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- 9 avril 2008 à 14h26 #145663
PROPERCE – Élégies
Traduction : Jules-Charlemagne Genouille (1834).
Livre I, Élégie 2 : À Cynthie
Pourquoi, mon âme, pourquoi cette chevelure élégante ? Pourquoi la soie frôle-t-elle en mille plis moelleux ? Pourquoi ces parfums de l’Orient que tu répands sur ta tête ? Pourquoi te rendre esclave des produits étrangers, ensevelir sous un éclat emprunté les charmes de la nature, et ne pas laisser ton corps briller de ses propres richesses ? Crois-moi, Cynthie, il n’est point de fard qui convienne à tes traits. L’Amour est nu ; il chérit la beauté pour elle-même, et dédaigne de vains artifices.
Vois les couleurs dont se parent les riantes prairies ; vois le lierre se déployer lui seul avec plus d’énergie, l’arboisier s’élever plus florissant sur la roche solitaire, et le ruisseau se frayer une route vagabonde. Nos rivages sont naturellement émaillés de mille cailloux, et l’art n’imitera jamais la douce harmonie des oiseaux.
Ce n’est point par la parure que Phébé, la fille de Leucippe, enflamma Castor, que sa soeur Élaïre charma Pollux, que la fille d’Évènus plut jadis, sur les rives de son père, à Idas et à Phébus, qui se disputèrent sa conquête. Hippodamie n’avait point séduit le Phrygien Pélops par des couleurs empruntées, lorsqu’un char ravisseur la transporta sur des rivages lointains. La beauté ne se cachait point encore sous les pierreries ; mais elle se contentait de briller du coloris d’Apelle : car alors on ne cherchait pas sans cesse de nouveaux amants ; et les femmes étaient assez belles, ornées de leur seule pudeur.
Je ne crains plus aujourd’hui que tu m’accordes un sentiment moins tendre : mais on a assez d’attraits quand on plaît à celui qu’on aime. Toi surtout, à qui Phébus accorde le don des vers et à qui Calliope prête volontiers sa lyre ; toi, dont les moindres discours ont un charme secret ; toi, qui réunis aux talents de Minerve les grâces de Vénus, oui, tant que je vivrai, tu me seras chère : mais désormais dédaigne un luxe inutile.9 avril 2008 à 14h31 #145664Livre I, Élégie 3 : Sur Cynthie
Telle reposait sur le rivage Ariadne languissante, tandis que Thésée fuyait à pleines voiles ; telle Andromède, délivrée du rocher funeste, se livrait au premier sommeil auprès de son libérateur ; ou telle une Bacchante, fatiguée d’une danse continuelle, tombe sur la rive fleurie de l’Apidanus : telle j’ai vu ma Cynthie goûter un doux repos, la tête appuyée sur ses mains défaillantes.
La nuit était avancée, et les esclaves ranimaient les feux à demi éteints, lorsque je dirigeai vers sa couche mes pas que faisait chanceler une douce ivresse. Cependant de nombreuses libations ne m’avaient point enlevé ma raison entière. Le duvet fléchissait mollement sous le poids de Cynthie. Deux dieux téméraires, Bacchus et l’Amour, m’enflammaient à l’envi, et m’excitaient à approcher de cette tête légèrement posée sur un bras d’albâtre, à la soutenir moi-même de mes mains, à cueillir un baiser et à savourer tous ses charmes : mais je n’osais troubler le repos de mon amante, moi qui avais éprouvé déjà ses reproches et son courroux. Mon regard, du moins, restait attaché sur elle comme celui d’Argus sur la forme trompeuse d’Io. Tantôt je détachais de mon front une couronne, et je la déposais sur le tien, ô ma Cynthie ; tantôt j’aimais à toucher ta chevelure en désordre, et à charger furtivement tes mains de quelque fruit mais ces offrandes ne pouvaient rien contre un sommeil ingrat, et bientôt elles s’échappaient en roulant sur ton sein. Que de fois un léger mouvement trahissait un soupir ! et moi, crédule, j’en tirais un fâcheux présage : je craignais qu’un songe ne t’apportât une crainte frivole, qu’un rival ne te forçât malgré toi de céder à ses feux. Cependant la lune pénétrait de toutes parts, et sa clarté secondait depuis longtemps mon audace. Un de ses rayons tombe légèrement sur les yeux de Cynthie. Elle s’éveille, et me dit, le bras appuyé mollement sur sa couche : « Enfin les mépris d’une rivale qui te ferme sa porte te ramènent donc auprès de moi ! Cependant tu as perdu les longs moments d’une nuit qui m’était destinée ; tu reviens languissant, quand les étoiles vont disparaître. Si tu pouvais, ingrat, passer une seule nuit comme tu me forces à les passer en proie à l’inquiétude ! J’ai trompé le sommeil en brodant la pourpre ; je me suis fatiguée à chanter sur ma lyre ; quelquefois je me plaignais sur ma couche solitaire du nouvel amour qui t’éloignait de moi si longtemps. Mais le sommeil m’a enfin poussée d’une aile propice ; il est venu apporter un dernier soulagement à mes peines. »9 avril 2008 à 14h34 #145665Livre I, Élégie 11 : À Cynthie
Quand tu t’arrêtes, Cynthie, sur les collines de Baies ; quand tu parcours le sentier tracé par la main d’Hercule ; ou bien quand tu admires et le cap célèbre de Misène, et les flots soumis à l’empire des fils de Thesprotus, te rappelles-tu, dis-moi, et mon amour et nos nuits charmantes ? Me conserves-tu, si loin de moi, quelque espoir ? ou faut-il que, par ses feux mensongers, un rival inconnu t’arrache, ô ma Cynthie, à mes tendres vers ? Ah ! plutôt qu’une barque fragile et qu’une faible rame t’arrête sur le Lucrin, ou que l’eau facilement coupée sous ta main te retienne captive, malgré tes efforts, au milieu des flots mobiles ! Quoi ! mollement couchée sur le rivage silencieux, tu écouterais les doux propos d’un autre amant ! Ainsi une amante perfide succombe loin des yeux qui veillaient sur elle, et souvent ne pense plus aux dieux, témoins de son parjure.
Mais de tels soupçons, ô ma Cynthie, n’ont pour fondement ni la renommée ni mes sens ; ils sont le fruit d’un amour qui craint jusqu’à son ombre. Pardonne-moi donc si mes vers t’ont causé quelque peine, et n’en accuse que mes frayeurs. Ma vigilance pour toi ne dépasse-t-elle pas les soins d’une mère chérie ? Sans toi, la vie aurait-elle encore quelque charme ? Toi seule es ma patrie, toi seule es ma famille ; c’est toi qui fais en tout temps mon allégresse. Que mes amis me voient triste ou joyeux, ce que je suis, leur dirai-je, Cynthie en est la seule cause. Mais abandonne au plus tôt les rivages corrupteurs de Baies, ces rivages qui sèmeront les querelles entre tant d’amants, ces rivages, l’écueil éternel de la pudeur et de la fidélité. Ah ! périssent, à jamais des eaux que réprouve l’Amour !9 avril 2008 à 14h37 #1420619 avril 2008 à 14h37 #145666Livre I, Élégie 19 : À Cynthie
Non, Cynthie, je ne redoute plus maintenant le triste séjour des Ombres, et je ne recule point devant le bûcher où la nature réclame un dernier tribut. Mais que ton amour, hélas ! ne survive point à mes funérailles, voilà ma crainte, voilà ce qui est pour moi plus dur que le trépas lui-même. L’enfant de Vénus n’a point porté à mes yeux une blessure si légère, que ma cendre puisse oublier jamais l’objet de mes feux. Ainsi Protésilas conserva, jusque dans les ténèbres du Tartare, le souvenir d’une épouse adorée ; et l’ombre du héros revint encore au palais antique de ses pères pour goûter dans de vains embrassements un plaisir mensonger.
Quelle que soit ma destinée, je t’appartiendrai toujours, ô ma Cynthie ; un vif amour peut franchir à son gré le fatal rivage du Styx. Qu’elles viennent alors à moi, ces beautés célèbres qu’Ilion en cendres abandonna aux Grecs victorieux : il n’en est point, Cynthie, qui puisse te le disputer en grâces, et que la terre équitable te pardonne cette gloire. Aussi, quand même le destin t’accorderait une longue vieillesse, tes restes chéris seraient encore arrosés de mes larmes. Oh ! si tu pouvais sentir sur mes cendres les mêmes feux ! alors le trépas perdrait pour moi toute son amertume. Mais je crains, Cynthie, que tu n’oublies mon tombeau, que le cruel Amour ne t’arrache à une vaine poussière, qu’il ne te force à sécher tes pleurs malgré toi ; car il n’est point de femme dont la constance résiste à ses continuelles attaques. Livrons-nous donc, tandis qu’il en est temps, au plaisir d’une flamme mutuelle ; l’amour ne saurait avoir jamais une trop longue durée. - AuteurMessages
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