HUGO, Victor – Monologue d’Hernani
(Extrait d’Hernani, Acte 3, Scène 2)
Monts d’Aragon, Galice, Estramadoure !
– Oh ! Je porte malheur à tout ce qui m’entoure !
J’ai pris vos meilleurs fils, pour mes droits, sans remords,
Je les ai fait combattre et voilà qu’ils sont morts !
C’était les plus vaillants de la vaillante Espagne.
Ils sont morts ! ils sont tous tombés dans la montagne,
Tous sur le dos couché, en braves, devant Dieu,
Et, si leurs yeux s’ouvraient, ils verraient le ciel bleu !
Voilà ce que je fais de tout ce qui m’épouse !
Est-ce une destinée à te rendre jalouse ?
Doña Sol, prends le duc, prends l’enfer, prends le roi !
C’est bien. Tout ce qui n’est pas moi vaut mieux que moi !
Je n’ai plus un ami qui de moi se souvienne,
Tout me quitte ; il est temps qu’à la fin ton tour vienne,
Car je dois être seul. Fuis ma contagion.
Ne te fais pas d’aimer une religion !
Oh ! par pitié pour toi, fuis !… Tu me crois peut-être,
Un homme comme sont tous les autres, un être
Intelligent, qui court droit au but qu’il rêva.
Détrompe-toi. Je suis une force qui va !
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !
Une âme de malheur faite avec des ténèbres !
Où vais-je ? Je ne sais. Mais je me sens poussé
D’un souffle impétueux, d’un destin insensé.
Je descends, je descends et jamais ne m’arrête.
Si, parfois, haletant, j’ose tourner la tête,
Une voix me dit : “Marche !” et l’abîme est profond,
Et de flamme ou de sang je le vois rouge au fond !
Cependant, à l’entour de ma course farouche,
Tous se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche !
Oh ! Fuis ! Détourne-toi de mon chemin fatal !
Hélas, sans le vouloir, je te ferai du mal !