- Ce sujet contient 1 réponse, 1 participant et a été mis à jour pour la dernière fois par Cocotte, le il y a 8 années et 8 mois.
- AuteurMessages
- 10 mars 2016 à 15h37 #14438710 mars 2016 à 15h37 #158961
Abécédaire
KOWKA
A comme amour,
J'aurais pu choisir Asurbanipal ou anacoluthe, des mots riches de sens et à la musicalité certaine. Mais en final, je suis tombé dans le mot amour, le plus beau de la langue française. Le grand mot est lâché, le mot fourre-tout, mais c'est un mot tellement important, tellement existentiel.
Cela me rappelle l'histoire de la petite fille qui demande à son camarade de classe qui est assis à côté d'elle.
— C'est quoi l'amour ?
Il lui répond:
— C'est quand tu me piques un morceau de chocolat, chaque jour, dans mon cartable et moi, tous les soirs, j'en mets un morceau exprès pour que tu puisses en trouver un chaque matin…
Il y a toutes sortes d'amour, l'amour des livres, l'amour du sport, l'amour des animaux, il y a même l'amour de soi. Le seul vrai amour est l'amour de l'autre au singulier. C'est une source vitale, lorsqu'on y a goûté, le perdre c'est rester malheureux le reste de sa vie et si pas malheureux, il y a toujours un manque. C'est comme une drogue mais en plus puissant, car il n'y a jamais rémission et on ne peut en guérir totalement. L'amour de l'autre est difficile à expliquer, il est difficile à comprendre si on ne l'a jamais connu. La seule chose que je puisse offrir, sont des images parlantes, mais elles restent malgré tout en deçà.
C'est d'abord des images bucoliques, comme la source si fraîche qui tremble au fond des sables du désert, l'herbe des lapins qui était belle et se croyait éternelle, l'air chaud et bleu de midi qui fleure l'été répandu, le jardin repu de chaleur, empli de carmins acidulés et de grenats béats ou les trilles fous et lancinants du merle dont le cœur bat si chaud.
Ce sont aussi des images magiques, comme l'amour, des yeux passent à l'âme, de l'âme aux sens, puis des sens au désir, tout est dans l'esprit, la brume qui lentement monte de la vallée et envahit ses flancs.
Ce sont encore des images domestiques, comme la journée de dur labeur, clôturée par le son de l'angélus, le linge lavé, rincé, vergé, fleurant le propre, étendu sur le pré ensoleillé puis le même fleurant la lavande, remisé, rangé dans l'armoire, le pain fraîchement cuit qui embaume sur la table bien mise ou le feu réconfortant, si joyeux qui crépite et habite l'âtre.
C'est encore et toujours être deux, comme je me suis senti seul toute ma vie, sauf avec toi, c'est en effet un étrange corps à corps, un surprenant cœur à cœur!
C'est enfin voir la lumière toujours et être amoureux de la nuit! C'est entendre le rire des petits bouts insouciants qui hurlent leur joie à la récréation. C'est cette belle enfant qui chante, si pur, si beau que ta gorge se noue. C'est l'ombre du monde qui se lève à l'aurore.
C'est comme le dit Lévy “…Je vais peut-être dire une bêtise…Je crois qu'il y a une sorte d'aura autour des couples de vrais amoureux et que même quand ils ne se regardent pas, quand ils ne se touchent pas, on sent les liens qui existent entre eux…
B comme Bachi-Bouzouk
Dans ma petite enfance, j'habitais un coron de la banlieue liégeoise. Dans mon quartier outre le marchand de glace, dans sa camionnette et l'acheteur de peaux de lapins, avec sa trompette, il y avait un homme à la peau foncée, basanée. Il passait régulièrement et sonnait aux portes, puis avec un sourire qui éclairait ses dents qu'il avait très blanches, il proposait avec beaucoup de bagout ses tapis qu'il portait fièrement sur l'épaule. C'était un drôle d'individu coiffé d'un fez rouge avec un pompon jaune. On l'appelait le “Bachi-Bouzouk”. Il était vraiment extraordinaire, je l'aimais beaucoup moi qui avait toujours cru que c'était uniquement une insulte du Capitaine Haddock.
C comme Compostelle
Au bout du chemin, de la terre
En Galice pleine d’Abbés
L’ocre emplit le ciel ouvert
On y trouve l’éternité.
D comme Désir
Je t'écris du royaume des souvenirs
De notre adolescence d'antan
T'en souviens-tu, Je t'appelais Désir
Te me disais je t'aime, tout le tempsCes seins qui m'affolaient tant
Ressemblaient aux fruits
Sous le corsage à volants
De septembre qui s'enfuitDoux comme une caresse
Blanc comme le laiteux de ta peau
Ils n'étaient que promesses
Comme de beaux appeauxNous nous réfugiions dans la grange
Pour mieux y cacher nos jeux
Et le soir venu, dans ma chambre
Tu te glissais entre mes draps pelucheuxVingt ans ont passé, je ne t'ai jamais revue
Mais t'en souvient-il, je t'appelais Désir
Dans mon sommeil, hier, je t'ai aperçue
C'est avec toi que j'aimerais mourirE comme Eglise
Au centre d'un grand espace
Avec son toit d'ardoises grises
Où régulièrement le village passe
Elle trône en croix, notre église
Doigt levé, le clocher avec le ciel devise
Les maisons alentour ont la tête basse
Les hirondelles trissent, portées par la brise
Mais dans l'ombre, l'air nous glace
Ce matin, la tondeuse municipale
Pour ingérer l'herbe haute qui dépasse
Nous berce de son ronron matinal
Et inlassable, passe et repasse
Demain on enterre celui qui trépasse
L'église sera pleine d'âmes qui prient
Pour lui dont ce n'est déjà plus la place
Et puis, ensuite, continuera la vie
F comme Feuilles mortes
Les feuilles d'automne, en leur vêture d'hiver pleuvent et recouvrent le sol de multiples éclats de bonheur, on dirait un tapis de chaleur volé à l'été. La route est habillée de feuilles sang et feux, certaines ourlées de douceur ou de miel. Elles tapissent ma mémoire d'éclats au soleil empruntés. Chacune est une page illustrée formant ainsi un grand livre de lumière. Le chemin du bois me prend par la main et tout en me ramenant à la maison me montre du doigt qu'il est couvert de pages lues.
G comme galets
Je ne puis m'empêcher de songer que tous ces beaux galets se chauffant sans vergogne au soleil du Midi sont des privilégiés du temps. Quand on pense que les galets du Gardon de Mialet ont été les compagnons de jeux des jeunes iguanodons. Qu'ils servaient de nid aux œufs des lamantosaures, où ceux-ci, dans un parfait mimétisme, pouvaient mûrir en toute sécurité et devenir de parfaits fruits blancs mouchetés de gris sale.
Ils ont été ensuite la cachette idéale de ces petits mammifères du cénozoïque qui avaient peur de tout et de rien. Enfin ils ont servi de décor aux mégathériums, mammifères géants, jaloux de leurs prédécesseurs reptiles et voulant à toute force leur ressembler, hélas, cul de sac de l'évolution. Et, pour terminer, objets, de jeux de Toumaï et Lucy, puis armes pour Cro-Magnon.
Ceux de ma grand-mère sont de pâte levée et n'ont aucune histoire, si ce n'est familiale.
H comme Hérisson
Elégante brosse ronde servant au petit savoyard pour la cheminée. Mais des posée par terre, elle chemine a tout va. Son gros défaut est de se mettre en boule lorsque les phares des voitures troublent son parcours. Elle n'est pas de marbre hélas, comme nous elle est de sang et de chair. On appelle ses petits des châtaignes, il y en a même de mer. A la cave il boit le restant des bouteilles qu'on lui enfile sur le dos.
I comme in pace
Les pierres anciennes, de lichen envahies
Sont comme enchâssées dans la joubarbe rouille
Elles forment de hauts murs à la couleur unie
Dans lesquelles j'aimerais organiser une fouille
Un coin sombre et branlant, un lierre s'y élève
Il se hausse du col, observe l'extérieur
Les vagues de blés mûrs sont promesse de rêve
Dans ce lieu monacal, celui de l'intérieur
J comme Jambon
Déjà petit, j'étais impressionné par les deux monuments qui pendaient au plafond, chez Parrain. Ils étaient cachés au regard des curieux dans une robe de vichy rouge un véritable Tchador de chez nous. C'étaient deux jambons d'Ardenne fumés à la sciure de hêtre comme il se doit. Ils occupaient tout l'espace me semblait-il, de ce coin de cuisine où officiait marraine. A l'occasion du nouvel an, “nenenne” faisait des galets, une sorte de gaufres en pâte levée que l'on fendait et beurrait puis Parrain y déposait délicatement une tranche de son jambon. Le mélange de la pâte à peine sucrée avec l'amertume corsée du jambon d'Ardenne était un régal. Aujourd'hui encore c'est ma madeleine à moi.
K comme kumquat
Kumquat confit au sucre, au goût croquant envahissant la bouche, surprenant les papilles par la richesse de son sucre puis par vagues successives débouche sur le goût subtil du cédrat amer ce qui paradoxalement souligne la douceur du début. Très vite il faut résister pour ne pas mettre directement la seconde moitié en bouche et puis d’un croquer un autre…Je suis loin de mon enfance où Eega Beeva l'homme de l'an 2.000 ,découvert par Mickey, ne se nourrissant, que de kumquats confits au vinaigre. A l'époque, pour mon âme enfantine cela faisait partie du merveilleux, pure invention de l'équipe Disney, mais voilà sur un marché de Provence j'ai trouvé cette friandise, le merveilleux est entré dans le coutumier.
L comme livre
Le livre est une réunion sérieuse de feuilles d'arbre, volées au vent, manufacturées, souvent facturées écrites. Ces feuilles devenues tristes ou joyeuses sont numérotées pour ne pas se perdre. L'ensemble se lit de gauche à droite ou de droite à gauche, c'est selon l'endroit où l'on réside . Une réunion de livres devient donc une forêt en conserve appelées bibliothèques. Mais plus jamais on ne pourra les lire à l'ombre du feuillage de l'arbre.
M comme Mains enlacées
Viendras-tu demain,
Au crépuscule naissant
Me tendre la main
Je t’attendsNos mains se sont jointes
Douces caresses furtives
Fragilité de nos doigts enlacés
Comme une gentille balladeNous allons
Main dans la main
Nous cheminons
Yeux dans les yeuxTes yeux noisette
Que tu caches derrière
Les persiennes
De tes paupièresJe suis la lumière et le feu
La lumière qui dévoile
Le feu qui consumeTu es le glaive et la fleur
Le glaive qui détruit
La fleur qui réunitMon visage
Un peu ravagé
Tu peux en compter
Les méandresSi je regarde la forme
Des mots sur ta bouche
Je perçois en moi
La corde de mon âme
Qui vibre à l’unissonLe soir accroche
Ses larmes de brumes
Aux cimaises des ombres
De mon désespoirCe soir tu es loin
Loin de l’onde grise
Des canaux d’AmsterdamJe suis loin aussi
Loin des aubes violines
Des aurores de ProvenceJe connais un petit square
Où nous nous promenions
Encore, main dans la main
Les joues rougies par le froid
Le corps brûlant
D’un désir ardentAu parc de nos amours
Les lampadaires sont éteints
Les oiseaux se sont tus
La lune voilé reflète
L’eau noire du petit lacJe revois tes yeux
Couleur de braises
Tes cheveux emmêlés
Sous mes caressesEt ton sourire un peu triste
Qui me disait « je t’aime »Tes espoirs sont mon visage
Non celui de l‘adolescent ancien
Mais bien celui d’un homme
Aux traits burinés par les orages
Gardant une trace de tendresse
Au cœur de ses paupièresJ’ai marché dans le brouillard
Il n’y avait pas de brumes
J’ai marché dans l’obscurité
Il faisait plein jour
J’ai marché les yeux levés au ciel
Pourtant je suis ancré à la terreJ’ai cherché ta main
Tu me l’a donnée
J’ai cherché ton regard
Le mien s’y est perduLa couleur de tes yeux
Ambre et herbes sombres
A toi qui pars ma mie
Me laissant de toi
Une ombre qui s’effaceMéridienne
Le soleil jaune pleure des larmes de ciel bleu
L'air éreinté frissonne, tremble déjà de chaud
Les arbres vibrent tels une moire, morbleu
Le paysage gît, caché sous son manteau
Le vent coulis, léger, devient las lui aussi
Dans cette canicule trop penser n'est pas bon
C'est l'heure consacrée au repos, par ici
Il est treize heures quart sur le bord du Gardon
Le chant des cigalons meurt langoureusement
Les perles de sueur sur le front se dessèchent
Tout seul avec moi-même, étendu sur le dos
Dormir est une joie en cet instant présent
Caché à l'ombre douce dans une chambre fraîche
Mon corps béat repose sur le lit, volets clos
N comme Niabongha
Je ne pouvais m'empêcher de songer
Par cette chaude journée à Copito de Neve
Flocon de neige, l'enfant du gorille blanc
Celui que notre ami Bob avait capturé
Et relâché près du Niragongo de sa Virunga natale
Niabongha ! le Grand-Père-aux-Yeux-de-Sang !
Je ne pouvais m'empêcher de penser
A ce maillot à grosses côtes, orange
Habillant les amours des années soixante
Abandonné dans ces gorges blanches
Aimer, c'est une sorte de douce démence
C'est se perdre en oubliant le chemin du retour
Je ne pouvais m'empêcher d'admirer
Cette eau sombre coulant comme une récompense
Le long de mes flancs avides de caresses
De cette eau coulant dans l'ombre de la falaise
Dans laquelle j'aurais aimé m'endormir
De mon dernier et profond sommeil
O comme olives
– “A la picholine, la bonne picholine, la verte, la noire !” crie le négociant comme un leitmotiv chaque fois repris. Il faut dire que son étal déborde littéralement de toutes sortes d'olives, la grosse picholine de Collias au naturel, verte à chair croquante ayant cette amertume déraisonnable. Il y a celles de Nyons avec leur peau lisse, légèrement bleutée presque violine comme les ciels d’horizon le soir venu. La grecque, noire, fripée comme une vielle femme édentée au regard triste, à la chair fondante, les cassées, les niçoises farcies à l'anchois. Les calamatas de Thessalonique, grosses, la plus grosse, lisse, violette, très parfumée, trop parfumée à mon goût. Et puis cette petite verte, presque sans chair que l’on garde pour transmuter le goût de la pintade qui mijote sur le coin de la cuisinière pendant plusieurs jours, accompagnée de son ail , et de sa sempiternelle branche de thym. C’est ma préférée, la plus douce, celle qui a le goût de mon adolescence. Et puis encore, surtout ne pas l'oublier, elle en serait vexée, la Phocéenne, grosse verte parsemée d'éclats d’ail, et celle à la farigoulette, et … il est impossible de citer toutes les espèces que l’on offre ici sur le marché de Buis-Les-Baronnies. On y trouve aussi les habituels pois chiches au jus et aujourd'hui, par extraordinaire, des fruits confits, véritable tableau d'art moderne, festival de couleurs et de miracle gustatif. Les fraises confites au goût parfait, les cubes de gingembre épicés à souhait, aphrodisiaques paraît-il, me rappellent l'Indonésie, les kumquats au divin goût de cédrat, les branches d'angélique ont l'arôme de ma petite enfance. Nous ne parlerons pas des pruneaux d'Agen, abricots et autres fruits séchés plus communs mais tout aussi importants pour la cuisine traditionnelle.
P comme pivoine
As-tu déjà touché un pétale de pivoine? Tu vois, elle avait une peau de cette texture là ; douce, lisse mais qui accroche le doigt, la main. Quand je lui touchais le corps, à l'intérieur de moi, je tremblais, je pleurais de bonheur, d'extase et à l'extérieur je tremblais de désir, de hâte, d'excitation, j'avais envie de mordre, il m'arrivait d'ailleurs de mordre. Elle, elle préférait griffer, c'est comme ça que je savais que nos sentiments étaient partagés, nous perdions le contrôle de nos sens. Encore aujourd'hui je me rappelle cette joie, cette exaltation, perdre ses sens !
Sa joue par contre était pêche, couverte d'un petit duvet blond, imperceptible, pêche je vous dis. Mon Dieu cette douceur , quel souvenir. Il fallait remonter au lobe de l'oreille pour retrouver la pivoine…
Q commeQuiétude
Midi , c'est l'heure où les grenouilles souffrent au creux des mottes ou sous les racines. Le soleil assoiffé, a bu toute la rosée du matin. Pas un bruit, un silence absolu, pas de chant d'oiseaux, pas de murmure d'eaux, même la fontaine se tait. Pas une âme, oh j'ai parlé trop vite, Mathias passe à vélo de l'autre côté, il me fait un grand signe de la main, c'est son bonjour.
J'entends une voix, mais il m'est impossible de déterminer son origine, elle vient de nulle part, et je ne sais pas non plus à qui elle appartient, les mots tombent devant moi indistincts, à peine audibles.
En remontant vers la maison, je passe dans l'ombre fraîche du marronnier, celui de la place du Monument, petite excroissance du Batty, encastré entre les fermes. Les deux bulles d'Intradel, la verte et la blanche, brillent, étincelantes sur le parking. Elles attendent placidement, sans impatience, la bonne âme qui daignera leur offrir de la verroterie, plus tard peut-être ! En attendant, elles sont là, comme deux sentinelles, surveillant la cabine téléphonique. A l'horizon un petit nuage blanc comme de la chantilly, pointe son museau tout frais, il souligne par contraste le bleu du ciel. Même l'église scintille de toutes ses pierres dans l'air qui tremble de chaud, très méridional, ma foi.
Q comme Quand de lichen…
Quand de lichen
La pierre sera couverteQuand se sera effacée
L'empreinte de nos pasQuand ton corps
Aura fondu dans la terreQuand tes vieux os…
Et tes cendres disperséesEt surtout…
Quand de ma mémoire
Ton sourire aura disparuAlors sous mes pas…
La terre sera déserte
R comme la Route
La route 66
La voiture blanche hurlait avec intransigeance
Sur la route exigeante de rêves impertinents
Entre les songes flous, irréels, elle louvoyait
Parfois s'égarait dans les mirages de l'âme
Le désert aux grands arbres pétrifiés d'effroi
Où seuls survivaient d'imaginaires coyotes
Le soleil implacable de la route 66 cuisait
Les cactus cierges d'une de ces nouvelles églises
Priaient les deux mains haut levées comme
D'étranges condamnés se rendant au culte
Seule vie apparente, cette voiture blanche
Qui, sur le macadam, fonçait vers l'horizon
Entre des rocs souffrant d'une faim insatiable
Le soleil implacable de la route 66 observait
La traversée trop rapide, d'une ville fantôme
Habitée par d'énormes scorpions mélancoliques
Troublait, un instant, la sérénité des lieux
Certes austères, mais mortellement tristes
Cette ombre blanche bruyante, pendant un instant
Rendait la vie aux habitants disparus de ce désert
Le soleil implacable de la route 66 alors, pleurait
S comme Suicide
On pourrait dire d'une certaine façon que le suicide est une recherche d'équilibre entre une personne vivante extérieurement mais morte intérieurement. Ce déséquilibre provoque une douleur physique tellement intense qu'elle rend fou. Dans certains cas c'est une fuite devant des responsabilités insurmontables de la vie, un refus de grandir peut-être. De toute façon c'est l'impossibilité de gérer une douleur qui finit par remplir tout l'espace vital.
T comme Teddy Bear
J'entrouvris les yeux; les rayons du soleil passant en sourdine au travers des persiennes soulignaient en ombres chinoises le Teddy Bear qui veillait avec bienveillance sur mon sommeil. Il était assis sur la corbeille à linge, le moindre des poils de sa fourrure apparaissait lumineux éclairés par ce soleil rasant matinal. C'était une image pleine de sollicitude, de béatitude, de douceur et de charmes suaves. C'est d'ailleurs pour cette raison que je l'avais acquis sur une brocante d'un village de l'Ardenne profonde. Dès que je l'ai aperçu ou est-ce lui qui m'aperçut ? Allez savoir ! Personnellement j'avais senti tout de suite que nous étions faits l'un pour l'autre. J'étais un peu gêné d'acheter ce que je devinais déjà; un long partage en devenir, une longue symbiose. Il était superbe, d'un brun très clair avec des yeux en boutons de bottine et des lèvres en forme de croix de Saint-André constituées de gros fils noirs. Oui, maintenant en écrivant ces mots, je me souviens, c'est bien lui qui m'avait choisi.
U comme Urubu
L'Urubu contient trois U comme Uruguayen et hurluberlu. C'est un rapace comique, copie conforme du vautour. Les urubus trônent sur les fils télégraphiques tels d'immenses notes de musique chantant le désert où ils règnent en maîtres, jamais seuls, toujours accompagnés. On croirait presque qu'ils écoutent les conversations futiles circulant sur les lignes. Avec leur petite tête cruelle, perchée sur un long cou déplumé, ils semblent deviser entre eux, se gaussant des hommes et de leurs messages prétendument importants. Ils attendent patiemment celui qui s'égarera hors des sentiers battus …
V comme vengeance
J'avais les yeux feldgrau, de la couleur du ciel de Lamertange un jour de pluie, pays d'Ardenne où je suis né. Ils avaient la couleur de l'uniforme de mon père. J'avais les cheveux couleur paille claire, de la couleur des champs de blé, cultivé dans le pays d'à côté que l'on voyait par-dessus la crête d'en haut. Ma mère avait été violée ainsi que 6 autres femmes du village, d'un village sans maris. Cet Allemand, mon géniteur, avait pondu comme les coucous sa graine dans un nid qui ne lui appartenait pas. Dès ma naissance, bien que je fusse le plus beau bébé du village, je fus détesté ainsi que maman et paradoxalement, surtout par les femmes qui avaient subi le même sort dans cette matinée de 1914 au lavoir municipal. C'est comme si par mon existence, j'étais devenu l'unique témoin d'une soi-disant faute. Nous vivions au ban de la société villageoise. J'ai le souvenir des pierres que les autres enfants me lançaient en criant “Sale boche” ! Lors du retour de papa, après 4 ans de captivité, il fut le seul à me donner un peu de gentillesse. Lui qui avait défendu son village, son pays, lui qui ne rendait pas le village responsable de ne pas avoir su défendre son foyer. Le village, comme gêné, le lui reprochait tant et tant que papa au printemps, finit par se pendre à la poutre de la grange. Ce maudit village avait réussi en 6 mois ce que les Allemands n'avaient pas réussi en 4 ans. Cette mort fut pour moi une longue descente en enfer. Je fus évidemment tenu pour responsable de la déchéance de ma mère, du suicide de mon père, de la honte des villageois qui quelque part se rendaient compte de leur veulerie. Un frère de maman qui habitait en ville prit à ce moment-là soin de moi, de nous.
Plus tard je me suis arrangé pour que la société de Génie Civil dont j'étais devenu l'administrateur fasse passer l'autoroute au bord du village, en expropriant uniquement les cultures. Et c'est là, sous le prétexte que la région était peu habitée mais bien desservie par la nouvelle autoroute, que l'on construisit l'incinérateur géant. De loin on pouvait lire le panneau, “Ici la société Bauche et Cie brûle, pour votre bien-être, vos déchets, tous vos déchets.”
W comme Woodstock
Oiseau jaune, impertinent et philosophe, dort sur l'arête du toit de la niche de Snoopy. Organise sa vie à regarder le ciel et la forme des nuages. Entre régulièrement dans un délire communicatif et se prend pour le Baron Rouge, célèbre aviateur de '14-'18', ne lui arrivant même pas à la patte….
X comme Xhout-si-Plou
Des reinettes de Xhout-si-Plou
Trônent dans le compotier
En ce matin de résine
Je suis très primesautierDomino ouvre le four
Sort les pains qui embaument
Les farine tour à tour
Sur le torchon, les déposeLa tasse de café fume
L'épouse heureuse rit
La fricassée parfume
J'ai soixante ans aujourd'huiL'éclat de l'hélianthème
De sa couleur mordorée
Eclaire mon cœur qui aime
Ô quelle belle journée
Y comme Yeux
Les femmes amoureuses ont des yeux plus grands que les étoiles. En ce moment, si tu regardes bien au fond, juste avant de traverser la transparence, tu peux apercevoir des nébuleuses inconnues des hommes, des constellations aux couleurs lascives capturent ton attention, tu peux t'y perdre, le chemin du retour devient difficile.
Heureusement, au même instant, nos belles abaissent leurs paupières tuant les visions d'horizons infinis. Elle te sauvent sans le savoir de cette magnifique perdition. Ou plutôt, elles savent et c'est l'amour qu'elles ont pour toi qui te sauve. Tu reviens dans notre univers emplit d'une telle tristesse que la seule chose que tu désires; c'est qu'à nouveau, elles les entrouvrent pour de nouveaux jeux.
Z comme Zouave
Maman nous criait tout le temps: “Arrêtez de faire les Zouaves! “, dès que nous faisions un peu trop de bruit dans la rue devant la maison, ou derrière, à l'abri, au jardin. Les Zouaves, “Késako ?”cela ne doit pas être très chrétien sinon maman ne nous demanderait pas d'arrêter. Nous ne lui avons jamais dit que nous jouions aux cow-boys et aux Indiens, elle n'aurait certainement pas compris. Zouaves!, elle confond tout.
Plus tard, j'avais déjà seize ans quand je découvris celui de l'Alma, engoncé dans ses pantalons bouffants, tête nue, fièrement campé sur son piédestal, bravant les assauts de la Seine. Il ne servait déjà plus aux Parisiens qu'à estimer le niveau de crue du fleuve. La Seine lui arrive aux pieds, à la taille, aux épaules, aux lèvres…Nous sommes loin de Balaklava et de Malakoff.
- AuteurMessages
- Vous devez être connecté pour répondre à ce sujet.