MUSSET, Alfred (de) – Les Nuits

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    VictoriaVictoria
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      MUSSET, Alfred (de) – Les Nuits

      La Nuit de mai – (Recueil : Poésies nouvelles)


      La Muse

      Poète, prends ton luth et me donne un baiser ;
      La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore,
      Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embraser ;
      Et la bergeronnette, en attendant l’aurore,
      Aux premiers buissons verts commence à se poser.
      Poète, prends ton luth, et me donne un baiser.

      Le Poète

      Comme il fait noir dans la vallée !
      J’ai cru qu’une forme voilée
      Flottait là-bas sur la forêt.
      Elle sortait de la prairie ;
      Son pied rasait l’herbe fleurie ;
      C’est une étrange rêverie ;
      Elle s’efface et disparaît.

      La Muse

      Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse,
      Balance le zéphyr dans son voile odorant.
      La rose, vierge encor, se referme jalouse
      Sur le frelon nacré qu’elle enivre en mourant.
      Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée.
      Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée
      Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux.
      Ce soir, tout va fleurir : l’immortelle nature
      Se remplit de parfums, d’amour et de murmure,
      Comme le lit joyeux de deux jeunes époux.

      Le Poète

      Pourquoi mon coeur bat-il si vite ?
      Qu’ai-je donc en moi qui s’agite
      Dont je me sens épouvanté ?
      Ne frappe-t-on pas à ma porte ?
      Pourquoi ma lampe à demi morte
      M’éblouit-elle de clarté ?
      Dieu puissant ! tout mon corps frissonne.
      Qui vient ? qui m’appelle ? – Personne.
      Je suis seul ; c’est l’heure qui sonne ;
      Ô solitude ! ô pauvreté !

      La Muse

      Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse
      Fermente cette nuit dans les veines de Dieu.
      Mon sein est inquiet ; la volupté l’oppresse,
      Et les vents altérés m’ont mis la lèvre en feu.
      Ô paresseux enfant ! regarde, je suis belle.
      Notre premier baiser, ne t’en souviens-tu pas,
      Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile,
      Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ?
      Ah ! je t’ai consolé d’une amère souffrance !
      Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d’amour.
      Console-moi ce soir, je me meurs d’espérance ;
      J’ai besoin de prier pour vivre jusqu’au jour.

      Le Poète

      Est-ce toi dont la voix m’appelle,
      Ô ma pauvre Muse ! est-ce toi ?
      Ô ma fleur ! ô mon immortelle !
      Seul être pudique et fidèle
      Où vive encor l’amour de moi !
      Oui, te voilà, c’est toi, ma blonde,
      C’est toi, ma maîtresse et ma soeur !
      Et je sens, dans la nuit profonde,
      De ta robe d’or qui m’inonde
      Les rayons glisser dans mon coeur.

      La Muse

      Poète, prends ton luth ; c’est moi, ton immortelle,
      Qui t’ai vu cette nuit triste et silencieux,
      Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle,
      Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux.
      Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire
      Te ronge, quelque chose a gémi dans ton coeur ;
      Quelque amour t’est venu, comme on en voit sur terre,
      Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur.
      Viens, chantons devant Dieu ; chantons dans tes pensées,
      Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées ;
      Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu,
      Éveillons au hasard les échos de ta vie,
      Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie,
      Et que ce soit un rêve, et le premier venu.
      Inventons quelque part des lieux où l’on oublie ;
      Partons, nous sommes seuls, l’univers est à nous.
      Voici la verte Écosse et la brune Italie,
      Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux,
      Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes,
      Et Messa la divine, agréable aux colombes,
      Et le front chevelu du Pélion changeant ;
      Et le bleu Titarèse, et le golfe d’argent
      Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire,
      La blanche Oloossone à la blanche Camyre.
      Dis-moi, quel songe d’or nos chants vont-ils bercer ?
      D’où vont venir les pleurs que nous allons verser ?
      Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière,
      Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet,
      Secouait des lilas dans sa robe légère,
      Et te contait tout bas les amours qu’il rêvait ?
      Chanterons-nous l’espoir, la tristesse ou la joie ?
      Tremperons-nous de sang les bataillons d’acier ?
      Suspendrons-nous l’amant sur l’échelle de soie ?
      Jetterons-nous au vent l’écume du coursier ?
      Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre
      De la maison céleste, allume nuit et jour
      L’huile sainte de vie et d’éternel amour ?
      Crierons-nous à Tarquin : ” Il est temps, voici l’ombre ! ”
      Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ?
      Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ?
      Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ?
      Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ?
      La biche le regarde ; elle pleure et supplie ;
      Sa bruyère l’attend ; ses faons sont nouveau-nés ;
      Il se baisse, il l’égorge, il jette à la curée
      Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant.
      Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée,
      S’en allant à la messe, un page la suivant,
      Et d’un regard distrait, à côté de sa mère,
      Sur sa lèvre entr’ouverte oubliant sa prière ?
      Elle écoute en tremblant, dans l’écho du pilier,
      Résonner l’éperon d’un hardi cavalier.
      Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France
      De monter tout armés aux créneaux de leurs tours,
      Et de ressusciter la naïve romance
      Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours ?
      Vêtirons-nous de blanc une molle élégie ?
      L’homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie,
      Et ce qu’il a fauché du troupeau des humains
      Avant que l’envoyé de la nuit éternelle
      Vînt sur son tertre vert l’abattre d’un coup d’aile,
      Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains ?
      Clouerons-nous au poteau d’une satire altière
      Le nom sept fois vendu d’un pâle pamphlétaire,
      Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli,
      S’en vient, tout grelottant d’envie et d’impuissance,
      Sur le front du génie insulter l’espérance,
      Et mordre le laurier que son souffle a sali ?
      Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire ;
      Mon aile me soulève au souffle du printemps.
      Le vent va m’emporter ; je vais quitter la terre.
      Une larme de toi ! Dieu m’écoute ; il est temps.

      Le Poète

      S’il ne te faut, ma soeur chérie,
      Qu’un baiser d’une lèvre amie
      Et qu’une larme de mes yeux,
      Je te les donnerai sans peine ;
      De nos amours qu’il te souvienne,
      Si tu remontes dans les cieux.
      Je ne chante ni l’espérance,
      Ni la gloire, ni le bonheur,
      Hélas ! pas même la souffrance.
      La bouche garde le silence
      Pour écouter parler le coeur.

      La Muse

      Crois-tu donc que je sois comme le vent d’automne,
      Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau,
      Et pour qui la douleur n’est qu’une goutte d’eau ?
      Ô poète ! un baiser, c’est moi qui te le donne.
      L’herbe que je voulais arracher de ce lieu,
      C’est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu.
      Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
      Laisse-la s’élargir, cette sainte blessure
      Que les noirs séraphins t’ont faite au fond du coeur :
      Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur.
      Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
      Que ta voix ici-bas doive rester muette.
      Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
      Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.
      Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage,
      Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
      Ses petits affamés courent sur le rivage
      En le voyant au loin s’abattre sur les eaux.
      Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
      Ils courent à leur père avec des cris de joie
      En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
      Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,
      De son aile pendante abritant sa couvée,
      Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
      Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
      En vain il a des mers fouillé la profondeur ;
      L’Océan était vide et la plage déserte ;
      Pour toute nourriture il apporte son coeur.
      Sombre et silencieux, étendu sur la pierre
      Partageant à ses fils ses entrailles de père,
      Dans son amour sublime il berce sa douleur,
      Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
      Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle,
      Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur.
      Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
      Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
      Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ;
      Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
      Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage,
      Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
      Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
      Et que le voyageur attardé sur la plage,
      Sentant passer la mort, se recommande à Dieu.
      Poète, c’est ainsi que font les grands poètes.
      Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps ;
      Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes
      Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
      Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées,
      De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur,
      Ce n’est pas un concert à dilater le coeur.
      Leurs déclamations sont comme des épées :
      Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant,
      Mais il y pend toujours quelque goutte de sang.

      Le Poète

      Ô Muse ! spectre insatiable,
      Ne m’en demande pas si long.
      L’homme n’écrit rien sur le sable
      À l’heure où passe l’aquilon.
      J’ai vu le temps où ma jeunesse
      Sur mes lèvres était sans cesse
      Prête à chanter comme un oiseau ;
      Mais j’ai souffert un dur martyre,
      Et le moins que j’en pourrais dire,
      Si je l’essayais sur ma lyre,
      La briserait comme un roseau.

      #146275
      VictoriaVictoria
      Participant

        La Nuit de décembre – (Recueil : Poésies nouvelles)


        Le Poète

        Du temps que j’étais écolier,
        Je restais un soir à veiller
        Dans notre salle solitaire.
        Devant ma table vint s’asseoir
        Un pauvre enfant vêtu de noir,
        Qui me ressemblait comme un frère.

        Son visage était triste et beau :
        A la lueur de mon flambeau,
        Dans mon livre ouvert il vint lire.
        Il pencha son front sur sa main,
        Et resta jusqu’au lendemain,
        Pensif, avec un doux sourire.

        Comme j’allais avoir quinze ans
        Je marchais un jour, à pas lents,
        Dans un bois, sur une bruyère.
        Au pied d’un arbre vint s’asseoir
        Un jeune homme vêtu de noir,
        Qui me ressemblait comme un frère.

        Je lui demandai mon chemin ;
        Il tenait un luth d’une main,
        De l’autre un bouquet d’églantine.
        Il me fit un salut d’ami,
        Et, se détournant à demi,
        Me montra du doigt la colline.

        A l’âge où l’on croit à l’amour,
        J’étais seul dans ma chambre un jour,
        Pleurant ma première misère.
        Au coin de mon feu vint s’asseoir
        Un étranger vêtu de noir,
        Qui me ressemblait comme un frère.

        Il était morne et soucieux ;
        D’une main il montrait les cieux,
        Et de l’autre il tenait un glaive.
        De ma peine il semblait souffrir,
        Mais il ne poussa qu’un soupir,
        Et s’évanouit comme un rêve.

        A l’âge où l’on est libertin,
        Pour boire un toast en un festin,
        Un jour je soulevais mon verre.
        En face de moi vint s’asseoir
        Un convive vêtu de noir,
        Qui me ressemblait comme un frère.

        Il secouait sous son manteau
        Un haillon de pourpre en lambeau,
        Sur sa tête un myrte stérile.
        Son bras maigre cherchait le mien,
        Et mon verre, en touchant le sien,
        Se brisa dans ma main débile.

        Un an après, il était nuit ;
        J’étais à genoux près du lit
        Où venait de mourir mon père.
        Au chevet du lit vint s’asseoir
        Un orphelin vêtu de noir,
        Qui me ressemblait comme un frère.

        Ses yeux étaient noyés de pleurs ;
        Comme les anges de douleurs,
        Il était couronné d’épine ;
        Son luth à terre était gisant,
        Sa pourpre de couleur de sang,
        Et son glaive dans sa poitrine.

        Je m’en suis si bien souvenu,
        Que je l’ai toujours reconnu
        A tous les instants de ma vie.
        C’est une étrange vision,
        Et cependant, ange ou démon,
        J’ai vu partout cette ombre amie.

        Lorsque plus tard, las de souffrir,
        Pour renaître ou pour en finir,
        J’ai voulu m’exiler de France ;
        Lorsqu’impatient de marcher,
        J’ai voulu partir, et chercher
        Les vestiges d’une espérance ;

        A Pise, au pied de l’Apennin ;
        A Cologne, en face du Rhin ;
        A Nice, au penchant des vallées ;
        A Florence, au fond des palais ;
        A Brigues, dans les vieux chalets ;
        Au sein des Alpes désolées ;

        A Gênes, sous les citronniers ;
        A Vevey, sous les verts pommiers ;
        Au Havre, devant l’Atlantique ;
        A Venise, à l’affreux Lido,
        Où vient sur l’herbe d’un tombeau
        Mourir la pâle Adriatique ;

        Partout où, sous ces vastes cieux,
        J’ai lassé mon coeur et mes yeux,
        Saignant d’une éternelle plaie ;
        Partout où le boiteux Ennui,
        Traînant ma fatigue après lui,
        M’a promené sur une claie ;

        Partout où, sans cesse altéré
        De la soif d’un monde ignoré,
        J’ai suivi l’ombre de mes songes ;
        Partout où, sans avoir vécu,
        J’ai revu ce que j’avais vu,
        La face humaine et ses mensonges ;

        Partout où, le long des chemins,
        J’ai posé mon front dans mes mains,
        Et sangloté comme une femme ;
        Partout où j’ai, comme un mouton,
        Qui laisse sa laine au buisson,
        Senti se dénuder mon âme ;

        Partout où j’ai voulu dormir,
        Partout où j’ai voulu mourir,
        Partout où j’ai touché la terre,
        Sur ma route est venu s’asseoir
        Un malheureux vêtu de noir,
        Qui me ressemblait comme un frère.

        Qui donc es-tu, toi que dans cette vie
        Je vois toujours sur mon chemin ?
        Je ne puis croire, à ta mélancolie,
        Que tu sois mon mauvais Destin.
        Ton doux sourire a trop de patience,
        Tes larmes ont trop de pitié.
        En te voyant, j’aime la Providence.
        Ta douleur même est soeur de ma souffrance ;
        Elle ressemble à l’Amitié.

        Qui donc es-tu ? – Tu n’es pas mon bon ange,
        Jamais tu ne viens m’avertir.
        Tu vois mes maux (c’est une chose étrange !)
        Et tu me regardes souffrir.
        Depuis vingt ans tu marches dans ma voie,
        Et je ne saurais t’appeler.
        Qui donc es-tu, si c’est Dieu qui t’envoie ?
        Tu me souris sans partager ma joie,
        Tu me plains sans me consoler !

        Ce soir encor je t’ai vu m’apparaître.
        C’était par une triste nuit.
        L’aile des vents battait à ma fenêtre ;
        J’étais seul, courbé sur mon lit.
        J’y regardais une place chérie,
        Tiède encor d’un baiser brûlant ;
        Et je songeais comme la femme oublie,
        Et je sentais un lambeau de ma vie
        Qui se déchirait lentement.

        Je rassemblais des lettres de la veille,
        Des cheveux, des débris d’amour.
        Tout ce passé me criait à l’oreille
        Ses éternels serments d’un jour.
        Je contemplais ces reliques sacrées,
        Qui me faisaient trembler la main :
        Larmes du coeur par le coeur dévorées,
        Et que les yeux qui les avaient pleurées
        Ne reconnaîtront plus demain !

        J’enveloppais dans un morceau de bure
        Ces ruines des jours heureux.
        Je me disais qu’ici-bas ce qui dure,
        C’est une mèche de cheveux.
        Comme un plongeur dans une mer profonde,
        Je me perdais dans tant d’oubli.
        De tous côtés j’y retournais la sonde,
        Et je pleurais, seul, loin des yeux du monde,
        Mon pauvre amour enseveli.

        J’allais poser le sceau de cire noire
        Sur ce fragile et cher trésor.
        J’allais le rendre, et, n’y pouvant pas croire,
        En pleurant j’en doutais encor.
        Ah ! faible femme, orgueilleuse insensée,
        Malgré toi, tu t’en souviendras !
        Pourquoi, grand Dieu ! mentir à sa pensée ?
        Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée,
        Ces sanglots, si tu n’aimais pas ?

        Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures ;
        Mais ta chimère est entre nous.
        Eh bien ! adieu ! Vous compterez les heures
        Qui me sépareront de vous.
        Partez, partez, et dans ce coeur de glace
        Emportez l’orgueil satisfait.
        Je sens encor le mien jeune et vivace,
        Et bien des maux pourront y trouver place
        Sur le mal que vous m’avez fait.

        Partez, partez ! la Nature immortelle
        N’a pas tout voulu vous donner.
        Ah ! pauvre enfant, qui voulez être belle,
        Et ne savez pas pardonner !
        Allez, allez, suivez la destinée ;
        Qui vous perd n’a pas tout perdu.
        Jetez au vent notre amour consumée ; -
        Eternel Dieu ! toi que j’ai tant aimée,
        Si tu pars, pourquoi m’aimes-tu ?

        Mais tout à coup j’ai vu dans la nuit sombre
        Une forme glisser sans bruit.
        Sur mon rideau j’ai vu passer une ombre ;
        Elle vient s’asseoir sur mon lit.
        Qui donc es-tu, morne et pâle visage,
        Sombre portrait vêtu de noir ?
        Que me veux-tu, triste oiseau de passage ?
        Est-ce un vain rêve ? est-ce ma propre image
        Que j’aperçois dans ce miroir ?

        Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse,
        Pèlerin que rien n’a lassé ?
        Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse
        Assis dans l’ombre où j’ai passé.
        Qui donc es-tu, visiteur solitaire,
        Hôte assidu de mes douleurs ?
        Qu’as-tu donc fait pour me suivre sur terre ?
        Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère,
        Qui n’apparais qu’au jour des pleurs ?

        La Vision

        – Ami, notre père est le tien.
        Je ne suis ni l’ange gardien,
        Ni le mauvais destin des hommes.
        Ceux que j’aime, je ne sais pas
        De quel côté s’en vont leurs pas
        Sur ce peu de fange où nous sommes.

        Je ne suis ni dieu ni démon,
        Et tu m’as nommé par mon nom
        Quand tu m’as appelé ton frère ;
        Où tu vas, j’y serai toujours,
        Jusques au dernier de tes jours,
        Où j’irai m’asseoir sur ta pierre.

        Le ciel m’a confié ton coeur.
        Quand tu seras dans la douleur,
        Viens à moi sans inquiétude.
        Je te suivrai sur le chemin ;
        Mais je ne puis toucher ta main,
        Ami, je suis la Solitude.

        #146276
        VictoriaVictoria
        Participant

          La Nuit d’août – (Recueil : Poésies nouvelles)


          La Muse

          Depuis que le soleil, dans l’horizon immense,
          A franchi le Cancer sur son axe enflammé,
          Le bonheur m’a quittée, et j’attends en silence
          L’heure où m’appellera mon ami bien-aimé.
          Hélas ! depuis longtemps sa demeure est déserte ;
          Des beaux jours d’autrefois rien n’y semble vivant.
          Seule, je viens encor, de mon voile couverte,
          Poser mon front brûlant sur sa porte entr’ouverte,
          Comme une veuve en pleurs au tombeau d’un enfant.

          Le Poète

          Salut à ma fidèle amie !
          Salut, ma gloire et mon amour !
          La meilleure et la plus chérie
          Est celle qu’on trouve au retour.
          L’opinion et l’avarice
          Viennent un temps de m’emporter.
          Salut, ma mère et ma nourrice !
          Salut, salut consolatrice !
          Ouvre tes bras, je viens chanter.

          La Muse

          Pourquoi, coeur altéré, coeur lassé d’espérance,
          T’enfuis-tu si souvent pour revenir si tard ?
          Que t’en vas-tu chercher, sinon quelque hasard ?
          Et que rapportes-tu, sinon quelque souffrance ?
          Que fais-tu loin de moi, quand j’attends jusqu’au jour ?
          Tu suis un pâle éclair dans une nuit profonde.
          Il ne te restera de tes plaisirs du monde
          Qu’un impuissant mépris pour notre honnête amour.
          Ton cabinet d’étude est vide quand j’arrive ;
          Tandis qu’à ce balcon, inquiète et pensive,
          Je regarde en rêvant les murs de ton jardin,
          Tu te livres dans l’ombre à ton mauvais destin.
          Quelque fière beauté te retient dans sa chaîne,
          Et tu laisses mourir cette pauvre verveine
          Dont les derniers rameaux, en des temps plus heureux,
          Devaient être arrosés des larmes de tes yeux.
          Cette triste verdure est mon vivant symbole ;
          Ami, de ton oubli nous mourrons toutes deux,
          Et son parfum léger, comme l’oiseau qui vole,
          Avec mon souvenir s’enfuira dans les cieux.

          Le Poète

          Quand j’ai passé par la prairie,
          J’ai vu, ce soir, dans le sentier,
          Une fleur tremblante et flétrie,
          Une pâle fleur d’églantier.
          Un bourgeon vert à côté d’elle
          Se balançait sur l’arbrisseau ;
          Je vis poindre une fleur nouvelle ;
          La plus jeune était la plus belle :
          L’homme est ainsi, toujours nouveau.

          La Muse

          Hélas ! toujours un homme, hélas ! toujours des larmes !
          Toujours les pieds poudreux et la sueur au front !
          Toujours d’affreux combats et de sanglantes armes ;
          Le coeur a beau mentir, la blessure est au fond.
          Hélas ! par tous pays, toujours la même vie :
          Convoiter, regretter, prendre et tendre la main ;
          Toujours mêmes acteurs et même comédie,
          Et, quoi qu’ait inventé l’humaine hypocrisie,
          Rien de vrai là-dessous que le squelette humain.
          Hélas ! mon bien-aimé, vous n’êtes plus poète.
          Rien ne réveille plus votre lyre muette ;
          Vous vous noyez le coeur dans un rêve inconstant ;
          Et vous ne savez pas que l’amour de la femme
          Change et dissipe en pleurs les trésors de votre âme,
          Et que Dieu compte plus les larmes que le sang.

          Le Poète

          Quand j’ai traversé la vallée,
          Un oiseau chantait sur son nid.
          Ses petits, sa chère couvée,
          Venaient de mourir dans la nuit.
          Cependant il chantait l’aurore ;
          Ô ma Muse, ne pleurez pas !
          À qui perd tout, Dieu reste encore,
          Dieu là-haut, l’espoir ici-bas.

          La Muse

          Et que trouveras-tu, le jour où la misère
          Te ramènera seul au paternel foyer ?
          Quand tes tremblantes mains essuieront la poussière
          De ce pauvre réduit que tu crois oublier,
          De quel front viendras-tu, dans ta propre demeure,
          Chercher un peu de calme et d’hospitalité ?
          Une voix sera là pour crier à toute heure :
          Qu’as-tu fait de ta vie et de ta liberté ?
          Crois-tu donc qu’on oublie autant qu’on le souhaite ?
          Crois-tu qu’en te cherchant tu te retrouveras ?
          De ton coeur ou de toi lequel est le poète ?
          C’est ton coeur, et ton coeur ne te répondra pas.
          L’amour l’aura brisé ; les passions funestes
          L’auront rendu de pierre au contact des méchants ;
          Tu n’en sentiras plus que d’effroyables restes,
          Qui remueront encor, comme ceux des serpents.
          Ô ciel ! qui t’aidera ? que ferai-je moi-même,
          Quand celui qui peut tout défendra que je t’aime,
          Et quand mes ailes d’or, frémissant malgré moi,
          M’emporteront à lui pour me sauver de toi ?
          Pauvre enfant ! nos amours n’étaient pas menacées,
          Quand dans les bois d’Auteuil, perdu dans tes pensées,
          Sous les verts marronniers et les peupliers blancs,
          Je t’agaçais le soir en détours nonchalants.
          Ah ! j’étais jeune alors et nymphe, et les dryades
          Entr’ouvraient pour me voir l’écorce des bouleaux,
          Et les pleurs qui coulaient durant nos promenades
          Tombaient, purs comme l’or, dans le cristal des eaux.
          Qu’as-tu fait, mon amant, des jours de ta jeunesse ?
          Qui m’a cueilli mon fruit sur mon arbre enchanté ?
          Hélas ! ta joue en fleur plaisait à la déesse
          Qui porte dans ses mains la force et la santé.
          De tes yeux insensés les larmes l’ont pâlie ;
          Ainsi que ta beauté, tu perdras ta vertu.
          Et moi qui t’aimerai comme une unique amie,
          Quand les dieux irrités m’ôteront ton génie,
          Si je tombe des cieux, que me répondras-tu ?

          Le Poète

          Puisque l’oiseau des bois voltige et chante encore
          Sur la branche où ses oeufs sont brisés dans le nid ;
          Puisque la fleur des champs entr’ouverte à l’aurore,
          Voyant sur la pelouse une autre fleur éclore,
          S’incline sans murmure et tombe avec la nuit,

          Puisqu’au fond des forêts, sous les toits de verdure,
          On entend le bois mort craquer dans le sentier,
          Et puisqu’en traversant l’immortelle nature,
          L’homme n’a su trouver de science qui dure,
          Que de marcher toujours et toujours oublier ;

          Puisque, jusqu’aux rochers tout se change en poussière ;
          Puisque tout meurt ce soir pour revivre demain ;
          Puisque c’est un engrais que le meurtre et la guerre ;
          Puisque sur une tombe on voit sortir de terre
          Le brin d’herbe sacré qui nous donne le pain ;

          Ô Muse ! que m’importe ou la mort ou la vie ?
          J’aime, et je veux pâlir ; j’aime et je veux souffrir ;
          J’aime, et pour un baiser je donne mon génie ;
          J’aime, et je veux sentir sur ma joue amaigrie
          Ruisseler une source impossible à tarir.

          J’aime, et je veux chanter la joie et la paresse,
          Ma folle expérience et mes soucis d’un jour,
          Et je veux raconter et répéter sans cesse
          Qu’après avoir juré de vivre sans maîtresse,
          J’ai fait serment de vivre et de mourir d’amour.

          Dépouille devant tous l’orgueil qui te dévore,
          Coeur gonflé d’amertume et qui t’es cru fermé.
          Aime, et tu renaîtras ; fais-toi fleur pour éclore.
          Après avoir souffert, il faut souffrir encore ;
          Il faut aimer sans cesse, après avoir aimé.

          #146278
          VictoriaVictoria
          Participant

            La Nuit d’octobre – (Recueil : Poésies nouvelles)


            Le Poète

            Le mal dont j’ai souffert s’est enfui comme un rêve.
            Je n’en puis comparer le lointain souvenir
            Qu’à ces brouillards légers que l’aurore soulève,
            Et qu’avec la rosée on voit s’évanouir.

            La Muse

            Qu’aviez-vous donc, ô mon poète !
            Et quelle est la peine secrète
            Qui de moi vous a séparé ?
            Hélas ! je m’en ressens encore.
            Quel est donc ce mal que j’ignore
            Et dont j’ai si longtemps pleuré ?

            Le Poète

            C’était un mal vulgaire et bien connu des hommes ;
            Mais, lorsque nous avons quelque ennui dans le coeur,
            Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes,
            Que personne avant nous n’a senti la douleur.

            La Muse

            Il n’est de vulgaire chagrin
            Que celui d’une âme vulgaire.
            Ami, que ce triste mystère
            S’échappe aujourd’hui de ton sein.
            Crois-moi, parle avec confiance ;
            Le sévère dieu du silence
            Est un des frères de la Mort ;
            En se plaignant on se console,
            Et quelquefois une parole
            Nous a délivrés d’un remord.

            Le Poète

            S’il fallait maintenant parler de ma souffrance,
            Je ne sais trop quel nom elle devrait porter,
            Si c’est amour, folie, orgueil, expérience,
            Ni si personne au monde en pourrait profiter.
            Je veux bien toutefois t’en raconter l’histoire,
            Puisque nous voilà seuls, assis près du foyer.
            Prends cette lyre, approche, et laisse ma mémoire
            Au son de tes accords doucement s’éveiller.

            La Muse

            Avant de me dire ta peine,
            Ô poète ! en es-tu guéri ?
            Songe qu’il t’en faut aujourd’hui
            Parler sans amour et sans haine.
            S’il te souvient que j’ai reçu
            Le doux nom de consolatrice,
            Ne fais pas de moi la complice
            Des passions qui t’ont perdu,

            Le Poète

            Je suis si bien guéri de cette maladie,
            Que j’en doute parfois lorsque j’y veux songer ;
            Et quand je pense aux lieux où j’ai risqué ma vie,
            J’y crois voir à ma place un visage étranger.
            Muse, sois donc sans crainte ; au souffle qui t’inspire
            Nous pouvons sans péril tous deux nous confier.
            Il est doux de pleurer, il est doux de sourire
            Au souvenir des maux qu’on pourrait oublier.

            La Muse

            Comme une mère vigilante
            Au berceau d’un fils bien-aimé,
            Ainsi je me penche tremblante
            Sur ce coeur qui m’était fermé.
            Parle, ami, – ma lyre attentive
            D’une note faible et plaintive
            Suit déjà l’accent de ta voix,
            Et dans un rayon de lumière,
            Comme une vision légère,
            Passent les ombres d’autrefois.

            Le Poète

            Jours de travail ! seuls jours où j’ai vécu !
            Ô trois fois chère solitude !
            Dieu soit loué, j’y suis donc revenu,
            À ce vieux cabinet d’étude !
            Pauvre réduit, murs tant de fois déserts,
            Fauteuils poudreux, lampe fidèle,
            Ô mon palais, mon petit univers,
            Et toi, Muse, ô jeune immortelle,
            Dieu soit loué, nous allons donc chanter !
            Oui, je veux vous ouvrir mon âme,
            Vous saurez tout, et je vais vous conter
            Le mal que peut faire une femme ;
            Car c’en est une, ô mes pauvres amis
            (Hélas ! vous le saviez peut-être),
            C’est une femme à qui je fus soumis,
            Comme le serf l’est à son maître.
            Joug détesté ! c’est par là que mon coeur
            Perdit sa force et sa jeunesse ; -
            Et cependant, auprès de ma maîtresse,
            J’avais entrevu le bonheur.
            Près du ruisseau, quand nous marchions ensemble,
            Le soir, sur le sable argentin,
            Quand devant nous le blanc spectre du tremble
            De loin nous montrait le chemin ;
            Je vois encore, aux rayons de la lune,
            Ce beau corps plier dans mes bras…
            N’en parlons plus… – je ne prévoyais pas
            Où me conduirait la Fortune.
            Sans doute alors la colère des dieux
            Avait besoin d’une victime ;
            Car elle m’a puni comme d’un crime
            D’avoir essayé d’être heureux.

            La Muse

            L’image d’un doux souvenir
            Vient de s’offrir à ta pensée.
            Sur la trace qu’il a laissée
            Pourquoi crains-tu de revenir ?
            Est-ce faire un récit fidèle
            Que de renier ses beaux jours ?
            Si ta fortune fut cruelle,
            Jeune homme, fais du moins comme elle,
            Souris à tes premiers amours.

            Le Poète

            Non, – c’est à mes malheurs que je prétends sourire.
            Muse, je te l’ai dit : je veux, sans passion,
            Te conter mes ennuis, mes rêves, mon délire,
            Et t’en dire le temps, l’heure et l’occasion.
            C’était, il m’en souvient, par une nuit d’automne,
            Triste et froide, à peu près semblable à celle-ci ;
            Le murmure du vent, de son bruit monotone,
            Dans mon cerveau lassé berçait mon noir souci.
            J’étais à la fenêtre, attendant ma maîtresse ;
            Et, tout en écoutant dans cette obscurité,
            Je me sentais dans l’âme une telle détresse
            Qu’il me vint le soupçon d’une infidélité.
            La rue où je logeais était sombre et déserte ;
            Quelques ombres passaient, un falot à la main ;
            Quand la bise sifflait dans la porte entr’ouverte,
            On entendait de loin comme un soupir humain.
            Je ne sais, à vrai dire, à quel fâcheux présage
            Mon esprit inquiet alors s’abandonna.
            Je rappelais en vain un reste de courage,
            Et me sentis frémir lorsque l’heure sonna.
            Elle ne venait pas. Seul, la tête baissée,
            Je regardai longtemps les murs et le chemin, -
            Et je ne t’ai pas dit quelle ardeur insensée
            Cette inconstante femme allumait en mon sein ;
            Je n’aimais qu’elle au monde, et vivre un jour sans elle
            Me semblait un destin plus affreux que la mort.
            Je me souviens pourtant qu’en cette nuit cruelle
            Pour briser mon lien je fis un long effort.
            Je la nommai cent fois perfide et déloyale,
            Je comptai tous les maux qu’elle m’avait causés.
            Hélas ! au souvenir de sa beauté fatale,
            Quels maux et quels chagrins n’étaient pas apaisés !
            Le jour parut enfin. – Las d’une vaine attente,
            Sur le bord du balcon je m’étais assoupi ;
            Je rouvris la paupière à l’aurore naissante,
            Et je laissai flotter mon regard ébloui.
            Tout à coup, au détour de l’étroite ruelle,
            J’entends sur le gravier marcher à petit bruit…
            Grand Dieu ! préservez-moi ! je l’aperçois, c’est elle ;
            Elle entre. – D’où viens-tu ? Qu’as-tu fait cette nuit ?
            Réponds, que me veux-tu ? qui t’amène à cette heure ?
            Ce beau corps, jusqu’au jour, où s’est-il étendu ?
            Tandis qu’à ce balcon, seul, je veille et je pleure,
            En quel lieu, dans quel lit, à qui souriais-tu ?
            Perfide ! audacieuse ! est-il encor possible
            Que tu viennes offrir ta bouche à mes baisers ?
            Que demandes-tu donc ? par quelle soif horrible
            Oses-tu m’attirer dans tes bras épuisés ?
            Va-t’en, retire-toi, spectre de ma maîtresse !
            Rentre dans ton tombeau, si tu t’en es levé ;
            Laisse-moi pour toujours oublier ma jeunesse,
            Et, quand je pense à toi, croire que j’ai rêvé !

            La Muse

            Apaise-toi, je t’en conjure ;
            Tes paroles m’ont fait frémir.
            Ô mon bien-aimé ! ta blessure
            Est encor prête à se rouvrir.
            Hélas ! elle est donc bien profonde ?
            Et les misères de ce monde
            Sont si lentes à s’effacer !
            Oublie, enfant, et de ton âme
            Chasse le nom de cette femme,
            Que je ne veux pas prononcer.

            Le Poète

            Honte à toi qui la première
            M’as appris la trahison,
            Et d’horreur et de colère
            M’as fait perdre la raison !
            Honte à toi, femme à l’oeil sombre,
            Dont les funestes amours
            Ont enseveli dans l’ombre
            Mon printemps et mes beaux jours !
            C’est ta voix, c’est ton sourire,
            C’est ton regard corrupteur,
            Qui m’ont appris à maudire
            Jusqu’au semblant du bonheur ;
            C’est ta jeunesse et tes charmes
            Qui m’ont fait désespérer,
            Et si je doute des larmes,
            C’est que je t’ai vu pleurer.
            Honte à toi, j’étais encore
            Aussi simple qu’un enfant ;
            Comme une fleur à l’aurore,
            Mon coeur s’ouvrait en t’aimant.
            Certes, ce coeur sans défense
            Put sans peine être abusé ;
            Mais lui laisser l’innocence
            Était encor plus aisé.
            Honte à toi ! tu fus la mère
            De mes premières douleurs,
            Et tu fis de ma paupière
            Jaillir la source des pleurs !
            Elle coule, sois-en sûre,
            Et rien ne la tarira ;
            Elle sort d’une blessure
            Qui jamais ne guérira ;
            Mais dans cette source amère
            Du moins je me laverai,
            Et j’y laisserai, j’espère,
            Ton souvenir abhorré !

            La Muse

            Poète, c’est assez. Auprès d’une infidèle,
            Quand ton illusion n’aurait duré qu’un jour,
            N’outrage pas ce jour lorsque tu parles d’elle ;
            Si tu veux être aimé, respecte ton amour.
            Si l’effort est trop grand pour la faiblesse humaine
            De pardonner les maux qui nous viennent d’autrui,
            Épargne-toi du moins le tourment de la haine ;
            À défaut du pardon, laisse venir l’oubli.
            Les morts dorment en paix dans le sein de la terre :
            Ainsi doivent dormir nos sentiments éteints.
            Ces reliques du coeur ont aussi leur poussière ;
            Sur leurs restes sacrés ne portons pas les mains.
            Pourquoi, dans ce récit d’une vive souffrance,
            Ne veux-tu voir qu’un rêve et qu’un amour trompé ?
            Est-ce donc sans motif qu’agit la Providence
            Et crois-tu donc distrait le Dieu qui t’a frappé ?
            Le coup dont tu te plains t’a préservé peut-être,
            Enfant ; car c’est par là que ton coeur s’est ouvert.
            L’homme est un apprenti, la douleur est son maître,
            Et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert.
            C’est une dure loi, mais une loi suprême,
            Vieille comme le monde et la fatalité,
            Qu’il nous faut du malheur recevoir le baptême,
            Et qu’à ce triste prix tout doit être acheté.
            Les moissons pour mûrir ont besoin de rosée ;
            Pour vivre et pour sentir l’homme a besoin des pleurs ;
            La joie a pour symbole une plante brisée,
            Humide encor de pluie et couverte de fleurs.
            Ne te disais-tu pas guéri de ta folie ?
            N’es-tu pas jeune, heureux, partout le bienvenu ?
            Et ces plaisirs légers qui font aimer la vie,
            Si tu n’avais pleuré, quel cas en ferais-tu ?
            Lorsqu’au déclin du jour, assis sur la bruyère,
            Avec un vieil ami tu bois en liberté,
            Dis-moi, d’aussi bon coeur lèverais-tu ton verre,
            Si tu n’avais senti le prix de la gaîté ?
            Aimerais-tu les fleurs, les prés et la verdure,
            Les sonnets de Pétrarque et le chant des oiseaux,
            Michel-Ange et les arts, Shakspeare et la nature,
            Si tu n’y retrouvais quelques anciens sanglots ?
            Comprendrais-tu des cieux l’ineffable harmonie,
            Le silence des nuits, le murmure des flots,
            Si quelque part là-bas la fièvre et l’insomnie
            Ne t’avaient fait songer à l’éternel repos ?
            N’as-tu pas maintenant une belle maîtresse ?
            Et, lorsqu’en t’endormant tu lui serres la main,
            Le lointain souvenir des maux de ta jeunesse
            Ne rend-il pas plus doux son sourire divin ?
            N’allez-vous pas aussi vous promener ensemble
            Au fond des bois fleuris, sur le sable argentin ?
            Et, dans ce vert palais, le blanc spectre du tremble
            Ne sait-il plus, le soir, vous montrer le chemin ?
            Ne vois-tu pas alors, aux rayons de la lune,
            Plier comme autrefois un beau corps dans tes bras,
            Et si dans le sentier tu trouvais la Fortune,
            Derrière elle, en chantant, ne marcherais-tu pas ?
            De quoi te plains-tu donc ? L’immortelle espérance
            S’est retrempée en toi sous la main du malheur.
            Pourquoi veux-tu haïr ta jeune expérience,
            Et détester un mal qui t’a rendu meilleur ?
            Ô mon enfant ! plains-la, cette belle infidèle,
            Qui fit couler jadis les larmes de tes yeux ;
            Plains-la ! c’est une femme, et Dieu t’a fait, près d’elle,
            Deviner, en souffrant, le secret des heureux.
            Sa tâche fut pénible ; elle t’aimait peut-être ;
            Mais le destin voulait qu’elle brisât ton coeur.
            Elle savait la vie, et te l’a fait connaître ;
            Une autre a recueilli le fruit de ta douleur.
            Plains-la ! son triste amour a passé comme un songe ;
            Elle a vu ta blessure et n’a pu la fermer.
            Dans ses larmes, crois-moi, tout n’était pas mensonge.
            Quand tout l’aurait été, plains-la ! tu sais aimer.

            Le Poète

            Tu dis vrai : la haine est impie,
            Et c’est un frisson plein d’horreur
            Quand cette vipère assoupie
            Se déroule dans notre coeur.
            Écoute-moi donc, ô déesse !
            Et sois témoin de mon serment :
            Par les yeux bleus de ma maîtresse,
            Et par l’azur du firmament ;
            Par cette étincelle brillante
            Qui de Vénus porte le nom,
            Et, comme une perle tremblante,
            Scintille au loin sur l’horizon ;
            Par la grandeur de la nature,
            Par la bonté du Créateur,
            Par la clarté tranquille et pure
            De l’astre cher au voyageur.
            Par les herbes de la prairie,
            Par les forêts, par les prés verts,
            Par la puissance de la vie,
            Par la sève de l’univers,
            Je te bannis de ma mémoire,
            Reste d’un amour insensé,
            Mystérieuse et sombre histoire
            Qui dormiras dans le passé !
            Et toi qui, jadis, d’une amie
            Portas la forme et le doux nom,
            L’instant suprême où je t’oublie
            Doit être celui du pardon.
            Pardonnons-nous ; – je romps le charme
            Qui nous unissait devant Dieu.
            Avec une dernière larme
            Reçois un éternel adieu.
            – Et maintenant, blonde rêveuse,
            Maintenant, Muse, à nos amours !
            Dis-moi quelque chanson joyeuse,
            Comme au premier temps des beaux jours.
            Déjà la pelouse embaumée
            Sent les approches du matin ;
            Viens éveiller ma bien-aimée,
            Et cueillir les fleurs du jardin.
            Viens voir la nature immortelle
            Sortir des voiles du sommeil ;
            Nous allons renaître avec elle
            Au premier rayon du soleil !

            #146279
            VictoriaVictoria
            Participant

              Souvenir – (Recueil : Poésies nouvelles)


              J’espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir
              En osant te revoir, place à jamais sacrée,
              O la plus chère tombe et la plus ignorée
              Où dorme un souvenir !

              Que redoutiez-vous donc de cette solitude,
              Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main,
              Alors qu’une si douce et si vieille habitude
              Me montrait ce chemin ?

              Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
              Et ces pas argentins sur le sable muet,
              Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
              Où son bras m’enlaçait.

              Les voilà, ces sapins à la sombre verdure,
              Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
              Ces sauvages amis, dont l’antique murmure
              A bercé mes beaux jours.

              Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,
              Comme un essaim d’oiseaux, chante au bruit de mes pas.
              Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse,
              Ne m’attendiez-vous pas ?

              Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
              Ces larmes que soulève un coeur encor blessé !
              Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
              Ce voile du passé !

              Je ne viens point jeter un regret inutile
              Dans l’écho de ces bois témoins de mon bonheur.
              Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille,
              Et fier aussi mon coeur.

              Que celui-là se livre à des plaintes amères,
              Qui s’agenouille et prie au tombeau d’un ami.
              Tout respire en ces lieux ; les fleurs des cimetières
              Ne poussent point ici.

              Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages.
              Ton regard tremble encor, belle reine des nuits ;
              Mais du sombre horizon déjà tu te dégages,
              Et tu t’épanouis.

              Ainsi de cette terre, humide encor de pluie,
              Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour :
              Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie
              Sort mon ancien amour.

              Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ?
              Tout ce qui m’a fait vieux est bien loin maintenant ;
              Et rien qu’en regardant cette vallée amie
              Je redeviens enfant.

              O puissance du temps ! ô légères années !
              Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets ;
              Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées
              Vous ne marchez jamais.

              Tout mon coeur te bénit, bonté consolatrice !
              Je n’aurais jamais cru que l’on pût tant souffrir
              D’une telle blessure, et que sa cicatrice
              Fût si douce à sentir.

              Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées,
              Des vulgaires douleurs linceul accoutumé,
              Que viennent étaler sur leurs amours passées
              Ceux qui n’ont point aimé !

              Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère
              Qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur ?
              Quel chagrin t’a dicté cette parole amère,
              Cette offense au malheur ?

              En est-il donc moins vrai que la lumière existe,
              Et faut-il l’oublier du moment qu’il fait nuit ?
              Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste,
              Est-ce toi qui l’as dit ?

              Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m’éclaire,
              Ce blasphème vanté ne vient pas de ton coeur.
              Un souvenir heureux est peut-être sur terre
              Plus vrai que le bonheur.

              Eh quoi ! l’infortuné qui trouve une étincelle
              Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis,
              Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle
              Ses regards éblouis ;

              Dans ce passé perdu quand son âme se noie,
              Sur ce miroir brisé lorsqu’il rêve en pleurant,
              Tu lui dis qu’il se trompe, et que sa faible joie
              N’est qu’un affreux tourment !

              Et c’est à ta Françoise, à ton ange de gloire,
              Que tu pouvais donner ces mots à prononcer,
              Elle qui s’interrompt, pour conter son histoire,
              D’un éternel baiser !

              Qu’est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine,
              Et qui pourra jamais aimer la vérité,
              S’il n’est joie ou douleur si juste et si certaine
              Dont quelqu’un n’ait douté ?

              Comment vivez-vous donc, étranges créatures ?
              Vous riez, vous chantez, vous marchez à grands pas ;
              Le ciel et sa beauté, le monde et ses souillures
              Ne vous dérangent pas ;

              Mais, lorsque par hasard le destin vous ramène
              Vers quelque monument d’un amour oublié,
              Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peine
              Qu’il vous heurte le pied.

              Et vous criez alors que la vie est un songe ;
              Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant,
              Et vous trouvez fâcheux qu’un si joyeux mensonge
              Ne dure qu’un instant.

              Malheureux ! cet instant où votre âme engourdie
              A secoué les fers qu’elle traîne ici-bas,
              Ce fugitif instant fut toute votre vie ;
              Ne le regrettez pas !

              Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre,
              Vos agitations dans la fange et le sang,
              Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière :
              C’est là qu’est le néant !

              Mais que vous revient-il de vos froides doctrines ?
              Que demandent au ciel ces regrets inconstants
              Que vous allez semant sur vos propres ruines,
              A chaque pas du Temps ?

              Oui, sans doute, tout meurt ; ce monde est un grand rêve,
              Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin,
              Nous n’avons pas plus tôt ce roseau dans la main,
              Que le vent nous l’enlève.

              Oui, les premiers baisers, oui, les premiers serments
              Que deux êtres mortels échangèrent sur terre,
              Ce fut au pied d’un arbre effeuillé par les vents,
              Sur un roc en poussière.

              Ils prirent à témoin de leur joie éphémère
              Un ciel toujours voilé qui change à tout moment,
              Et des astres sans nom que leur propre lumière
              Dévore incessamment.

              Tout mourait autour d’eux, l’oiseau dans le feuillage,
              La fleur entre leurs mains, l’insecte sous leurs pieds,
              La source desséchée où vacillait l’image
              De leurs traits oubliés ;

              Et sur tous ces débris joignant leurs mains d’argile,
              Etourdis des éclairs d’un instant de plaisir,
              Ils croyaient échapper à cet être immobile

              Qui regarde mourir !
              Insensés ! dit le sage. Heureux dit le poète.
              Et quels tristes amours as-tu donc dans le coeur,
              Si le bruit du torrent te trouble et t’inquiète,
              Si le vent te fait peur?

              J’ai vu sous le soleil tomber bien d’autres choses
              Que les feuilles des bois et l’écume des eaux,
              Bien d’autres s’en aller que le parfum des roses
              Et le chant des oiseaux.

              Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres
              Que Juliette morte au fond de son tombeau,
              Plus affreux que le toast à l’ange des ténèbres
              Porté par Roméo.

              J’ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère,
              Devenue elle-même un sépulcre blanchi,
              Une tombe vivante où flottait la poussière
              De notre mort chéri,

              De notre pauvre amour, que, dans la nuit profonde,
              Nous avions sur nos coeurs si doucement bercé !
              C’était plus qu’une vie, hélas ! c’était un monde
              Qui s’était effacé !

              Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire,
              Je l’ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois.
              Ses lèvres s’entr’ouvraient, et c’était un sourire,
              Et c’était une voix ;

              Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage,
              Ces regards adorés dans les miens confondus ;
              Mon coeur, encor plein d’elle, errait sur son visage,
              Et ne la trouvait plus.

              Et pourtant j’aurais pu marcher alors vers elle,
              Entourer de mes bras ce sein vide et glacé,
              Et j’aurais pu crier : ” Qu’as-tu fait, infidèle,
              Qu’as-tu fait du passé? “

              Mais non : il me semblait qu’une femme inconnue
              Avait pris par hasard cette voix et ces yeux ;
              Et je laissai passer cette froide statue
              En regardant les cieux.

              Eh bien ! ce fut sans doute une horrible misère
              Que ce riant adieu d’un être inanimé.
              Eh bien ! qu’importe encore ? O nature! ô ma mère !
              En ai-je moins aimé?

              La foudre maintenant peut tomber sur ma tête :
              Jamais ce souvenir ne peut m’être arraché !
              Comme le matelot brisé par la tempête,
              Je m’y tiens attaché.

              Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent;
              Ni ce qu’il adviendra du simulacre humain,
              Ni si ces vastes cieux éclaireront demain
              Ce qu’ils ensevelissent.

              Je me dis seulement : ” À cette heure, en ce lieu,
              Un jour, je fus aimé, j’aimais, elle était belle. “
              J’enfouis ce trésor dans mon âme immortelle,
              Et je l’emporte à Dieu !

              #142150
              VictoriaVictoria
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