Jany Vogel : Sans Aveu

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    ÉoleÉole
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      Sans aveu
      Je ne sais pas si cette adresse est encore bonne, je lance, à tout hasard, une bouteille à la mer. Je sais, tu ne me connais pas, malgré cela, tu as illuminé mon adolescence. Avec ta peau noire, tes yeux marron pigmentés de lichen doré, tes cheveux sombres tortillés comme des tire-bouchons, ta silhouette fine digne des gazelles du désert et ton merveilleux sourire, tu me donnais la fièvre. Tu étais ma raison d’être, mon journalier bien-être.
      Aujourd’hui, je joue les victimes, ma larme à l’oeil est sublime. J’ouvre la porte, celle cachée de mes regrets, celle secrète, qui s’ouvre sur les fantasmes de mes affectueuses années. Celle qui conduit vers un lit d’herbe douce empli de tendresse et de caresses. J’ai souvent frappé à cette entrée imaginaire où tu n’ouvrais jamais, me laissant dehors, sur le seuil, comme un pierrot. Je le sais désormais, trop aimer devient un fardeau. Seul moyen de l’alléger : à deux le porter. Je n’ai pas su te demander de m’aider.
      Drôle d’idée de nommer Claire une perle noire, ingénue et fragile, magnifique comme une déesse antique, j’avais envie de me fondre dans tes bras, de te courtiser genou à terre. Mon envie de capter tes instants furtifs, tes sourires d’anges me retenait, la tête et le corps captif, perdu dans les remous d’une onde aux lames de fond démesurées. Je m’accrochais à toi comme à une bouée au moment du naufrage. Tu bordais mes jours de rose et teintais de feu mes nuits.
      Je me revois, Antoine, petit, gros et balourd au fond de la classe, malmené et moqué. Tu étais la princesse adulée, le dessus du panier. Je n’ai jamais osé te parler, alors pour ne pas les oublier, ces mots que je ne pouvais prononcer, je les écrivais d’une façon douce-amère sur les pages d’un cahier.
      Chaque jour me venaient des velléités épistolaires. Sur ma page, je m’appliquais, malhabilement, à coucher sur le papier, à l’encre bleue, tous ce que je n’osais te dire. On me croyait tête en l’air, c’est une ineptie, les doigts tâchés, comme mes écrits, je m’en mettais plein les yeux. Je guettais les mouvements gracieux de Claire. Commenter ta vie dans mes pages te donne une seconde naissance, une autre vie. Ma tête folle tisse un parcours où nous nous retrouvions tous deux dans un combat à mener, qui, sans toi, ne me conduira nulle part.
      Je revois le sérieux de ton visage occupé à rédiger un devoir. Le meilleur moment, c’est lorsque tu lisais un texte. Ta tessiture rauque prenant mon coeur pour cible, me troublait au-delà du possible. Je frémissais en écoutant ce ton chaud et
      profond, une harmonie que j’aimais entendre. Fasciné comme un serpent, tu
      charmais ma jeunesse, avec ta mélodie, tu récitais la chanson de ma vie.
      J’aimais la fraîcheur douce et sauvage de ton visage. Sur le mur, je suivais son
      ombre aux contours fragiles, imaginant la tenir, la guider dans mes mains
      malhabiles. La tempête s’agitait dans mon corps, dans ce vacarme silencieux je
      voulais t’emporter avec moi. Loin, dans cet endroit secret où tu caches tes mystères,
      là où vit et se morfond mon impatience. Je m’accordais la mort amoureuse en
      buvant, seul, le poison de notre unilatérale liaison. Mon esprit te suivait pas à pas,
      quoi que tu fasses, où que tu sois, comme ton double. Combien de fois, à mon
      secours t’ai-je appelée, dans les instants où mon coeur se mourait d’incertitude ? La
      main tendue au bord de la route, je dissipais mes doutes. Celle que j’attends, celle
      que j’appelle. Parfois ma pensée chancelle : Claire existe-t-elle ? Ou est-ce
      uniquement un regret qui porte le nom de Claire ?
      Je comptais les journées, je m’inventais une éternité avec des jours de déraison,
      quitte à pleurer lorsqu’ils se défont. Je posais les armes devant tes charmes qui
      m’enchaînaient, je t’attendais, même les jours de mauvais temps !
      De ces moments, que reste-t-il, de mes rires, de mes joies et de mes fantasmes
      d’enfant ? simplement ces grimoires sortis du grenier de ma mémoire. J’étais
      comme un naufragé perdu, enfermé, tu étais mon air, mon azote et mon oxygène.
      Je le sais, tout cela était éphémère, le fruit de mon imagination. Aujourd’hui, je
      feuillette ce cahier comme un livre d’images. Mon adolescence devient une bande
      dessinée où fleurissent mes jeunes années. L’écriture danse devant mes yeux, un
      fondu flou de cinéma me ramène au temps béni de mes treize ans. Je nage dans des
      moments embrumés, dans un oubli nécessaire, aujourd’hui devenu précaire. La
      faute en revient au déménagement de ma mère.
      Maintenant, je referme les blessures de cette tendresse incontrôlée, avant que
      mon coeur ne se blesse. Je garde dans mon sourire, bien caché, ce que je n’ai su te
      dire. Je dissimule ma cicatrice dans les fleurs de ton jardin, avec ma pudeur et mes
      chagrins. J’avais le coeur en décembre, sous mes cris sans importance, se cachait
      l’absence.
      À lire ces pages, je te retrouve dans tous les endroits. Incapable de vivre pour
      moi, je vivais à travers toi, de jours calmes et silencieux, de tonnerre et d’ouragans
      furieux. J’ai pris seul le chemin de la tendresse, sans rien dire à ma déesse. La
      noirceur de ta peau m’éblouissait, j’avais besoin de vivre ma jeunesse, de sublimer
      ma peur de te perdre. J’ai passé mon adolescence le coeur aux aguets, battant à toute
      vitesse, entre bonheur et impudence, oscillant de ferveur et d’insouciance en te
      regardant vivre, sans moi !
      Une balade sous la pluie, inachevée, comme la symphonie. La première note d’une chanson d’amour où je dénote dans ton jardin fleuri. Je suis resté sans espérance, plus souvent qu’à mon tour, la tête et le coeur en souffrance. Ce silence l’ai-je choisi et nourri ? C’est le passé, n’en parlons plus. Facile à dire ! La vie serait une suite de grandes amours, de petits riens, de routine et de quotidien. En sourire ou en larmes, c’est un long chemin à faire, à deux, la main dans la main. C’est une victoire qu’il faut remporter. Je n’ai pas réussi à t’apprivoiser. J’ai dû vivre ta pénible absence, en ta présence !
      Regarder le temps qui passe dans une glace, imaginer que tout s’efface, comme cela, par hasard et nous sépare. Je regarde ce vide, à deux pas du ravin, je n’aurais pas peur d’y tomber, si tu me tenais la main. Le chemin devient de plus en plus étroit et serré, bientôt impraticable. Je voudrais poser ma valise près de ton coeur et l’y laisser à jamais, rivée à ta destinée. De ton image, remplir ma vie, poser ma tête sur ton épaule pour voir le paysage, sentir ton parfum. Au lieu de cela, je dissimule mon secret dans la pénombre de mes espoirs avortés, en comptant le nombre.
      Repousser les murs de ma mémoire pour t’y faire une place et dissimuler tes trésors en te murmurant des mots de passion et de lumière. Te révélant mon vrai secret, avec des mots qui n’existent pas, enfin, pas pour dire cela, les mots que j’ai gardés au fond de moi. J’ai fermé à clé une porte sur ce secret. J’ai perdu le sommeil, et, malgré cela, je crains le réveil, où mon rêve s’achève. Aujourd’hui, il est trop tard pour le reprendre, l’aurore est passée, finit d’imaginer. Rien n’est tout à fait prison. Je peux regarder l’horizon, mon coeur s’y perd, entre ma mémoire et la mer ! Je le sais, je m’impatiente, en amour, il y a quelques détours, mon coeur crie au secours. Vas-tu mourir avec le temps comme un rêve qui s’évapore au souffle du vent au moment du lever du jour ?
      Qu’es-tu devenue ? Je m’en fiche ! Peu m’importe que tu sois clocharde, fille de joie, voleuse ou religieuse, mon coeur s’attarde sur la belle image connue. Celle qui squatte mon adolescence, la magnifique, la magique ombre noire de mon enfance. Tu me trouves lâche, sans m’en vouloir puisque tu ne me connais pas. Tu ne sais pas si j’existe, malgré cela tu es ma source de fraîcheur et mes racines. Grâce à toi ma jeunesse est un bon souvenir, tu resteras mon plus tendre et mon plus amoureux regret. Je n’ai pas su te le dire, les yeux dans les yeux, pas même à demi-mot. De la joie à la peine, la route est bien courte, personne ne m’a aidé à briser mes chaînes. Ceux qui s’aiment sont des millions… j’étais tout seul.
      J’avais un coeur de bois, il s’est consumé pour toi, désormais, la fumée envolée, il est en cendres.

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