LECONTE DE LISLE – Poésies

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  • #146350
    VictoriaVictoria
    Participant

      LECONTE DE LISLE – Poésies

      Le Sommeil du condor – (Recueil : Poèmes barbares)





      Par-delà l’escalier des roides Cordillières,
      Par-delà les brouillards hantés des aigles noirs,
      Plus haut que les sommets creusés en entonnoirs
      Où bout le flux sanglant des laves familières,
      L’envergure pendante et rouge par endroits,
      Le vaste Oiseau, tout plein d’une morne indolence,
      Regarde l’Amérique et l’espace en silence,
      Et le sombre soleil qui meurt dans ses yeux froids.
      La nuit roule de l’est, où les pampas sauvages
      Sous les monts étagés s’élargissent sans fin ;
      Elle endort le Chili, les villes, les rivages,
      Et la mer Pacifique, et l’horizon divin ;
      Du continent muet elle s’est emparée :
      Des sables aux coteaux, des gorges aux versants,
      De cime en cime, elle enfle, en tourbillons croissants,
      Le lourd débordement de sa haute marée.
      Lui, comme un spectre, seul, au front du pic altier,
      Baigné d’une lueur qui saigne sur la neige,
      Il attend cette mer sinistre qui l’assiège :
      Elle arrive, déferle, et le couvre en entier.
      Dans l’abîme sans fond la Croix australe allume
      Sur les côtes du ciel son phare constellé.
      Il râle de plaisir, il agite sa plume,
      Il érige son cou musculeux et pelé,
      Il s’enlève en fouettant l’âpre neige des Andes,
      Dans un cri rauque il monte où n’atteint pas le vent,
      Et, loin du globe noir, loin de l’astre vivant,
      Il dort dans l’air glacé, les ailes toutes grandes.

      #146351
      VictoriaVictoria
      Participant

        Aux Modernes – (Recueil : Poèmes barbares)


        Vous vivez lâchement, sans rêve, sans dessein,
        Plus vieux, plus décrépits que la terre inféconde,
        Châtrés dès le berceau par le siècle assassin
        De toute passion vigoureuse et profonde.

        Votre cervelle est vide autant que votre sein,
        Et vous avez souillé ce misérable monde
        D’un sang si corrompu, d’un souffle si malsain,
        Que la mort germe seule en cette boue immonde.

        Hommes, tueurs de Dieux, les temps ne sont pas loin
        Où, sur un grand tas d’or vautrés dans quelque coin,
        Ayant rongé le sol nourricier jusqu’aux roches,

        Ne sachant faire rien ni des jours ni des nuits,
        Noyés dans le néant des suprêmes ennuis,
        Vous mourrez bêtement en emplissant vos poches.

        #146352
        VictoriaVictoria
        Participant

          Les Eléphants – (Recueil : Poèmes barbares)


          Le sable rouge est comme une mer sans limite,
          Et qui flambe, muette, affaissée en son lit.
          Une ondulation immobile remplit
          L’horizon aux vapeurs de cuivre où l’homme habite.

          Nulle vie et nul bruit. Tous les lions repus
          Dorment au fond de l’antre éloigné de cent lieues,
          Et la girafe boit dans les fontaines bleues,
          Là-bas, sous les dattiers des panthères connus.

          Pas un oiseau ne passe en fouettant de son aile
          L’air épais, où circule un immense soleil.
          Parfois quelque boa, chauffé dans son sommeil,
          Fait onduler son dos dont l’écaille étincelle.

          Tel l’espace enflammé brûle sous les cieux clairs.
          Mais, tandis que tout dort aux mornes solitudes,
          Lés éléphants rugueux, voyageurs lents et rudes
          Vont au pays natal à travers les déserts.

          D’un point de l’horizon, comme des masses brunes,
          Ils viennent, soulevant la poussière, et l’on voit,
          Pour ne point dévier du chemin le plus droit,
          Sous leur pied large et sûr crouler au loin les dunes.

          Celui qui tient la tête est un vieux chef. Son corps
          Est gercé comme un tronc que le temps ronge et mine
          Sa tête est comme un roc, et l’arc de son échine
          Se voûte puissamment à ses moindres efforts.

          Sans ralentir jamais et sans hâter sa marche,
          Il guide au but certain ses compagnons poudreux ;
          Et, creusant par derrière un sillon sablonneux,
          Les pèlerins massifs suivent leur patriarche.

          L’oreille en éventail, la trompe entre les dents,
          Ils cheminent, l’oeil clos. Leur ventre bat et fume,
          Et leur sueur dans l’air embrasé monte en brume ;
          Et bourdonnent autour mille insectes ardents.

          Mais qu’importent la soif et la mouche vorace,
          Et le soleil cuisant leur dos noir et plissé ?
          Ils rêvent en marchant du pays délaissé,
          Des forêts de figuiers où s’abrita leur race.

          Ils reverront le fleuve échappé des grands monts,
          Où nage en mugissant l’hippopotame énorme,
          Où, blanchis par la Lune et projetant leur forme,
          Ils descendaient pour boire en écrasant les joncs.

          Aussi, pleins de courage et de lenteur, ils passent
          Comme une ligne noire, au sable illimité ;
          Et le désert reprend son immobilité
          Quand les lourds voyageurs à l’horizon s’effacent.

          #146353
          VictoriaVictoria
          Participant

            Midi – (Recueil : Poésies diverses)


            Midi, Roi des étés, épandu sur la plaine,
            Tombe en nappes d’argent des hauteurs du ciel bleu.
            Tout se tait. L’air flamboie et brûle sans haleine ;
            La Terre est assoupie en sa robe de feu.

            L’étendue est immense, et les champs n’ont point d’ombre,
            Et la source est tarie où buvaient les troupeaux ;
            La lointaine forêt, dont la lisière est sombre,
            Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.

            Seuls, les grands blés mûris, tels qu’une mer dorée,
            Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil ;
            Pacifiques enfants de la Terre sacrée,
            Ils épuisent sans peur la coupe du Soleil.

            Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
            Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
            Une ondulation majestueuse et lente
            S’éveille, et va mourir à l’horizon poudreux.

            Non loin, quelques boeufs blancs, couchés parmi les herbes,
            Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
            Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
            Le songe intérieur qu’ils n’achèvent jamais.

            Homme, si, le coeur plein de joie ou d’amertume,
            Tu passais vers midi dans les champs radieux,
            Fuis ! la Nature est vide et le Soleil consume :
            Rien n’est vivant ici, rien n’est triste ou joyeux.

            Mais si, désabusé des larmes et du rire,
            Altéré de l’oubli de ce monde agité,
            Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire,
            Goûter une suprême et morne volupté,

            Viens ! Le Soleil te parle en paroles sublimes ;
            Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin ;
            Et retourne à pas lents vers les cités infimes,
            Le coeur trempé sept fois dans le Néant divin.

            #146354
            VictoriaVictoria
            Participant

              L’Albatros – (Recueil : Poèmes tragiques)


              Dans l’immense largeur du Capricorne au Pôle
              Le vent beugle, rugit, siffle, râle et miaule,
              Et bondit à travers l’Atlantique tout blanc
              De bave furieuse. Il se rue, éraflant
              L’eau blême qu’il pourchasse et dissipe en buées ;
              Il mord, déchire, arrache et tranche les nuées
              Par tronçons convulsifs où saigne un brusque éclair ;
              Il saisit, enveloppe et culbute dans l’air
              Un tournoiement confus d’aigres cris et de plumes
              Qu’il secoue et qu’il traîne aux crêtes des écumes,
              Et, martelant le front massif des cachalots,
              Mêle à ses hurlements leurs monstrueux sanglots.
              Seul, le Roi de l’espace et des mers sans rivages
              Vole contre l’assaut des rafales sauvages.
              D’un trait puissant et sûr, sans hâte ni retard,
              L’oeil dardé par delà le livide brouillard,
              De ses ailes de fer rigidement tendues
              Il fend le tourbillon des rauques étendues,
              Et, tranquille au milieu de l’épouvantement,
              Vient, passe, et disparaît majestueusement.

              #146355
              VictoriaVictoria
              Participant

                Le Rêve du jaguar – (Recueil : Poèmes barbares)


                Sous les noirs acajous, les lianes en fleur,
                Dans l’air lourd, immobile et saturé de mouches,
                Pendent, et, s’enroulant en bas parmi les souches,
                Bercent le perroquet splendide et querelleur,
                L’araignée au dos jaune et les singes farouches.
                C’est là que le tueur de boeufs et de chevaux,
                Le long des vieux troncs morts à l’écorce moussue,
                Sinistre et fatigué, revient à pas égaux.
                Il va, frottant ses reins musculeux qu’il bossue ;
                Et, du mufle béant par la soif alourdi,
                Un souffle rauque et bref, d’une brusque secousse,
                Trouble les grands lézards, chauds des feux de midi,
                Dont la fuite étincelle à travers l’herbe rousse.
                En un creux du bois sombre interdit au soleil
                Il s’affaisse, allongé sur quelque roche plate ;
                D’un large coup de langue il se lustre la patte ;
                Il cligne ses yeux d’or hébétés de sommeil ;
                Et, dans l’illusion de ses forces inertes,
                Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
                Il rêve qu’au milieu des plantations vertes,
                Il enfonce d’un bond ses ongles ruisselants
                Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.

                #142157
                VictoriaVictoria
                Participant
                  #146356
                  VictoriaVictoria
                  Participant

                    Les Elfes – (Recueil : Poèmes barbares)


                    Couronnés de thym et de marjolaine,
                    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

                    Du sentier des bois aux daims familier,
                    Sur un noir cheval, sort un chevalier.
                    Son éperon d’or brille en la nuit brune ;
                    Et, quand il traverse un ravon de lune,
                    On voit resplendir, d’un reflet changeant,
                    Sur sa chevelure un casque d’argent.

                    Couronnés de thym et de marjolaine,
                    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

                    Ils l’entourent tous d’un essaim léger
                    Qui dans l’air muet semble voltiger.
                    – Hardi chevalier, par la nuit sereine,
                    Où vas-tu si tard ? dit la jeune Reine.
                    De mauvais esprits hantent les forêts
                    Viens danser plutôt sur les gazons frais.

                    Couronnés de thym et de marjolaine,
                    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

                    – Non ! ma fiancée aux yeux clairs et doux
                    M’attend, et demain nous serons époux.
                    Laissez-moi passer, Elfes des prairies,
                    Qui foulez en rond les mousses fleuries ;
                    Ne m’attardez pas loin de mon amour,
                    Car voici déjà les lueurs du jour.

                    Couronnés de thym et de marjolaine,
                    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

                    – Reste, chevalier. Je te donnerai
                    L’opale magique et l’anneau doré,
                    Et, ce qui vaut mieux que gloire et fortune,
                    Ma robe filée au clair de la lune.
                    – Non ! dit-il. – Va donc ! – Et de son doigt blanc
                    Elle touche au coeur le guerrier tremblant.

                    Couronnés de thym et de marjolaine,
                    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

                    Et sous l’éperon le noir cheval part.
                    Il court, il bondit et va sans retard ;
                    Mais le chevalier frissonne et se penche ;
                    Il voit sur la route une forme blanche
                    Qui marche sans bruit et lui tend les bras :
                    – Elfe, esprit, démon, ne m’arrête pas !

                    Couronnés de thym et de marjolaine,
                    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

                    Ne m’arrête pas, fantôme odieux !
                    Je vais épouser ma belle aux doux yeux.
                    – Ô mon cher époux, la tombe éternelle
                    Sera notre lit de noce, dit-elle.
                    Je suis morte ! – Et lui, la voyant ainsi,
                    D’angoisse et d’amour tombe mort aussi.

                    Couronnés de thym et de marjolaine,
                    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

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