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- 5 mai 2008 à 12h54 #146024
Puisque j’ai mis ma lèvre à ta coupe encor pleine
Puisque j’ai mis ma lèvre à ta coupe encor pleine ;
Puisque j’ai dans tes mains posé mon front pâli ;
Puisque j’ai respiré parfois la douce haleine
De ton âme, parfum dans l’ombre enseveli ;
Puisqu’il me fut donné de t’entendre me dire
Les mots où se répand le coeur mystérieux ;
Puisque j’ai vu pleurer, puisque j’ai vu sourire
Ta bouche sur ma bouche et tes yeux sur mes yeux ;
Puisque j’ai vu briller sur ma tête ravie
Un rayon de ton astre, hélas ! voilé toujours ;
Puisque j’ai vu tomber dans l’onde de ma vie
Une feuille de rose arrachée à tes jours ;
Je puis maintenant dire aux rapides années :
– Passez ! passez toujours ! je n’ai plus à vieillir !
Allez-vous-en avec vos fleurs toutes fanées ;
J’ai dans l’âme une fleur que nul ne peut cueillir !
Votre aile en le heurtant ne fera rien répandre
Du vase où je m’abreuve et que j’ai bien rempli.
Mon âme a plus de feu que vous n’avez de cendre !
Mon coeur a plus d’amour que vous n’avez d’oubli !5 mai 2008 à 12h55 #146025Puisque mai tout en fleurs dans les prés nous réclame
Puisque mai tout en fleurs dans les prés nous réclame,
Viens ! ne te lasse pas de mêler à ton âme
La campagne, les bois, les ombrages charmants,
Les larges clairs de lune au bord des flots dormants,
Le sentier qui finit où le chemin commence,
Et l’air et le printemps et l’horizon immense,
L’horizon que ce monde attache humble et joyeux
Comme une lèvre au bas de la robe des cieux !
Viens ! et que le regard des pudiques étoiles
Qui tombe sur la terre à travers tant de voiles,
Que l’arbre pénétré de parfums et de chants,
Que le souffle embrasé de midi dans les champs,
Et l’ombre et le soleil et l’onde et la verdure,
Et le rayonnement de toute la nature
Fassent épanouir, comme une double fleur,
La beauté sur ton front et l’amour dans ton coeur !5 mai 2008 à 12h55 #146026Puisque nos heures sont remplies
Puisque nos heures sont remplies
De trouble et de calamités ;
Puisque les choses que tu lies
Se détachent de tous côtés ;
Puisque nos pères et nos mères
Sont allés où nous irons tous,
Puisque des enfants, têtes chères,
Se sont endormis avant nous ;
Puisque la terre où tu t’inclines
Et que tu mouilles de tes pleurs,
A déjà toutes nos racines
Et quelques-unes de nos fleurs ;
Puisqu’à la voix de ceux qu’on aime
Ceux qu’on aima mêlent leurs voix ;
Puisque nos illusions même
Sont pleines d’ombres d’autrefois ;
Puisqu’à l’heure où l’on boit l’extase
On sent la douleur déborder,
Puisque la vie est comme un vase
Qu’on ne peut emplir ni vider ;
Puisqu’à mesure qu’on avance
Dans plus d’ombre on se sent flotter ;
Puisque la menteuse espérance
N’a plus de conte à nous conter ;
Puisque le cadran, quand il sonne,
Ne nous promet rien pour demain,
Puisqu’on ne connaît plus personne
De ceux qui vont dans le chemin,
Mets ton esprit hors de ce monde !
Mets ton rêve ailleurs qu’ici-bas !
Ta perle n’est pas dans notre onde !
Ton sentier n’est point sous nos pas !
Quand la nuit n’est pas étoilée,
Viens te bercer aux flots des mers ;
Comme la mort elle est voilée,
Comme la vie ils sont amers.
L’ombre et l’abîme ont un mystère
Que nul mortel ne pénétra ;
C’est Dieu qui leur dit de se taire
Jusqu’au jour où tout parlera !
D’autres yeux de ces flots sans nombre
Ont vainement cherché le fond ;
D’autres yeux se sont emplis d’ombre
A contempler ce ciel profond !
Toi, demande au monde nocturne
De la paix pour ton coeur désert !
Demande une goutte à cette urne !
Demande un chant à ce concert !
Plane au-dessus des autres femmes,
Et laisse errer tes yeux si beaux
Entre le ciel où sont les âmes
Et la terre où sont les tombeaux !5 mai 2008 à 13h52 #146027Réponse à un acte d’accusation
Donc, c’est moi qui suis l’ogre et le bouc émissaire.
Dans ce chaos du siècle où votre coeur se serre,
J’ai foulé le bon goût et l’ancien vers françois
Sous mes pieds, et, hideux, j’ai dit à l’ombre: «Sois!»
Et l’ombre fut. — Voilà votre réquisitoire.
Langue, tragédie, art, dogmes, conservatoire,
Toute cette clarté s’est éteinte, et je suis
Le responsable, et j’ai vidé l’urne des nuits.
De la chute de tout je suis la pioche inepte;
C’est votre point de vue. Eh bien, soit, je l’accepte;
C’est moi que votre prose en colère a choisi;
Vous me criez: Racca; moi je vous dis: Merci!
Cette marche du temps, qui ne sort d’une église
Que pour entrer dans l’autre, et qui se civilise;
Ces grandes questions d’art et de liberté,
Voyons-les, j’y consens, par le moindre côté,
Et par le petit bout de la lorgnette. En somme,
J’en conviens, oui, je suis cet abominable homme;
Et, quoique, en vérité, je pense avoir commis,
D’autres crimes encor que vous avez omis.
Avoir un peu touché les questions obscures,
Avoir sondé les maux, avoir cherché les cures,
De la vieille ânerie insulté les vieux bâts,
Secoué le passé du haut jusques en bas,
Et saccagé le fond tout autant que la forme.
Je me borne à ceci: je suis ce monstre énorme,
Je suis le démagogue horrible et débordé,
Et le dévastateur du vieil A B C D;
Causons.
Quand je sortis du collége, du thème,
Des vers latins, farouche, espèce d’enfant blême
Et grave,au front penchant, aux membres appauvris;
Quand, tâchant de comprendre et de juger, j’ouvris
Les yeux sur la nature et sur l’art, l’idiome,
Peuple et noblesse, était l’image du royaume;
La poésie était la monarchie; un mot
Était un duc et pair, ou n’était qu’un grimaud;
Les syllabes,pas plus que Paris et que Londre,
Ne se mêlaient; ainsi marchent sans se confondre
Piétons et cavaliers traversant le pont Neuf;
La langue était l’état avant quatre-vingt-neuf;
Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes:
Les uns,nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes,
Les Méropes, ayant le décorum pour loi,
Et montant à Versaille aux carrosses du roi;
Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires,
Habitant les patois; quelques-uns aux galères
Dans l’argot; dévoués à tous les genres bas,
Déchirés en haillons dans les halles; sans bas,
Sans perruque;créés pour la prose et la farce;
Populace du style au fond de l’ombre éparse;
Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas leur chef
Dans le bagne Lexique avait marqué d’une F;
N’exprimant que la vie abjecte et familière,
Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.
Racine regardait ces marauds de travers;
Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,
Il le gardait, trop grand pour dire: Qu’il s’en aille;
Et Voltaire criait: Corneille s’encanaille!
Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi.
Alors, brigand, je vins; je m’écriai: Pourquoi
Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière?
Et sur l’Académie, aïeule et douairière,
Cachant sous ses jupons les tropes effarés,
Et sur les bataillons d’alexandrins carrés,
Je fis souffler un vent révolutionnaire.
Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.
Plus de mot sénateur! plus de mot roturier!
Je fis une tempête au fond de l’encrier,
Et je mêlai, parmi les ombres débordées,
Au peuple noir des mots l’essaim blanc des idées;
Et je dis: Pas de mot où l’idée au vol pur
Ne puisse se poser, tout humide d’azur!
Discours affreux! — Syllepse, hypallage, litote,
Frémirent; je montai sur la borne Aristote,
Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs.
Tous les envahisseurs et tous les ravageurs,
Tous ces tigres, les Huns les Scythes et les Daces,
N’étaient que des toutous auprès de mes audaces;
Je bondis hors du cercle et brisai le compas.
Je nommai le cochon par son nom; pourquoi pas?
Guichardin a nommé le Borgia! Tacite
Le Vitellius! Fauve, implacable, explicite,
J’ôtai du cou du chien stupéfait son collier
D’épithètes; dans l’herbe, à l’ombre du hallier,
Je fis fraterniser la vache et la génisse,
L’une étant Margoton et l’autre Bérénice.
Alors, l’ode, embrassant Rabelais, s’enivra;
Sur le sommet du Pinde on dansait Ça ira;
Les neuf muses, seins nus, chantaient la Carmagnole;
L’emphase frissonna dans sa fraise espagnole;
Jean, l’ânier, épousa la bergère Myrtil.
On entendit un roi dire: -Quelle heure est-il?-
Je massacrais l’albâtre, et la neige, et l’ivoire,
Je retirai le jais de la prunelle noire,
Et j’osai dire au bras: Sois blanc, tout simplement.
Je violai du vers le cadavre fumant;
J’y fis entrer le chiffre; ô terreur! Mithridate
Du siége de Cyzique eût pu citer la date.
Jours d’effroi! les Laïs devinrent des catins.
Force mots, par Restaut peignés tous les matins,
Et de Louis-Quatorze ayant gardé l’allure,
Portaient encor perruque; à cette chevelure
La Révolution, du haut de son beffroi,
Cria: -Transforme-toi! c’est l’heure. Remplis-toi
-De l’âme de ces mots que tu tiens prisonnière!-
Et la perruque alors rugit, et fut crinière.
Liberté! c’est ainsi qu’en nos rébellions,
Avec des épagneuls nous fîmes des lions,
Et que, sous l’ouragan maudit que nous soufflâmes,
Toutes sortes de mots se couvrirent de flammes.
J’affichai sur Lhomond des proclamations.
On y lisait: -Il faut que nous en finissions!
-Au panier les Bouhours, les Batteux, les Brossettes
-A lapensée humaine ils ont mis les poucettes.
-Aux armes, prose et vers! formez vos bataillons!
-Voyez où l’on en est: la strophe a des bâillons!
-L’ode a des fers aux pieds, le drame est en cellule.
-Sur le Racine mort le Campistron pullule!-
Boileau grinça des dents; je lui dis: Ci-devant,
Silence! et je criai dans la foudre et le vent:
Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe!
Et tout quatre-vingt-treize éclata. Sur leur axe,
On vit trembler l’athos, l’ithos et le pathos.
Les matassins, lâchant Pourceaugnac et Cathos,
Poursuivant Dumarsais dans leur hideux bastringue,
Des ondes du Permesse emplirent leur seringue.
La syllabe, enjambant la loi qui la tria,
Le substantif manant, le verbe paria,
Accoururent. On but l’horreur jusqu’à la lie.
On les vit déterrer le songe d’Athalie;
Ils jetèrent au vent les cendres du récit
De Théramène; et l’astre Institut s’obscurcit.
Oui, de l’ancien régime ils ont fait tables rases,
Et j’ai battu des mains, buveur du sang des phrases,
Quand j’ai vu par la strophe écumante et disant
Les choses dans un style énorme et rugissant,
L’Art poétique pris au collet dans la rue,
Et quand j’ai vu, parmi la foule qui se rue,
Pendre, par tous les mots que le bon goût proscrit,
La lettre aristocrate à la lanterne esprit.
Oui, je suis ce Danton! je suis ce Robespierre!
J’ai, contre le mot noble à la longue rapière,
Insurgé le vocable ignoble, son valet,
Et j’ai, sur Dangeau mort, égorgé Richelet.
Oui, c’est vrai, ce sont là quelques-uns de mes crimes.
J’ai pris et démoli la bastille des rimes.
J’ai faitplus: j’ai brisé tous les carcans de fer
Qui liaient le mot peuple, et tiré de l’enfer
Tous les vieux mots damnés, légions sépulcrales;
J’ai de la périphrase écrasé les spirales,
Et mêlé, confondu, nivelé sous le ciel
L’alphabet, sombre tour qui naquit de Babel;
Et je n’ignorais pas que la main courroucée
Qui délivre le mot, délivre la pensée.
L’unité, des efforts de l’homme est l’attribut.
Tout est la même flèche et frappe au même but.
Donc, j’en conviens, voilà, déduits en style honnête,
Plusieurs de mes forfaits, et j’apporte ma tête.
Vous devez être vieux, par conséquent, papa,
Pour la dixième fois j’en fais meâ culpâ.
Oui, si Beauzée est dieu, c’est vrai, je suis athée.
La langue était en ordre, auguste, époussetée,
Fleur-de-lis d’or, Tristan et Boileau, plafond bleu,
Les quarante fauteuils et le trône au milieu;
Je l’ai troublée, et j’ai, dans ce salon illustre,
Même un peu cassé tout; le mot propre, ce rustre,
N’était que caporal: je l’ai fait colonel;
J’ai fait un jacobin du pronom personnel;
Dur participe, esclave à la tête blanchie,
Une hyène, et du verbe une hydre d’anarchie.
Vous tenez le reum confitentem. Tonnez!
J’ai dit à la narine: Eh mais! tu n’es qu’un nez!
J’ai dit au long fruit d’or: Mais tu n’es qu’une poire!
J’ai dit à Vaugelas: Tu n’es qu’une mâchoire!
J’ai dit aux mots: Soyez république! soyez
La fourmilière immense, et travaillez! Croyez,
Aimez, vivez! — J’ai mis tout en branle, et, morose,
J’ai jeté le vers noble aux chiens noirs de la prose.
Et, ce que je faisais, d’autres l’ont fait aussi;
Mieux que moi. Calliope, Euterpe au ton transi,
Polymnie, ont perdu leur gravité postiche.
Nous faisons basculer la balance hémistiche.
C’est vrai, maudissez-nous. Le vers, qui, sur son front
Jadis portait toujours douze plumes en rond,
Et sans cesse sautait sur la double raquette
Qu’on nomme prosodie et qu’on nomme étiquette,
Rompt désormais la règle et trompe le ciseau,
Et s’échappe, volant qui se change en oiseau,
De la cage césure, et fuit vers la ravine,
Et vole dans les cieux, alouette divine.
Tous les mots à présent planent dans la clarté.
Les écrivains ont mis la langue en liberté.
Et, grâce à ces bandits, grâce à ces terroristes,
Le vrai, chassant l’essaim des pédagogues tristes,
L’imagination, tapageuse aux cent voix,
Qui casse des carreaux dans l’esprit des bourgeois;
La poésie au front triple, qui rit, soupire
Et chante, raille et croit; que Plaute et Shakspeare
Semaient, l’un sur la plebs, et l’autre sur le mob;
Qui verse aux nations la sagesse de Job
Et la raison d’Horace à travers sa démence;
Qu’enivre de l’azur la frénésie immense,
Et qui, folle sacrée aux regards éclatants,
Monte à l’éternité par les degrés du temps,
La muse reparaît, nous reprend, nous ramène,
Se remet à pleurer sur la misère humaine,
Frappe et console, va du zénith au nadir,
Et fait sur tous les fronts reluire et resplendir
Son vol, tourbillon, lyre, ouragan d’étincelles,
Et ses millions d’yeux sur ses millions d’ailes.
Le mouvement complète ainsi son action.
Grâce à toi, progrès saint, la Révolution
Vibre aujourd’hui dans l’air, dans la voix, dans le livre;
Dans le mot palpitant le lecteur la sent vivre;
Elle crie, elle chante, elle enseigne, elle rit,
Sa langue est déliée ainsi que son esprit.
Elle est dans le roman, parlant tout bas aux femmes.
Elle ouvre maintenant deux yeux où sont deux flammes,
L’un sur le citoyen, l’autre sur le penseur.
Elle prend par la main la Liberté, sa soeur,
Et la fait dans tout homme entrer par tous les pores.
Les préjugés, formés, comme les madrépores,
Du sombre entassement des abus sous les temps,
Se dissolvent au choc de tous les mots flottants,
Pleins de sa volonté, de son but, de son âme.
Elle est la prose, elle est le vers, elle est le drame;
Elle est l’expression, elle est le sentiment,
Lanterne dans la rue, étoile au firmament.
Elle entre aux profondeurs du langage insondable;
Elle souffle dans l’art, porte-voix formidable;
Et, c’est Dieu qui le veut, après avoir rempli
De ses fiertés le peuple, effacé le vieux pli
Des fronts, et relevé la foule dégradée,
Et s’être faite droit, elle se fait idée!5 mai 2008 à 13h54 #146028Stella
Je m’étais endormi la nuit près de la grève.
Un vent frais m’éveilla, je sortis de mon rêve,
J’ouvris les yeux, je vis l’étoile du matin.
Elle resplendissait au fond du ciel lointain
Dans une blancheur molle, infinie et charmante.
Aquilon s’enfuyait emportant la tourmente.
L’astre éclatant changeait la nuée en duvet.
C’était une clarté qui pensait, qui vivait ;
Elle apaisait l’écueil où la vague déferle ;
On croyait voir une âme à travers une perle.
Il faisait nuit encor, l’ombre régnait en vain,
Le ciel s’illuminait d’un sourire divin.
La lueur argentait le haut du mât qui penche ;
Le navire était noir, mais la voile était blanche ;
Des goëlands debout sur un escarpement,
Attentifs, contemplaient l’étoile gravement
Comme un oiseau céleste et fait d’une étincelle ;
L’océan, qui ressemble au peuple, allait vers elle,
Et, rugissant tout bas, la regardait briller,
Et semblait avoir peur de la faire envoler.
Un ineffable amour emplissait l’étendue.
L’herbe verte à mes pieds frissonnait éperdue,
Les oiseaux se parlaient dans les nids ; une fleur
Qui s’éveillait me dit : c’est l’étoile ma soeur.
Et pendant qu’à longs plis l’ombre levait son voile,
J’entendis une voix qui venait de l’étoile
Et qui disait : – Je suis l’astre qui vient d’abord.
Je suis celle qu’on croit dans la tombe et qui sort.
J’ai lui sur le Sina, j’ai lui sur le Taygète ;
Je suis le caillou d’or et de feu que Dieu jette,
Comme avec une fronde, au front noir de la nuit.
Je suis ce qui renaît quand un monde est détruit.
Ô nations ! je suis la poésie ardente.
J’ai brillé sur Moïse et j’ai brillé sur Dante.
Le lion océan est amoureux de moi.
J’arrive. Levez-vous, vertu, courage, foi !
Penseurs, esprits, montez sur la tour, sentinelles !
Paupières, ouvrez-vous, allumez-vous, prunelles,
Terre, émeus le sillon, vie, éveille le bruit,
Debout, vous qui dormez ! – car celui qui me suit,
Car celui qui m’envoie en avant la première,
C’est l’ange Liberté, c’est le géant Lumière !5 mai 2008 à 13h55 #146029Tristesse d’Olympio
Les champs n’étaient point noirs, les cieux n’étaient pas mornes.
Non, le jour rayonnait dans un azur sans bornes
Sur la terre étendu,
L’air était plein d’encens et les prés de verdures
Quand il revit ces lieux où par tant de blessures
Son coeur s’est répandu !
L’automne souriait ; les coteaux vers la plaine
Penchaient leurs bois charmants qui jaunissaient à peine ;
Le ciel était doré ;
Et les oiseaux, tournés vers celui que tout nomme,
Disant peut-être à Dieu quelque chose de l’homme,
Chantaient leur chant sacré !
Il voulut tout revoir, l’étang près de la source,
La masure où l’aumône avait vidé leur bourse,
Le vieux frêne plié,
Les retraites d’amour au fond des bois perdues,
L’arbre où dans les baisers leurs âmes confondues
Avaient tout oublié !
Il chercha le jardin, la maison isolée,
La grille d’où l’oeil plonge en une oblique allée,
Les vergers en talus.
Pâle, il marchait. – Au bruit de son pas grave et sombre,
Il voyait à chaque arbre, hélas ! se dresser l’ombre
Des jours qui ne sont plus !
Il entendait frémir dans la forêt qu’il aime
Ce doux vent qui, faisant tout vibrer en nous-même,
Y réveille l’amour,
Et, remuant le chêne ou balançant la rose,
Semble l’âme de tout qui va sur chaque chose
Se poser tour à tour !
Les feuilles qui gisaient dans le bois solitaire,
S’efforçant sous ses pas de s’élever de terre,
Couraient dans le jardin ;
Ainsi, parfois, quand l’âme est triste, nos pensées
S’envolent un moment sur leurs ailes blessées,
Puis retombent soudain.
Il contempla longtemps les formes magnifiques
Que la nature prend dans les champs pacifiques ;
Il rêva jusqu’au soir ;
Tout le jour il erra le long de la ravine,
Admirant tour à tour le ciel, face divine,
Le lac, divin miroir !
Hélas ! se rappelant ses douces aventures,
Regardant, sans entrer, par-dessus les clôtures,
Ainsi qu’un paria,
Il erra tout le jour, vers l’heure où la nuit tombe,
Il se sentit le coeur triste comme une tombe,
Alors il s’écria :
” O douleur ! j’ai voulu, moi dont l’âme est troublée,
Savoir si l’urne encor conservait la liqueur,
Et voir ce qu’avait fait cette heureuse vallée
De tout ce que j’avais laissé là de mon coeur !
Que peu de temps suffit pour changer toutes choses !
Nature au front serein, comme vous oubliez !
Et comme vous brisez dans vos métamorphoses
Les fils mystérieux où nos coeurs sont liés !
Nos chambres de feuillage en halliers sont changées !
L’arbre où fut notre chiffre est mort ou renversé ;
Nos roses dans l’enclos ont été ravagées
Par les petits enfants qui sautent le fossé.
Un mur clôt la fontaine où, par l’heure échauffée,
Folâtre, elle buvait en descendant des bois ;
Elle prenait de l’eau dans sa main, douce fée,
Et laissait retomber des perles de ses doigts !
On a pavé la route âpre et mal aplanie,
Où, dans le sable pur se dessinant si bien,
Et de sa petitesse étalant l’ironie,
Son pied charmant semblait rire à côté du mien !
La borne du chemin, qui vit des jours sans nombre,
Où jadis pour m’attendre elle aimait à s’asseoir,
S’est usée en heurtant, lorsque la route est sombre,
Les grands chars gémissants qui reviennent le soir.
La forêt ici manque et là s’est agrandie.
De tout ce qui fut nous presque rien n’est vivant ;
Et, comme un tas de cendre éteinte et refroidie,
L’amas des souvenirs se disperse à tout vent !
N’existons-nous donc plus ? Avons-nous eu notre heure ?
Rien ne la rendra-t-il à nos cris superflus ?
L’air joue avec la branche au moment où je pleure ;
Ma maison me regarde et ne me connaît plus.
D’autres vont maintenant passer où nous passâmes.
Nous y sommes venus, d’autres vont y venir ;
Et le songe qu’avaient ébauché nos deux âmes,
Ils le continueront sans pouvoir le finir !
Car personne ici-bas ne termine et n’achève ;
Les pires des humains sont comme les meilleurs ;
Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve.
Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs.
Oui, d’autres à leur tour viendront, couples sans tache,
Puiser dans cet asile heureux, calme, enchanté,
Tout ce que la nature à l’amour qui se cache
Mêle de rêverie et de solennité !
D’autres auront nos champs, nos sentiers, nos retraites ;
Ton bois, ma bien-aimée, est à des inconnus.
D’autres femmes viendront, baigneuses indiscrètes,
Troubler le flot sacré qu’ont touché tes pieds nus !
Quoi donc ! c’est vainement qu’ici nous nous aimâmes !
Rien ne nous restera de ces coteaux fleuris
Où nous fondions notre être en y mêlant nos flammes !
L’impassible nature a déjà tout repris.
Oh ! dites-moi, ravins, frais ruisseaux, treilles mûres,
Rameaux chargés de nids, grottes, forêts, buissons.
Est-ce que vous ferez pour d’autres vos murmures ?
Est-ce que vous direz à d’autres vos chansons ?
Nous vous comprenions tant ! doux, attentifs, austères,
Tous nos échos s’ouvraient si bien à votre voix !
Et nous prêtions si bien, sans troubler vos mystères,
L’oreille aux mots profonds que vous dites parfois !
Répondez, vallon pur, répondez, solitude,
O nature abritée en ce désert si beau,
Lorsque nous dormirons tous deux dans l’attitude
Que donne aux morts pensifs la forme du tombeau,
Est-ce que vous serez à ce point insensible
De nous savoir couchés, morts avec nos amours,
Et de continuer votre fête paisible,
Et de toujours sourire et de chanter toujours ?
Est-ce que, nous sentant errer dans vos retraites,
Fantômes reconnus par vos monts et vos bois,
Vous ne nous direz pas de ces choses secrètes
Qu’on dit en revoyant des amis d’autrefois ?
Est-ce que vous pourrez, sans tristesse et sans plainte,
Voir nos ombres flotter où marchèrent nos pas,
Et la voir m’entraîner, dans une morne étreinte,
Vers quelque source en pleurs qui sanglote tout bas ?
Et s’il est quelque part, dans l’ombre où rien ne veille,
Deux amants sous vos fleurs abritant leurs transports,
Ne leur irez-vous pas murmurer à l’oreille :
– Vous qui vivez, donnez une pensée aux morts !
Dieu nous prête un moment les prés et les fontaines,
Les grands bois frissonnants, les rocs profonds et sourds
Et les cieux azurés et les lacs et les plaines,
Pour y mettre nos coeurs, nos rêves, nos amours ;
Puis il nous les retire. Il souffle notre flamme ;
Il plonge dans la nuit l’antre où nous rayonnons ;
Et dit à la vallée, où s’imprima notre âme,
D’effacer notre trace et d’oublier nos noms.
Eh bien ! oubliez-nous, maison, jardin, ombrages !
Herbe, use notre seuil ! ronce, cache nos pas !
Chantez, oiseaux ! ruisseaux, coulez ! croissez, feuillages !
Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas.
Car vous êtes pour nous l’ombre de l’amour même !
Vous êtes l’oasis qu’on rencontre en chemin !
Vous êtes, ô vallon, la retraite suprême
Où nous avons pleuré nous tenant par la main !
Toutes les passions s’éloignent avec l’âge,
L’une emportant son masque et l’autre son couteau,
Comme un essaim chantant d’histrions en voyage
Dont le groupe décroît derrière le coteau.
Mais toi, rien ne t’efface, amour ! toi qui nous charmes,
Toi qui, torche ou flambeau, luis dans notre brouillard !
Tu nous tiens par la joie, et surtout par les larmes.
Jeune homme on te maudit, on t’adore vieillard.
Dans ces jours où la tête au poids des ans s’incline,
Où l’homme, sans projets, sans but, sans visions,
Sent qu’il n’est déjà plus qu’une tombe en ruine
Où gisent ses vertus et ses illusions ;
Quand notre âme en rêvant descend dans nos entrailles,
Comptant dans notre coeur, qu’enfin la glace atteint,
Comme on compte les morts sur un champ de batailles,
Chaque douleur tombée et chaque songe éteint,
Comme quelqu’un qui cherche en tenant une lampe,
Loin des objets réels, loin du monde rieur,
Elle arrive à pas lents par une obscure rampe
Jusqu’au fond désolé du gouffre intérieur ;
Et là, dans cette nuit qu’aucun rayon n’étoile,
L’âme, en un repli sombre où tout semble finir,
Sent quelque chose encor palpiter sous un voile…
C’est toi qui dors dans l’ombre, ô sacré souvenir ! “5 mai 2008 à 13h57 #146030Ultima verba
… Quand même grandirait l’abjection publique
A ce point d’adorer l’exécrable trompeur ;
Quand même l’Angleterre et même l’Amérique
Diraient à l’exilé : – Va-t’en ! nous avons peur !
Quand même nous serions comme la feuille morte,
Quand, pour plaire à César, on nous renîrait tous ;
Quand le proscrit devrait s’enfuir de porte en porte,
Aux hommes déchiré comme un haillon aux clous ;
Quand le désert, où Dieu contre l’homme proteste,
Bannirait les bannis, chasserait les chassés ;
Quand même, infâme aussi, lâche comme le reste,
Le tombeau jetterait dehors les trépassés ;
Je ne fléchirai pas ! Sans plainte dans la bouche,
Calme, le deuil au coeur, dédaignant le troupeau,
Je vous embrasserai dans mon exil farouche,
Patrie, ô mon autel ! Liberté, mon drapeau !
Mes nobles compagnons, je garde votre culte ;
Bannis, la République est là qui nous unit.
J’attacherai la gloire à tout ce qu’on insulte ;
Je jetterai l’opprobre à tout ce qu’on bénit!
Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre,
La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non !
Tandis que tes valets te montreront ton Louvre,
Moi, je te montrerai, César, ton cabanon.
Devant les trahisons et les têtes courbées,
Je croiserai les bras, indigné, mais serein.
Sombre fidélité pour les choses tombées,
Sois ma force et ma joie et mon pilier d’airain !
Oui, tant qu’il sera là, qu’on cède ou qu’on persiste,
O France ! France aimée et qu’on pleure toujours,
Je ne reverrai pas ta terre douce et triste,
Tombeau de mes aïeux et nid de mes amours !
Je ne reverrai pas ta rive qui nous tente,
France ! hors le devoir, hélas ! j’oublierai tout.
Parmi les éprouvés je planterai ma tente :
Je resterai proscrit, voulant rester debout.
J’accepte l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme,
Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu’un a plié qu’on aurait cru plus ferme,
Et si plusieurs s’en vont qui devraient demeurer.
Si l’on n’est plus que mille, eh bien, j’en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
S’il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !5 mai 2008 à 13h59 #1421215 mai 2008 à 13h59 #146031Veni, vidi, vixi
J’ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs
Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,
Puisque je ris à peine aux enfants qui m’entourent,
Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs ;
Puisqu’au printemps, quand Dieu met la nature en fête,
J’assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour ;
Puisque je suis à l’heure où l’homme fuit le jour,
Hélas ! et sent de tout la tristesse secrète ;
Puisque l’espoir serein dans mon âme est vaincu ;
Puisqu’en cette saison des parfums et des roses,
Ô ma fille ! j’aspire à l’ombre où tu reposes,
Puisque mon coeur est mort, j’ai bien assez vécu.
Je n’ai pas refusé ma tâche sur la terre.
Mon sillon ? Le voilà. Ma gerbe ? La voici.
J’ai vécu souriant, toujours plus adouci,
Debout, mais incliné du côté du mystère.
J’ai fait ce que j’ai pu ; j’ai servi, j’ai veillé,
Et j’ai vu bien souvent qu’on riait de ma peine.
Je me suis étonné d’être un objet de haine,
Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.
Dans ce bagne terrestre où ne s’ouvre aucune aile,
Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,
Morne, épuisé, raillé par les forçats humains,
J’ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle.
Maintenant, mon regard ne s’ouvre qu’à demi ;
Je ne me tourne plus même quand on me nomme ;
Je suis plein de stupeur et d’ennui, comme un homme
Qui se lève avant l’aube et qui n’a pas dormi.
Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,
Répondre à l’envieux dont la bouche me nuit.
Ô Seigneur, ! ouvrez-moi les portes de la nuit,
Afin que je m’en aille et que je disparaisse ! - AuteurMessages
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