KOWKA – La Roche aux Fades

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      CocotteCocotte
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        La Roche aux Fades.

        KOWKA

         

        J'étais dans un petit village de Provence où je passais l'été. J'étais chez tante Florence et oncle Joseph. Je les appelais tante et oncle mais en réalité Joseph était le parrain de mon père né là, par accident, pendant l'évacuation de '40. Passionné d'insectes, les alentours n'avaient plus aucun secret pour moi. Ce matin-là je m'ennuyais un peu, j'ai donc décidé d'aller voir mon oncle faucher une petite emblavure de blé qu'il possédait au pied de la montagne. Lui était parti un peu avant l'aube, il avait décroché la faux qui depuis trois jours l'attendait. Effectivement, depuis tout ce temps, il la dorlotait, la bichonnait, l'équilibrait, la caressait comme on caresse une amante. C'était la faux de son père, une faux d'avant-guerre. Il partit de son pas lent, tranquille, l'outil sur l'épaule, moissonner son labeur. Je le rejoignis vers dix heures. Je lui apportais, comme à l'accoutumée, l'omelette et le vin. Le soleil déjà haut dans le ciel d'azur dardait de ses chauds rayons tout le vallon. Juste après l'ombre du dernier bosquet, surgissant dans la lumière, apparut brusquement à mon regard une scène digne d'un tableau de Millet. D'un geste amoureux, apparemment aisé mais combien éreintant, d'une rare élégance terrienne, que seul le paysan peut comprendre, Joseph fauchait. Ses bras allaient de droite à gauche avec une facilité déconcertante; les gerbes tombaient les unes après les autres en gémissant. Elles marquaient un temps d'arrêt lorsque la faux les heurtait, puis, comme à regret, se pâmaient en douceur sur le côté, formant un andain régulier. L'or de la terre se mêlait, fusionnait intimement avec l'or du ciel. Seule la faux bruissait et soulignait ainsi le silence de cette chaude matinée. Une fine poussière, comme de la poudre d'or, auréolait mon oncle. Dans cette lumière estivale on aurait dit un saint orant. Cette scène me rappelait “Regain” du chantre de Manosque. De temps à autre, il s'arrêtait et, d'un grand mouchoir à carreaux tiré de la poche de son bleu, s'essuyait le front perlant de gouttes d'or. Je restais longtemps là, à regarder cet homme tout à son occupation. Je n'osais troubler cet instant magique, image parfaite de l'amour pour la terre nourricière. Une buse pleura dans le ciel bleu, l'immortalité de l'instant était rompue, le film reprenait son cours. Je m'avançais vers Joseph pour lui porter son rafraîchissement. Pourquoi à cet instant me signala-t-il la Roche aux Fades, nul ne le saura jamais.

        Tu suis le petit chemin, tu passes près de la capitelle et, juste derrière, un sentier te mènera à cet endroit que personne ne fréquente, superstitions d'une autre époque, je ne sais, mais je n'aime pas aller par là, il y règne une ambiance désagréable; mais peut-être y trouveras-tu des insectes intéressants.

        C'est là que je le trouvai. Il était crotté, recroquevillé, en piteux état. Je l'avais d'abord pris pour une libellule en perdition. C'était terrible, l'enfançon avait une aile brisée, pour un elfe c'est pire que pour nous, de perdre la vue. Il était recroquevillé au pied d'une souche moussue. et tout apeuré, il m'avait pleuré son cas. Je l'ai ramené tendrement, au chaud, serré sur mon sein. Plus tard, il m'accompagna en Belgique calfeutré dans ma besace de poitrine, celle de chasse, où je lui avais aménagé un nid douillet et odorant composé d'un savant mélange d'herbe, de fleurs d'aspic et d'une pointe de romarin. Tout le long du voyage de retour, il regardait les paysages de ses grands yeux. Rentré à la maison, je l'avais amoureusement installé chez moi. Je lui avais même confectionné une légère attèle. L'enfant grandit et vola mon cœur. Une nuit sans lune, après une dernière métamorphose, une jouvencelle aux ailes parfaites vit le jour. Elle était d'une couleur que les poètes appellent cuisse-de-nymphe-émue, blanc vanillé avec une très, très légère touche de rose. Elle la portait fièrement, comme un étendard. Un soir de printemps à la vesprée, je la reconduisis au Vert-Bois enchanteur, près de chez moi, discrètement et secrètement car l'homme est envieux. Le rossignol commençait sa chanson de nuit; après un dernier regard, elle prit son envol et très vite se confondit avec les mouvements browniens des poussières scintillantes dans les rayons de lune. Elle disparut, elle emportait mon âme.

        Lorsque je vais me promener au bois, il m'arrive de temps à autres de sentir une caresse aérienne sur mes lèvres, comme un vent léger et parfumé, je crois bien que c'est son merci.

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