008 à 17h16 #145894Le Taureau
Le pêcheur à la ligne volante marche d’un pas léger au bord de l’Yonne et fait sautiller sur l’eau sa mouche verte.
Les mouches vertes, il les attrape aux troncs des peupliers polis par le frottement du bétail.
Il jette sa ligne d’un coup sec et tire d’autorité.
Il s’imagine que chaque place nouvelle est la meilleure, et bientôt il la quitte, enjambe un échalier et de ce pré passe dans l’autre.
Soudain, comme il traverse un grand pré que grille le soleil, il s’arrête.
Là-bas, du milieu des vaches paisibles et couchées, le taureau vient de se lever pesamment.
C’est un taureau fameux et sa taille étonne les passants sur la route. On l’admire à distance et, s’il ne l’a fait déjà, il pourrait lancer son homme au ciel, ainsi qu’une flèche, avec l’arc de ses cornes. Plus doux qu’un agneau tant qu’il veut, il se met tout à coup en fureur, quand ça le prend, et près de lui, on ne sait jamais ce qui arrivera.
Le pêcheur l’observe obliquement.
– Si je fuis, pense-t-il, le taureau sera sur moi avant que je ne sorte du pré. Si, sans savoir nager, je plonge dans la rivière, je me noie. Si je fais le mort par terre, le taureau, dit-on, me flairera et ne me touchera pas.
Est-ce bien sûr ? Et, s’il ne s’en va plus, quelle angoisse !
Mieux vaut feindre une indifférence trompeuse.
Et le pêcheur à la ligne volante continue de pêcher, comme si le taureau était absent. Il espère ainsi lui donner le change.
Sa nuque cuit sous son chapeau de paille.
Il retient ses pieds qui brûlent de courir et les oblige à fouler l’herbe. Il a l’héroïsme de tremper dans l’eau sa mouche verte.
D’ailleurs, qui le presse ?
Le taureau ne s’occupe pas de lui et reste avec les vaches.
Il ne s’est mis debout que pour remuer, par lassitude, comme on s’étire.
Il tourne au vent du soir sa tête crépue.
Il beugle par intervalles, l’oeil à demi fermé.
Il mugit de langueur et s’écoute mugir.23 avril 2008 à 17h19 #145895Les Canards
C’est la cane qui va la première, boitant des deux pattes, barboter au trou qu’elle connaît.
Le canard la suit. Les pointes de ses ailes croisées sur le dos, il boite aussi des deux pattes.
Et cane et canard marchent taciturnes comme à un rendez-vous d’affaires.
La cane d’abord se laisse glisser dans l’eau boueuse où flottent des plumes, des fientes, une feuille de vigne, et de la paille. Elle a presque disparu.
Elle attend. Elle est prête.
Et le canard entre à son tour. Il noie ses riches couleurs. On ne voit que sa tête verte et l’accroche-coeur du derrière. Tous deux se trouvent bien là. L’eau chauffe. Jamais on ne la vide et elle ne se renouvelle que les jours d’orage.
Le canard, de son bec aplati, mordille et serre la nuque de la cane. Un instant il s’agite et l’eau est si épaisse qu’elle en frissonne à peine. Et vite calmée, plate, elle réfléchit, en noir, un coin de ciel pur.
La cane et le canard ne bougent plus. Le soleil les cuit et les endort. On passerait près d’eux sans les remarquer. Ils ne se dénoncent que par les rares bulles d’air qui viennent crever sur l’eau croupie.
Devant la porte fermée, ils dorment tous deux, joints et posés à plat, comme la paire de sabots d’une voisine chez un malade.23 avril 2008 à 17h22 #145896Les Coqs
Il n’a jamais chanté. Il n’a pas couché une nuit dans un poulailler, connu une seule poule.
Il est en bois, avec une patte en fer au milieu du ventre, et il vit, depuis des années et des années, sur une vieille église comme on n’ose plus en bâtir. Elle ressemble à une grange et le faîte de ses tuiles s’aligne aussi droit que le dos d’un boeuf.
Or, voici que des maçons paraissent à l’autre bout de l’église.
Le coq de bois les regarde, quand un brusque coup de vent le force à tourner le dos.
Et, chaque fois qu’il se retourne, de nouvelles pierres lui bouchent un peu plus de son horizon.
Bientôt, d’une saccade, levant la tête, il aperçoit, à la pointe du clocher qu’on vient de finir, un jeune coq qui n’était pas là ce matin. Cet étranger porte haut sa queue, ouvre le bec comme ceux qui chantent, et l’aile sur la hanche, tout battant neuf, il éclate en plein soleil.
D’abord les deux coqs luttent de mobilité. Mais le vieux coq de bois s’épuise vite et se rend. Sous son unique pied, la poutre menace ruine. Il penche, raidi, près de tomber. Il grince et s’arrête.
Et voilà les charpentiers.
Ils abattent ce coin vermoulu de l’église, descendent le coq et le promènent par le village. Chacun peut le toucher, moyennant cadeau.
Ceux-ci donnent un oeuf, ceux-là un sou, et Mme Loriot une pièce d’argent.
Les charpentiers boivent de bons coups, et, après s’être disputé le coq, ils décident de le brûler.
Lui ayant fait un nid de paille et de fagot, ils mettent le feu.
Le coq de bois pétille clair et sa flamme monte au ciel qu’il a bien gagné.23 avril 2008 à 17h24 #145897Les Coquelicots
Ils éclatent dans le blé, comme une armée de petits soldats ; mais d’un bien plus beau rouge, ils sont inoffensifs.
Leur épée, c’est un épi.
C’est le vent qui les fait courir, et chaque coquelicot s’attarde, quand il veut, au bord du sillon, avec le bleuet, sa payse.23 avril 2008 à 17h26 #145898Les Moutons
Ils reviennent des chaumes, où, depuis ce matin, ils paissaient, le nez à l’ombre de leur corps.
Selon les signes d’un berger indolent, le chien nécessaire attaque la bande du côté qu’il faut.
Elle tient toute la route, ondule d’un fossé à l’autre et déborde, ou tassée, unie, moelleuse, piétine le sol, à petits pas de vieilles femmes. Quand elle se met à courir, les pattes font le bruit des roseaux et criblent la poussière du chemin de nids-d’abeilles.
Ce mouton frisé, bien garni, saute comme un ballot jeté en l’air, et du cornet de son oreille s’échappent des pastilles.
Cet autre a le vertige et heurte du genou sa tête mal vissée.
Ils envahissent le village. On dirait que c’est aujourd’hui leur fête et qu’avec pétulance, ils bêlent de joie par les rues.
Mais ils ne s’arrêtent pas au village, et je les vois reparaître, là-bas. Ils gagnent l’horizon. Par le coteau, ils montent, légers, vers le soleil. Ils s’en approchent et se couchent à distance.
Des traînards prennent, sur le ciel, une dernière forme imprévue, et rejoignent la troupe pelotonnée.
Un flocon se détache encore et plane, mousse blanche, puis fumée, vapeur, puis rien.
Il ne reste plus qu’une patte dehors.
Elle s’allonge, elle s’effile comme une quenouille, à l’infini.
Les moutons frileux s’endorment autour du soleil las qui défait sa couronne et pique, jusqu’à demain, ses rayons dans leur laine.
LES MOUTONS. – Mée… Mée… Mée…
LE CHIEN DE BERGER. – Il n’y a pas de mais !23 avril 2008 à 17h29 #145899Les Pigeons
Qu’ils fassent sur la maison un bruit de tambour voilé ;
Qu’ils sortent de l’ombre, culbutent, éclatent au soleil et rentrent dans l’ombre ;
Que leur col fugitif vive et meure comme l’opale au doigt ;
Qu’ils s’endorment, le soir, dans la forêt, si pressés que la plus haute branche du chêne menace de rompre sous cette charge de fruits peints ;
Que ces deux-là échangent des saluts frénétiques et brusquement, l’un à l’autre, se convulsent ;
Que celui-ci revienne d’exil, avec une lettre, et vole comme la pensée de notre amie lointaine (Ah ! un gage !);
Tous ces pigeons ; qui d’abord amusent, finissent par ennuyer.
Ils ne sauraient tenir en place et les voyages ne les forment point.
Ils restent toute la vie un peu niais. Ils s’obstinent à croire qu’on fait les enfants par le bec.
Et c’est insupportable à la longue, cette manie héréditaire d’avoir toujours dans la gorge quelque chose qui ne passe pas.
LES DEUX PIGEONS. – Viens, mon grrros… viens, mon grrros… viens, mon grrros…23 avril 2008 à 17h31 #14210223 avril 2008 à 17h31 #145900Une Famille d’arbres
C’est après avoir traversé une plaine brûlée de soleil que je les rencontre.
Ils ne demeurent pas au bord de la route, à cause du bruit. Ils habitent les champs incultes, sur une source connue des oiseaux seuls.
De loin, ils semblent impénétrables. Dès que j’approche, leurs troncs se desserrent. Ils m’accueillent avec prudence. Je peux me reposer, me rafraîchir, mais je devine qu’ils m’observent et se défient.
Ils vivent en famille, les plus âgés au milieu et les petits, ceux dont les premières feuilles viennent de naître, un peu partout, sans jamais s’écarter.
Ils mettent longtemps à mourir, et ils gardent les morts debout jusqu’à la chute en poussière.
Ils se flattent de leurs longues branches, pour s’assurer qu’ils sont tous là, comme les aveugles. Ils gesticulent de colère si le vent s’essouffle à les déraciner.
Mais entre eux aucune dispute. Ils ne murmurent que d’accord.
Je sens qu’ils doivent être ma vraie famille. l’oublierai vite l’autre. Ces arbres m’adopteront peu à peu, et pour le mériter j’apprends ce qu’il faut savoir :
Je sais déjà regarder les nuages qui passent.
Je sais aussi rester en place.
Et je sais presque me taire. - AuteurMessages
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