JEHAN-RICTUS – Poésies

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  • #146155
    VictoriaVictoria
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      JEHAN-RICTUS – Poésies

      Les Soliloques du Pauvre – Crève-Cœur



      Eun’ fois j’ai cru que j’ me mariais
      Par un matin d’amour et d’ Mai ;

      Il l’tait Menuit quand j’ rêvais ça,
      Il l’tait Menuit, et j’ pionçais d’bout,
      Pour m’ gourer d’ la lance et d’ la boue
      Dans l’encognur’ d’eun’ port’ cochère.

      (Hein quell’ santé !) — Voui j’ me mariais
      Par un matin d’amour et d’ Mai
      N’avec eun’ jeuness’ qui m’aimait,
      Qu’était pour moi tout seul ! ma chère !

      Et ça s’ brassait à la campagne,
      Loin des fortifs et loin d’ici,
      Dans la salade et dans l’ persil,
      Chez un bistrot qui f’sait ses magnes.

      Gn’y avait eun’ tablée qu’était grande
      Et su’ la nappe en damassé,
      Du pain ! du vin ! des fleurs ! d’ la viande !
      Bref, un gueul’ton à tout casser,

      Et autour, des parents ! d’ la soce !
      Des grouins d’ muffs ou d’ bons copains
      Baba d’ me voir tourné rupin,
      Contents tout d’ même d’êt’ à ma noce :

      Ma colombe, selon l’usage,
      Se les roulait dans la blancheur,
      Et ses quinz’ berg’s et sa fraîcheur
      F’saient rich’ment bien dans l’ paysage.

      Je r’vois ses airs de tourterelle,
      Ses joues pus bell’s que d’ la Montreuil
      Et ses magnèr’s de m’ faire de l’œil
      Comme eun’ personne naturelle,

      Ses mirett’s bleues comme un beau jour,
      Sa p’tit’ gueule en cœur framboisé
      Et ses nichons gonflés d’amour,
      Qu’étaient pas près d’êt’ épuisés,

      Et moi qu’ j’ai l’air d’un vieux corbeau,
      V’là qu’ j’étais comme un d’ la noblesse,
      Fringué à neuf, pétant d’ jeunesse…
      Ça peut pas s’ dir’ comm’ j’étais beau !

      Je r’vois l’ décor… la tab’ servie
      Ma femm’ ! la verdure et l’ ciel bleu,
      Un rêv’ comm’ ça, vrai, nom de Dieu !
      Ça d’vrait ben durer tout’ la vie.

      (Car j’étais tell’ment convaincu
      Que c’ que j’ raconte était vécu
      Que j’ me rapp’lais pus, l’ diab’ m’emporte,
      Que je l’ vivais sous eun’ grand porte ;

      Et j’ me rapp’lais pas davantage,
      Au cours de c’te fête azurée,
      D’avoir avant mon « mariage »
      Toujours moisi dans la purée.)

      (Les vieux carcans qui jamais s’ plaint
      Doiv’nt comm’ ça n’avoir des rêv’ries
      Ousqu’y caval’nt dans des prairies
      Comme au temps qu’y z’étaient poulains.)

      V’nait l’ soir, lampions, festin nouveau,
      Pis soûlé d’un bonheur immense
      Chacun y allait d’ sa romance,
      On gueulait comm’ des p’tits z’oiseaux !

      Enfin s’am’nait l’heur’ la pus tendre
      Après l’enlèv’ment en carriole,
      La minute ousque l’ pus mariolle
      Doit pas toujours savoir s’y prendre !

      Dans eun’ carrée sourde et fleurie,
      Dans l’ silence et la tapiss’rie,
      Près d’un beau plumard à dentelles
      Engageant à la… bagatelle,

      J’ prenais « ma femme ! » et j’ la serrais
      Pour l’ Enfin Seuls obligatoire
      Comm’ dans l’ chromo excitatoire
      Où deux poireaux se guign’nt de près…

      Près ! ah ! si près d’ ma p’tit’ borgeoise
      Que j’ crois que j’ flaire encor l’odeur
      De giroflée ou de framboise
      Qu’étaient les bouffées d’ sa pudeur.

      J’y jasais : « Bonsoir ma Pensée,
      Mon lilas tremblant, mon lilas !
      Ma petite Moman rosée,
      Te voilà, enfin ! Te voilà !

      [« Comme j’ vas t’aimer tous les jours !
      T’ es fraîch’.. t’ es mignonn’.. t’es jolie,
      T’ as des joues comm’ des pomm’s d’api
      Et des tétons en pomm’s d’amour.]

      « Quand j’étais seul, quand j’étais nu,
      Crevant, crevé, sans feu ni lieu,
      Loufoque, à cran, tafeur, pouilleux,
      Où étais-tu ? Que faisais-tu ?

      « Ah ! que d’ chagrins, que d’ jours mauvais
      Sans carl’, sans bécots, sans asile,
      Que d’ goujats cruels, d’imbéciles,
      Si tu savais, si tu savais…

      « Mais à présent tout ça est loin…
      Voici mon Cœur qui chante et pleure,
      Viens-t’en vite au dodo, ma Fleur !… »
      (Vrai c’est pas trop tôt qu’ j’aye un coin.)

      « Ohé l’ poivrot là, l’ sans probloque ?
      Vous feriez pas mieux d’ cravailler
      Au lieur d’êt’ là à roupiller ?
      Foutez-moi l’ camp ou… gar’ le bloc ! »

      Non tout’ ma vie j’ me rappell’rai
      La gueul’ de cochon malhonnête
      Qui s’ permettait d’ m’interpeller
      Pass’ que j’y bouchais sa sonnette.

      Alors, comm’ j’ le r’luquais d’ travers
      Il a sorti trois revolvers,
      Deux canifs et son trousseau d’ clefs !
      Et y s’a foutu à gueuler :

      — « Au s’cours, à moi ! à l’aid’ ! Moman !
      On m’ ratiboise ! on m’ saigne, on m’ viole…
      Gn’y pas d’ pet qu’y vienn’nt les z’agents,
      Pus souvent qu’on verrait leur fiole ! »

      Et moi qu’ j’allais p’têt’ arr’sauter
      Et créer un beau fait-divers…
      Mal réveillé d’ mon Song’ d’Été
      J’ me suis ensauvé dans l’Hiver.

      #146156
      VictoriaVictoria
      Participant

        Les Soliloques du Pauvre – Impressions de promenade




        Quand j’ pass’ triste et noir, gn’a d’ quoi rire.
        Faut voir rentrer les boutiquiers
        Les yeux durs, la gueule en tir’lire,
        Dans leurs comptoirs comm’ des banquiers.

        J’ les r’luque : et c’est irrésistible,
        Y s’ caval’nt, y z’ont peur de moi,
        Peur que j’ leur chopp’ leurs comestibles,
        Peur pour leurs femm’s, pour je n’ sais quoi.

        Leur conscienc’ dit : « Tu t’ soign’s les tripes,
        « Tu t’ les bourr’s à t’en étouffer.
        « Ben, n’en v’là un qu’a pas bouffé ! »
        Alors, dame ! euss y m’ prenn’nt en grippe !

        Gn’a pas ! mon spectr’ les embarrasse,
        Ça leur z’y donn’ comm’ des remords :
        Des fois, j’ plaqu’ ma fiole à leurs glaces,
        Et y d’viennent livid’s comm’ des morts !

        Du coup, malgré leur chair de poule,
        Y s’ jett’nt su’ la porte en hurlant :
        Faut voir comme y z’ameut’nt la foule
        Pendant qu’ Bibi y fout son camp !

        « — Avez-vous vu ce misérable,
        « Cet individu équivoque ?
        « Ce pouilleux, ce voleur en loques
        « Qui nous r’gardait croûter à table ?

        « Ma parole ! on n’est pus chez soi,
        « On n’ peut pus digérer tranquilles…
        « Nous payons l’impôt, gn’a des lois !
        « Qu’est-c’ qu’y font donc, les sergents d’ ville ? »

        J’ suis loin, que j’ les entends encor :
        L’ vent d’hiver m’apport’ leurs cris aigres.
        Y piaill’nt, comme à Noël des porcs,
        Comm’ des chiens gras su’ un chien maigre !

        Pendant c’ temps, moi, j’ file en silence,
        Car j’aim’ pas la publicité ;
        Oh ! j’ connais leur état d’ santé,
        Y m’ f’raient foutre au clou… par prudence !

        Comm’ ça, au moins, j’ai l’ bénéfice
        De m’ répéter en liberté
        Deux mots lus su’ les édifices :
        « Égalité ! Fraternité ! »

        Souvent, j’ai pas d’aut’ nourriture :
        (C’est l’ pain d’ l’esprit, dis’nt les gourmets.)
        Bah ! l’Homme est un muff’ par nature,
        Et la Natur’ chang’ra jamais.

        Car, gn’a des prophèt’s, des penseurs
        Qui z’ont cherché à changer l’Homme.
        Ben quoi donc qu’y z’ont fait, en somme,
        De c’ kilog d’ fer qu’y nomm’nt son Cœur ?

        Rien de rien… même en tapant d’ssus
        Ou en l’ prenant par la tendresse
        Comm’ l’a fait Not’ Seigneur Jésus,
        Qui s’a vraiment trompé d’adresse :

        Aussi, quand on a lu l’histoire
        D’ ceuss’ qu’a voulu améliorer
        L’ genre humain…, on les trait’ de poires ;
        On vourait ben les exécrer :

        On réfléchit, on a envie
        D’ beugler tout seul « Miserere »,
        Pis on s’ dit : Ben quoi, c’est la Vie !
        Gn’a rien à fair’, gn’a qu’à pleurer.

        #146157
        VictoriaVictoria
        Participant

          Les Soliloques du Pauvre – Les Masons

          I — Nocturne




          Quand tout l’ mond’ doit êt’ dans son lit
          Mézig trimarde dans Paris,
          Boïaux frais, cœur à la dérive,
          En large, en long, su’ ses deux rives,
          En Été les arpions brûlés,
          En Hiver les rognons cinglés,
          La nuit tout’ la Ville est à moi,
          J’en suis comm’ qui dirait le Roi,
          C’est mon pépin… arriv’ qui plante,
          Ça n’ peut fair’ de tort à la Rente.

          À chacun son tour le crottoir.
          J’ vas dans l’ silence et le désert,
          Car l’ jour les rues les pus brillantes,
          Les pus pétardièr’s et grouillantes,
          À Minoch’ sont qu’ des grands couloirs,
          Des collidors à ciel ouvert.

          J’ suis l’Empereur du Pavé,
          L’ princ’ du Bitum’, l’ duc du Ribouis,
          L’ marquis Dolent-de-Cherche-Pieu,
          L’ comt’ Flageolant-des-Abatis,
          L’ baron d’ l’Asphalte et autres lieux.

          J’ suis l’ baladeur… le bouff’-purée,
          Le rôd’-la-nuit… le long’-ruisseaux,
          Le marque-mal à gueul’ tirée
          Le mâch’-angoiss’… le cause-tout haut.

          Si jamais vous êt’s dans l’ennui
          Et forcé comm’ moi je le suis
          À c’ que ça s’ passe à la balade,
          J’ vas vous ess’pliquer mon manège :

          Mettons qu’y lansquine ou qu’y neige,
          Eh ben ! allez rue d’ Rivoli,
          Malgré qu’y ait des vents coulis
          On est pas mal sous ses arcades.

          Mais si c’est l’Été… pas la peine,
          Y vaut mieux s’ filer vers la Seine.
          Là su’ eun’ berge ou sous un pont
          Vous pouvez eun’ bonn’ couple d’heures
          Dans la flotte qu’est un vrai beurre,
          Mettre à tremper vos ripatons.

          Tâtez, l’essai n’en coûte rien,
          Car moi j’ connais tous les bons coins,
          Tous les trucs… on peut pas me l’ mette
          À forc’ comm’ ça d’ trouver des joints
          Et d’ boulotter mes kilomètes.

          Aussi des fois su’ la grand’ Ville
          Du haut en bas, du sud au nord,
          Y a si peu d’ pétard et d’ poussière
          Et tout y paraît si tranquille

          Qu’on s’ figur’ que Pantruche est mort,
          Qu’on voyag’ dans un grand cim’tière
          Et qu’y s’ réveill’ra pus jamais,
          (Ah ! nom de Dieu si c’était vrai !)

          Mais des fois juste à ce moment,
          Là-bas… en banlieue… loin du centre,
          Y nous vient de longs hurlements,
          C’est le chien d’ fer ou l’ remorqueur,
          Hou… yaou… on dirait mon ventre !
          Ya haou… on jur’rait mon cœur !

          Seul’ment ces cris-là m’ fout’nt la trouille ;
          Ça m’occasionn’ des idées noires,
          Et me v’là r’parti en vadrouille
          À r’tricoter des paturons
          Pou’ pas risquer d’êt’ fait marron
          Par les escargots de trottoir.

          On rencont’ ben des attardés,
          Des clients en train d’ rouspéter,
          Que leurs pip’lets laiss’nt poireauter
          Eune heure à leur cordon d’ sonnette.

          Des chiffortins, des collignons,
          Des tocass’s qu’a pas fait leur plâtre,
          Des cabots qui rent’nt du théâtre,
          Des magistrats qui r’vienn’nt du claque,
          Des poivrots, des flics ou des macs.

          (Mais, marioll’, quand qu’on est honnête
          On néglig’ ces fréquentations.)

          Des fois que j’ traîne mes arpions d’ plomb,
          J’ m’arr’pos’ et j’ m’adosse à un gaz
          Pour voir « à quel point nous en sommes »,
          Tout fait croir’ que j’ suis vagabond :

          Et d’ Charonne au quartier Monceau,
          Au milieu du sommeil des Hommes,
          Me v’là seul avec ma pensée
          Et ma gueul’ pâl’ dans les ruisseaux !

          Les nuits où j’ai la Lun’ dans l’ dos,
          J’ piste mon Ombr’ su’ la chaussée,
          Quand qu’ j’ai la Lun’ en fac’ des nuits,
          C’est mon Ombre alorss qui me suit ;

          Et j’ m’en vas… traînaillant du noir,
          Y a quét’ chose en moi qui s’ lamente,
          La Blafarde est ma seule amante,
          Ma Tristesse a m’ suit… sans savoir.

          #142137
          VictoriaVictoria
          Participant
          4 sujets de 1 à 4 (sur un total de 4)
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