KOWKA – Romain de Laroque

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    CocotteCocotte
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      CocotteCocotte
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        Romain de Laroque    KOWKA

        Il existait dans une région appelée Cézarenque, une grande forêt sombre fréquentée principalement par des chasseurs et des charbonniers. Cette région était traversée par une rivière dénommée la Rodière. Pourtant en son sein existait un gros bourg diraient les gens de l'extérieur, une petite ville diraient ses habitants, mais pour tout le monde, elle se nommait fièrement Carsan-d'Euzet.

        C'est là que résidait Monsieur Romain de Laroque, dans la rue de Lussan, l'ancienne grand rue. C'était un petit homme rondouillard, on aurait même pu dire confortable. Il était herboriste ce qui était très pratique, lui qui souffrait d'un estomac porté fièrement en avant. Ses joues cramoisies étaient en partie cachées par de grands favoris blancs qui lui mangeaient ainsi une partie du cou et lui cachaient les oreilles qu'il avait très petites. Blancs comme les quelques rares cheveux ramenés sur son crâne lui aussi rubicond.

        Son officine, bien éclairée par deux grandes vitrines, ressemblait à une bibliothèque, mais ici il ne s'agissait pas de livres, mais de bocaux tous rangés au garde à vous sur de longues étagères en chêne foncé encaustiquées, garnies d'un petit feston de vichy rouge qui rompait l'austérité des lieux. Monsieur de Laroque était connu de tous les habitants de cette petite ville endormie au bord de la Rodière. Les enfants, tout particulièrement, l'aimaient beaucoup, il avait toujours une boite de jujubes à la réglisse en poche, et n'en était pas avare.

        Il était très gourmand, mais mangeait peu, vu sa dyspepsie chronique. Il était devenu par la force des choses un fin gourmet. Il était par exemple, très friand des pets de nonnes de Madame Frigoulet de la pâtisserie voisine. C'était un de ses rares défauts, mais tous les habitants trouvaient cela mignon que ce monsieur si sérieux ait comme tout un chacun son petit défaut. Il portait de petites bottines vernies à boutons qui se laçaient haut sur la cheville comme c'était encore la mode. Lorsqu'il sortait il mettait un petit chapeau tyrolien qui aurait été ridicule sur toute autre personne que lui. Un grand parapluie accroché à son bras termine cette revue un peu inquisitrice. Il aimait particulièrement se promener en ville et tout particulièrement admirer les Laguioles de l'Aubrac de son voisin de gauche. C'était un homme affable. Il saluait toutes les dames en soulevant délicatement son chapeau, trois quatre centimètres, pas plus. Jamais il ne dévoilait la nudité de son crâne, il aurait trouvé cela inconvenant. Pour les hommes un bref geste de la tête suffisait. Dès rentré chez lui, il accrochait son chapeau, sa canne, sa redingote verte à un porte-manteau constitué d'un assemblage savant d'andouillers de cerf. Vous voyez : un de ces porte-manteaux avec un miroir au milieu où l'on peut redresser sa cravate ou arranger sa voilette avant de sortir.

        Notre homme avait une particularité troublante, chaque fois qu'il se déplaçait, il émanait de sa personne un délicat parfum de pomme contenant une pointe de cannelle et un léger soupçon de cédrat. Le chaland, surtout féminin, était enchanté des délicates senteurs qui l'accompagnaient. Il savait par des observations pertinentes que les parfums agréables mais discrets augmentaient ses ventes. De plus, tout le monde le trouvait sympathique. Qui n'aurait pas trouvé sympathique une petit homme, tout rond, sentant la pomme? Par contre, aucune des dames de sa clientèle n'aurait pu dire s'il en avait le goût. Il était veuf depuis de nombreuses années et était resté fidèle à la mémoire de sa défunte épouse.

        En été dès la journée finie, il sortait une chaise, et venait s'asseoir sur le seuil de la boutique. C'est à cet instant qu'il tirait son gilet vers le bas, il l'aimait bien tendu sur le ventre. Il regardait sa montre, la remontait, puis la glissait avec précaution dans son gousset. Enfin, il prenait sa longue pipe en terre cuite terminée par une tête en porcelaine de Saxe munie d'un couvercle d'argent. Il la bourrait avec application, avec un sérieux démenti par le sourire imperceptible qui régnait au fond des yeux. Il la portait à sa bouche, l'allumait avec gravité. C'est alors qu'il se laissait aller légèrement en arrière avec un soupir d'aise. On devinait à le voir que pour lui la journée de travail était terminée. Si on tendait l'oreille, on pouvait l'entendre suçoter avec un ravissement chaque jour renouvelé. Si on écoutait avec attention, il s'agissait d'une suite mouillée de petites aspirations de fumée suivies de la même suite de rejets, comme une locomotive à vapeur faisant partie d'un circuit miniature pour enfant. Pour notre homme c'était sa façon de décompresser de sa longue journée qui se passait à servir ses clientes, à exécuter leurs prescriptions.

        Un soir d'hiver, Lulu, le petit garçon d'en face se cacha derrière une armoire-comptoir pour chaparder à son aise quelques bonbons et autres berlingots, il savait qu'après la fermeture l'herboriste montait dans son petit appartement du premier étage.

        Aussi fut-il fort étonné de voir le petit homme, fermer avec grand soin la porte d'entrée et au lieu de monter comme prévu, se pencher sur une des armoires de l'officine, pousser sur un bouton caché, entendre la vitrine pivoter sur son axe, dévoilant un trou noir dans le mur et de voir l'herboriste s'y engouffrer avec hâte.

        Intrigué par ce manège auquel il ne s'attendait pas du tout, Lulu curieux comme tout enfant de son âge, pénétra également dans l'ouverture pour découvrir un grand palier se terminant par un escalier en colimaçon, plongeant vers des profondeurs inconnues. Il descendit ainsi une cinquantaine de marches la peur au ventre, jusqu'au moment où un terrible tintamarre métallique rompit le silence sépulcral des lieux. La vision sur le mur des reflets de flammes et d'ombres semblant se battre entre elles, fut de trop pour ce petit garçon. Terrifié, il remonta en triple vitesse. Il jeta un dernier regard derrière lui, pour voir s'il n'était pas suivi. Il finit par s'enfuir la peur au ventre, passa par le jardin, traversa la rue et rentra chez lui, livide comme un mort. Il raconta tout à ses parents, l'armoire, le trou noir, les bruits effrayants et les bagarres. Ils en parlèrent à leur voisin et enfin aux gendarmes.

        Marcel Salazac, le Maréchal des Logis, connaissait très bien Romain l'herboriste.

        — Ce n'est pas possible ! Mais enfin que voulez -vous qu'il fasse dans sa cave?

        — Enfin, chef, mon garçon n'a quand même pas inventé toute cette histoire, et puis une armoire secrète qui s'ouvre, les femmes disparues dont on parle dans les journaux ? convenez avec nous que c'est quand même louche.

        — Bon, dit Marcel, nous allons aller chez lui et je verrai sur place, on n'entre pas ainsi chez un notable de la ville.

        Guidé par Lulu, ses parents, les voisins, les gendarmes pénétrèrent par la porte du jardin, sans faire de bruit dans l'officine, ils ne purent plus lâcher du regard le trou noir baillant dans le mur. Pour les gendarmes, il était là, comme un tissu rouge offert au taureau dans l'arène. Vous voyez chef que Lulu n'avait rien inventé! Le Maréchal des Logis descendit avec son adjoint en laissant tous les curieux accompagnés d'un agent dans l'officine après leur avoir recommandé le plus grand silence. Courageusement ils avalèrent les nombreuses marches les unes après les autres. Était-ce la peur, le stress ou l'effort mais la transpiration leur était montée au front et aux tempes.

        Ils débouchèrent enfin sur le seuil d'une grande pièce voûtée avec au centre une énorme cuisinière à huit feux, un véritable piano de professionnel. Au milieu des casseroles, monsieur de Laroque courait de l'une à l'autre, mesurait, versait, jugeait, goûtait, transférait une matière dorée d'aspect épais et appétissant. On aurait dit un fou ou, plutôt, un pantin déréglé entre les mains d'un marionnettiste totalement aliéné.

        — Mais que se passe-t–il ici, Romain, hurla le chef des Logis ?

        Monsieur de Laroque sursauta, renversa le caquelon qu'il tenait en main, la préparation dorée tomba dans une friteuse pleine d'huile bouillante, perdue. Atterré, il regarda les dégâts puis il apostropha le militaire.

        — Quoi ? Qu'est-ce ? Que fais-tu ici Marcel ?

        — Je vous ai demandé des explications, le petit Lulu nous a prévenu que des choses peu orthodoxes se passaient chez toi.

        — Mais enfin répondit-il, je suis chez moi; Comme tu peux le voir, j'expérimente une nouvelle recette pour les fêtes de fin d'année, et la voilà perdue par ta faute. Mais enfin qu'est ce qui t'a pris de crier ainsi. Tu sais bien que chaque fête de fin d'année, j'invente une nouvelle friandise, tu devrais y être habitué depuis le temps, toi Marcel, tu dois bien le savoir, tu m'en as assez chapardé quand tu étais petit.

        Marcel, devenant rubicond :

        — Bon, bon, maître de Laroque, tout va bien, nous vous laissons à vos occupations.

        — Dis Marcel ne sois quand même pas trop sévère avec Lulu. Je savais que régulièrement il me piquait des bonbons, mais tu vois, moi, j'adore les enfants et le destin veut que je n'en ai pas eu et que je n'en aurai jamais alors j'essaye de gâter ceux des autres.

        Le Maréchal des Logis confus, très gêné remonta avec son adjoint, vouant aux gémonies, les enfants trop curieux. Son adjoint, lui, avait un petit sourire aux lèvres qu'il dissimula du mieux qu'il put.

        Arrivé au dessus; Marcel, rouge de colère et un peu de honte, apostropha son monde en leur intimant l'ordre de rentrer chez eux.

        — Monsieur de Laroque ne fait que cuisiner!

        Dans la cave, Romain attristé de la méfiance de ses voisins retourna à ses occupations. Le contenu de la friteuse avait durci et était cuit à cœur, c'était devenu une fine couche de pâte un peu boursouflée, un genre d'oublie très dure et cassante. Par curiosité gourmande, il en goûta un morceau, et là miracle. De dur et cassant, dès le contact avec la salive, cela fondait avec une onctuosité magique en une harmonie de miel, fleur d'oranger et anis. Saupoudré de sucre farine, pensa-t-il, j'aurai là ma friandise de Noël.

        Voilà pourquoi dans toute la Cézarenque jusqu'aux confins du Comtât vers l'est et les Cévennes vers l'Ouest, il y a des oreillettes aux fêtes de fin d'année.

        C'est en souvenir des petites oreilles de son inventeur que ce joli nom fut donné à cette gourmandise, seule la petite ville de Carsan-d'Euzet n'eut jamais le droit à cette friandise, ce fut là, sa seule punition. Les meilleures, encore aujourd'hui sont les “Oreillettes de Laroque” – A.O.C. Elle sont toujours très appréciées et recherchées dans cette région aujourd'hui et font même partie des treize desserts de Provence, mais ceci est une autre histoire.

         

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