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- 9 juin 2018 à 16h48 #1447609 juin 2018 à 16h48 #161209
Le court texte ci-dessous sert d'introduction aux aventures de Conan, dans la nouvelle “Le Phénix sur l'Epée”. Il ne fait pas partie de la présente nouvelle, mais la traduction en est présentée ici à toutes fins utiles.
Sache, ô prince, qu’entre l’époque qui vit l’Atlantide et les villes de lumière disparaître sous les eaux, et la venue des fils d’Aryas, il y eut un âge insoupçonné, où des royaumes étincelants s’étendaient sur le monde comme de bleus manteaux sous le ciel étoilé – la Némédie, Ophir, la Brythunie, l’Hyperborée, Zamora avec ses femmes aux cheveux bruns et ses tours mystérieuses hantées d’araignées monstrueuses, Zingara et ses chevaliers, Koth qui brodait les plaines herbeuses de Shem, la Stygie avec ses tombes gardées par les ombres, l’Hyrkanie dont les guerriers portaient de l’acier et de la soie et de l’or. Mais le plus fier royaume de la terre était l’Aquilonie, qui régnait incontestée sur les rêves de l’ouest. Là vint Conan, le Cimmérien aux cheveux bruns et au regard sombre, l’épée à la main, un voleur, un pillard, un tueur, dont les accès de mélancolie étaient aussi épiques que ses explosions de joie, et qui foula de ses sandales les trônes incrustés de joyaux de la Terre. »
– Les chroniques Némédiennes
Les Dieux du Nord
Le fracas des épées s’était tu, les clameurs du massacre laissaient place au silence qui s’étendait sur la neige souillée de sang. Un soleil pâle et lugubre étincelait sur les amas de glace et les plaines couvertes de neige, et jetait des éclairs d’argent sur les corselets déchirés et les épées brisées des cadavres, qui étaient étendus là où ils étaient tombés. La main immobile tenait toujours fermement la poignée de l’épée brisée, les têtes casquées, renversées en arrière dans l’agonie de la mort, dressaient sinistrement leur barbe rousse ou leur barbe blonde, comme pour invoquer Ymir, le géant de la glace, Dieu d’un peuple de guerriers.
Au milieu des amas de neige couleur de sang et des formes recouvertes de mailles, deux hommes se regardaient intensément. Eux seuls bougeaient dans cette absolue désolation. Le ciel glacé s’étendait au-dessus d’eux, la plaine blanche et sans fin autour d’eux, les hommes morts à leurs pieds. Lentement au milieu des cadavres ils vinrent à la rencontre l’un de l’autre, comme des fantômes allant vers leur lieu de rendez-vous parmi les décombres d’un monde mort. Dans le silence terrible, ils se firent face.
Tous deux étaient de grande taille, bâtis comme des tigres. Ils avaient perdu leurs boucliers ; leurs corselets étaient cabossés et déchirés. Le sang coulait sur leurs cottes de mailles ; leurs épées étaient teintes de rouge. Leurs casques à cornes montraient les traces de coups redoutables. L’un était imberbe et avait les cheveux noirs. Les boucles et la barbe de l’autre étaient aussi rouges que le sang sur la neige en plein soleil.
« Toi », dit-il, « dis-moi ton nom, afin que mes frères à Vanaheim sachent qui était le dernier de la bande de Wulfhere à tomber sous la lame de Heimdul. »
« Ce n’est pas à Vanaheim », grogna le guerrier aux cheveux bruns, « mais au Valhalla que tu diras à tes frères que tu as rencontré Conan de Cimmérie. »
Heimdul rugit et bondit, et son épée dessina un arc mortel. Conan chancela, et sa vision s’emplit d’étincelles rouges tandis que l’épée sifflante s’écrasait sur son casque et volait en éclats de feu bleuté. Pourtant comme il titubait, il poussa de toute la force de ses larges épaules sur son épée vibrante. Sa pointe effilée s’enfonça entre les mailles de cuivre puis à travers les os et le cœur, et le guerrier aux cheveux roux mourut aux pieds de Conan.
Le Cimmérien se tenait debout, son épée touchant le sol, épuisé par une soudaine vague de dégoût. Le reflet du soleil sur la neige blessait ses yeux comme une lame et le ciel semblait lointain et étranger. Il se détourna de l’étendue piétinée où les guerriers à la barbe blonde gisaient enchevêtrés dans l’éteinte de la mort parmi les tueurs aux cheveux roux. Il fit quelques pas, et l’éclat des plaines enneigées s’atténua soudain. En un instant il fut englouti par une vague de ténèbres et s’écroula dans la neige, appuyé sur son bras recouvert de mailles, s’efforçant de chasser l’aveuglement de ses yeux comme un lion aurait secoué sa crinière.
Au milieu de son malaise il entendit un rire argenté, et il retrouva lentement la vue. Il leva les yeux ; il y avait dans le paysage une étrangeté qu’il ne pouvait comprendre ou définir – une couleur inhabituelle dans la terre et dans le ciel. Mais il ne put y penser longtemps. Devant lui, se balançant comme un jeune arbre dans le vent, se tenait une femme. A ses yeux ébahis, son corps était comme de l’ivoire, et sauf un léger voile transparent, elle était nue comme au jour de sa naissance. Ses fins pieds nus étaient plus blancs encore que la neige qu’ils foulaient. Elle riait du guerrier qui était à ses pieds, déconcerté. Son rire était plus doux que le chant de fontaines argentées, et pourtant il était empreint d’une cruelle moquerie.
« Qui es-tu ? » demanda le Cimmérien. « D’où viens-tu ? »
« Quelle importance ? » Sa voix était aussi musicale que les notes d’une harpe aux cordes d’argent, mais il y avait aussi en elle de la cruauté.
« Appelle tes hommes » dit-il, saisissant son épée. « Bien que les forces me manquent, ils ne me prendront pas vivant. Je vois que tu es une Vanir. »
« Ai-je dit cela ? »
Il regarda à nouveau ses boucles sauvages, qu’à première vue il avait crues rousses. Maintenant il voyait qu’elles n’étaient ni rousses ni blondes, mais d’un splendide mélange des deux couleurs. Il la contemplait émerveillé. Sa chevelure était dorée comme celle d’un elfe ; le soleil la frappait de façon si éblouissante qu’il pouvait à peine poser le regard sur elle. De même ses yeux n’étaient ni vraiment bleus ni vraiment gris, mais de couleurs et de teintes changeantes et dansantes qu’il n’aurait pu définir. Ses lèvres pleines et rouges souriaient, et depuis ses pieds élancés jusqu’à la couronne étincelante de sa chevelure agitée par le vent, son corps d’ivoire avait la perfection du rêve d’un dieu. Le sang de Conan se mit à battre dans ses tempes.
« Je ne saurais dire », dit-il, « si tu es de Vannaheim, et mon ennemie, ou d’Asgard et mon alliée. J’ai beaucoup voyagé, mais jamais je n’ai vu une femme telle que toi. L’éclat de ta chevelure m’aveugle. Jamais je n’ai vu sa semblable, même chez les plus belles filles des Aesir. Par Ymir – »
« Qui es-tu pour jurer par Ymir ? » se moqua-t-elle. « Que sais-tu des dieux de glace et de neige, toi qui es venu du sud pour chercher aventure chez un peuple étranger ? »
« Par les dieux noirs de ma propre race ! » s’écria-t-il avec colère. « Bien que je ne sois pas un Aesir aux cheveux d’or, personne n’a mieux combattu que moi ! En ce jour j’ai vu quatre vingtaines d’hommes tomber, et moi seul ai survécu sur cette plaine où les bandits de Wulfhere ont rencontré les loups de Bragi. Dis-moi, femme, as-tu aperçu l’éclat des cottes de mailles dans la plaine enneigée, ou as-tu vu des hommes en armure se déplacer sur les champs de glace ? »
« J’ai vu la glace étinceler au soleil » répondit-elle. « J’ai entendu la plainte du vent au milieu des neiges éternelle. »
Il secoua la tête en soupirant.
« Niord aurait dû nous rejoindre avant le début de la bataille. Je crains que lui et ses combattants ne soient tombés dans une embuscade. Wulfhere et ses guerriers sont morts. J’aurais cru qu’il n’y avait aucun village à des lieues d’ici, car la guerre nous a menés fort loin ; mais tu ne peux avoir parcouru une grande distance au milieu de cette neige, nue comme tu es. Mène-moi à ta tribu, si tu es de la maison d’Asgard, car les blessures m’ont affaibli et je suis épuisé par le combat. »
Elle rit. « Mon village se trouve bien plus loin que tu ne peux marcher, Conan de Cimmérie ». Ouvrant grand ses bras, elle se mit à se balancer devant lui, sa chevelure d’or ondulant sensuellement, ses yeux scintillants à demi cachés par l’ombre de ses longs cils soyeux. « Ne suis-je pas belle, Ô homme ? »
« Aussi belle que l’Aube courant nue sur les neiges » murmura-t-il, ses yeux brillant comme ceux d’un loup.
« Alors pourquoi ne te lèves-tu pas pour me suivre ? Quel est ce fier guerrier qui reste ainsi étendu à mes pieds ? » chanta-t-elle, avec un rire à lui faire perdre la raison. « Reste donc là et meurs dans la neige avec les autres fous, Conan à la noire chevelure. Tu ne peux ma suivre là où je t’emmènerais. »
Avec un juron Conan le Cimmérien se releva péniblement, ses yeux bleus étincelants, son sombre visage balafré déformé par la colère. La rage emplissait son âme, mais le désir qu’il éprouvait pour cette silhouette tentatrice devant lui faisait battre ses tempes et faisait bouillir le sang dans ses veines. Une passion qui avait la violence physique d’une agonie inondait tout son être, si bien que la terre comme le ciel étaient écarlates à ses yeux fiévreux. La folie qui s’abattait sur lui éloignait la fatigue et la faiblesse.
Il ne dit pas un mot tandis qu’il se dirigeait vers elle, les mains tendues pour saisir sa douce chair. Eclatant de rire, elle bondit en arrière et se mit à courir, se moquant de lui tandis qu’elle lui lançait des regards par-dessus de sa blanche épaule. Avec un sourd grognement, Conan la suivit. Il avait oublié le combat, oublié les guerriers en cotte de mailles qui gisaient dans leur sang, oublié Niord et ses pillards qui avaient manqué le rendez-vous du combat. Il n’avait de pensée que pour la gracieuse forme blanche qui semblait flotter plus que courir au-devant de lui.
Sa chasse l’entraîna à travers les blanches plaines éclatantes. Le champ de bataille piétiné et rougi disparut à l’horizon, mais Conan tenait de sa race sa ténacité silencieuse. Ses pieds bardés de métal brisaient la croûte de glace, il s’enfonçait profondément dans les congères et ne les traversait que par sa force brute. Mais la fille, elle, dansait au-dessus de la neige, aussi légère qu’une plume flottant sur un bassin ; à peine ses pieds nus laissaient-ils une empreinte sur la gelée qui recouvrait la croûte de glace. Malgré le feu qui bouillonnait dans ses veines, le froid traversait l’armure et la tunique de doublée de fourrure du guerrier. La fille dans son voile diaphane courait aussi aussi légèrement et aussi gaiement que si elle dansait parmi les palmeraies et les roseraies du Poitain.
Encore et encore elle courait, et Conan suivait. De noires malédictions venaient aux lèvres craquelées du Cimmérien. Les grandes veines de ses tempes battaient et gonflaient, et il serrait les dents.
« Tu ne peux m’échapper ! » rugit-il. « Mène-moi à un piège, et j’empilerai à tes pieds les têtes de tous les tiens ! Cache-toi à mon regard et je déchirerai les montagnes pour te retrouver ! Je te suivrai jusqu’en enfer ! »
Le rire de la fille flotta jusqu’à lui et le rendit fou ; l’écume lui vint aux lèvres. Encore et encore plus loin dans les vastes étendues désertes elle l’entraîna. Le paysage changea ; les grandes plaines laissèrent la place à des collines basses, qui s’élevaient en chaînes irrégulières. Loin au nord il perçut l’éclat bleuté de montagnes altières, et le blanc des neiges éternelles. Au-dessus de ces montagnes brillait la lumière des aurores boréales. Elles s’étendaient sur tout le ciel, comme des lames gelées de froide lumière, changeant de couleur, gagnant en éclat et en grandeur.
Au-dessus de lui les cieux brillaient et crépitaient d’étranges lumières et miroitements. La neige renvoyait des reflets insolites, là d’un bleu intense, là d’un pourpre glacial, là d’un froid argent. A travers une vibrante contrée enchantée et glacée, Conan plongeait en avant, dans un labyrinthe cristallin où la seule réalité était celle de ce corps blanc qui dansait sur la neige éclatante hors de sa portée – toujours hors de sa portée.
Il ne s’interrogeait pas sur l’étrangeté de tout ceci, même lorsque deux gigantesques silhouettes se dressèrent en travers de son chemin. Leurs cottes de mailles étaient blanches de givre ; leurs casques et leurs haches étaient couverts de glace. Leurs cheveux étaient couverts de neige ; dans leur barbe se trouvaient des aiguilles de glace. Leurs yeux étaient aussi froids que les lumières qui dansaient au-dessus d’eux.
« Frères ! » cria la fille, dansant parmi eux. « Regardez qui me suit ! Je vous ai amené un homme à tuer ! Arrachez-lui le cœur afin que nous puissions le déposer encore tout fumant sur la table de notre père ! »
Les géants lui répondirent par des grognements qui étaient comme les gémissements des icebergs sur un littoral gelé, et ils levèrent leurs haches brillantes, tandis que le Cimmérien se précipitait vers eux comme un fou. Une lame glacée brilla devant ses yeux et l’aveugla, mais il riposta par un terrible coup qui trancha la cuisse de son ennemi. Celui-ci s’effondra avec un grognement, et au même moment Conan fut projeté dans la neige, l’épaule gauche paralysée par le coup que lui avait donné le survivant, et ne devant la vie qu’à la solidité de sa cotte de mailles. Conan vit le géant qui restait se dresser haut au-dessus de lui comme un colosse taillé dans la glace, se détachant sur le ciel glacé et brillant. La hache s’abattit, pour s’enfoncer dans la neige, et plus profondément encore dans la terre gelée, tandis que Conan se jetait sur le côté et bondissait sur ses pieds. Le géant poussa un rugissement et libéra violemment sa hache, mais au même moment, l’épée de Conan s’abattit en sifflant. Le géant plia les genoux et s’abattit lentement dans la neige, qui devint écarlate du sang qui s’écoulait de son cou à demi sectionné.
Conan se retourna et vit la fille qui se tenait à peu de distance, écarquillant les yeux d’horreur en le regardant. Toute moquerie avait quitté son visage. Il poussa un hurlement féroce et son épée répandait des gouttes de sang tandis que sa main tremblait sous le coup de sa passion.
« Appelle tes autres frères ! » cria-t-il. « Je donnerai leur cœur aux loups ! Tu ne peux pas m’échapper ! »
Avec un cri de terreur elle se retourna et s’enfuit en courant. Elle ne riait plus maintenant, ni ne se moquait de lui en lui jetant des regards par-dessus sa blanche épaule. Elle courait comme pour survivre, et bien qu’il tendît tous ses nerfs et tous ses muscles, au point que ses tempes étaient sur le point de s’enflammer et que la neige semblait rouge à ses yeux, elle continuait à s’éloigner de lui, rapetissant sous les flammes ensorcelantes des cieux, jusqu’à n’être pas plus grande qu’un enfant, puis une flamme blanche dansant sur la neige, enfin une vague silhouette dans le lointain. Mais, serrant les dents jusqu’à ce que le sang jaillisse de ses gencives, il redoubla d’efforts, et il vit la silhouette redevenir une flamme blanche, et la flamme aussi grande qu’un enfant. Et alors, elle courait à moins de cent pas devant lui, et la distance continuait à se réduire, pied par pied.
Elle courait maintenant avec effort, ses boucles d’or flottant librement au vent ; il entendait son halètement rapide, et il put voir un éclair de peur dans le regard qu’elle lui jeta par-dessus sa blanche épaule. La féroce endurance du barbare lui avait bien servi. Les blanches jambes de la fille perdaient de la vitesse ; sa démarche devenait chancelante. Dans l’âme indomptée du barbare s’allumaient les feux de l’enfer qu’elle avait si bien su attiser. Avec un cri inhumain, il la rejoignit, au moment où elle se retournait en poussant un cri terrifiant et en tendant les bras pour le repousser.
Il laissa tomber son épée dans la neige pour l’attirer et la serrer contre lui. Son corps souple s’arqua en arrière tandis qu’elle se débattait avec une frénésie désespérée entre ses bras d’airain. Ses cheveux d’or battaient son visage, l’aveuglant de leur éclat ; la sensation du corps élancé qui se débattait entre ses bras bardés de fer le rendait encore plus fou. Ses doigts puissants s’enfoncèrent dans la chair tendre, et cette chair était aussi froide que la glace. C’était comme s’il étreignait non pas une femme de chair et de sang, mais une femme de glace incandescente. Elle balançait son visage de droite et de gauche, essayant d’éviter les féroces baisers qui blessaient ses lèvres rouges.
« Tu es aussi froide que les neiges », murmura-t-il, étonné. « Je vais te réchauffer par le feu de mon sang – »
D’un mouvement désespéré, elle s’échappa de ses bras en poussant un cri, ne lui laissant dans les mains que son voile léger. Elle sauta en arrière et lui fit face, ses boucles dorées en désordre, sa blanche poitrine haletante, ses beaux yeux brillant de terreur. Pendant un instant il ne put bouger, frappé par sa terrible beauté comme elle se tenait ainsi debout, nue sur la neige.
Et à ce moment elle lança ses bras vers les lumières qui brillaient dans les cieux au-dessus d’elle, et cria d’une voix qui à jamais résonnerait aux oreilles de Conan : « Ymir ! Oh, mon père, sauve moi ! »
Conan bondissait en avant, les bras tendus pour se saisir d’elle, quand, avec un craquement évoquant un glacier se brisant, le ciel tout entier s’emplit d’un feu de glace. Le corps d’ivoire de la jeune fille fut soudain enveloppé d’une froide flamme bleue si aveuglante que le Cimmérien dut lever les bras pour protéger ses yeux de cet insupportable éclat. Un bref instant, les cieux et les collines glacées furent baignés de flammes blanches crépitantes, de bleus éclats de lumière glacée, et de feux écarlates glacés. Alors Conan tituba et se mit à crier. La fille avait disparu. La neige étincelante était vide et nue ; loin au-dessus de lui, les lumières fantastiques éclataient et virevoltaient dans le ciel glacé devenu fou, et au milieu des lointaines montagnes bleutées roulait le tonnerre comme si un gigantesque chariot de guerre était tiré par des montures dont les sabots frénétiques faisaient jaillir des éclairs de la neige et résonner les cieux.
Soudain l’aurore boréale, les collines couvertes de neige et les cieux en flammes se mirent à vaciller sous les yeux de Conan ; des milliers de boules de feu éclatèrent, faisant jaillir une averse d’étincelles, et le ciel lui-même devint une roue titanesque déversant une pluie d’étoiles tandis qu’elle tournait. Sous ses pieds les collines enneigées se soulevèrent comme une vague, et le Cimmérien s’écroula dans la neige où il resta immobile.
Dans un univers de froide noirceur, dont le soleil s’était éteint des éternités plus tôt, Conan sentit le mouvement d’une vie, étrangère et insoupçonnée. Un tremblement de terre s’était emparé de lui et le secouait d’avant en arrière, faisant vibrer à la fois ses mains et ses pieds jusqu’à ce qu’il hurle de douleur et de fureur et cherche à saisir son épée.
« Il revient, Horsa », dit une voix. « Vite – nous devons chasser le froid de ses membres, si nous voulons qu’il puisse encore brandir une épée. »
« Il ne veut pas ouvrir sa main gauche », grogna une autre voix. « Il serre quelque chose… »
Conan ouvrit les yeux et regarda les deux visages barbus qui étaient penchés sur lui. Il était entouré de grands guerriers aux cheveux blonds, vêtus de cottes de mailles et de fourrures.
« Conan ! Tu es vivant ! »
« Par Crom, Niord », s’écria le Cimmérien, « Suis-je vivant, ou sommes nous tous morts et au Valhalla ? »
« Nous sommes vivants », grogna d’Aesir, qui s’occupait des pieds à demi-gelés de Conan. « Nous sommes tombés dans une embuscade, sinon nous vous aurions rejoints avant le début de la bataille. Les cadavres étaient tout juste froids lorsque nous sommes arrivés sur le champ de bataille. Nous ne t’avons pas trouvé parmi les morts ; nous avons donc suivi ta piste. Au nom d’Ymir, Conan, pourquoi t’es-tu aventuré dans les déserts du nord ? Nous avons suivi tes traces dans la neige pendant des heures. Si un blizzard s’était levé et les avait recouvertes, nous ne t’aurions jamais trouvé, par Ymir ! »
« N’invoque pas tant le nom d’Ymir » grommela l’un des guerriers, qui regardait les lointaines montagnes. « Cette terre est la sienne et le Dieu habite ces hauts sommets, disent les légendes. »
« J’ai vu une femme » répondit évasivement Conan. « Nous avons rencontré les hommes de Bragi dans la plaine. Je ne sais combien de temps nous avons combattu. Moi seul ai survécu. J’étais épuisé et affaibli. Ce pays s’étendait comme un rêve devant moi ; ce n’est que maintenant que les choses me semblent naturelles et familières. La femme est venue à moi et elle s’est moquée de moi. Elle était belle comme une flamme glacée de l’enfer. Une étrange folie s’empara de moi quand je posai les yeux sur elle, et j’oubliai tout ce qui n’était pas elle. Je la suivis. N’avez-vous pas vu ses traces ? Ou les géants en armures glacées que j’ai tués ? »
Niord secoua la tête. « Nous n’avons trouvé que tes traces dans la neige, Conan. »
« Alors peut-être suis-je fou. » dit Conan, hébété. « Et pourtant, vous-mêmes n’êtes pas plus réels pour moi que cette sorcière aux cheveux d’or qui s’est enfuie nue sur la neige devant moi. Mais quand je l’ai saisie dans mes mains, elle s’est évanouie dans une flamme glacée. »
« Il délire » murmura un guerrier.
« Pas du tout ! » s’écria un homme plus âgé, dont les yeux avaient un éclat sauvage et étrange. « C’était Atali, la fille d’Ymir, le Géant de Glace ! Elle apparaît sur les champs de bataille, et se montre aux mourants ! Moi-même lorsque j’étais enfant, je l’ai vue, tandis que je gisais à demi-mort, sur le sanglant champ de bataille de Wolraven. Je l’ai vue marcher parmi les morts dans la neige, son corps nu rayonnant comme de l’ivoire, et sa chevelure d’or brillant d’un éclat insoutenable sous le clair de lune. J’étais étendu là et je hurlais comme un chien mourant parce que je ne pouvais ramper jusqu’à elle. Elle séduit les hommes étendus sur les champs de bataille et les perd dans les déserts pour qu’ils soient tués par ses frères, les géants de glace, qui déposent ensuite leurs cœurs sanglants et fumants sur la table d’Ymir. Le Cimmérien a vu Atali, la fille du Géant de Glace ! »
« Bah ! » grogna Horsa. « Le vieux Gorm a été blessé à la tête quand il était jeune par un coup d’épée à la tête. Conan a déliré après cette furieuse bataille – regardez comme son casque est cabossé. Certains de ces coups ont pu troubler son esprit. C’est une hallucination qu’il a poursuivie dans le désert. Il est du sud, que peut-il bien savoir d’Atali ? »
« Peut-être as-tu raison » murmura Conan. « Tout était tellement étrange et comme dans un rêve – Par Crom ! »
Il s’interrompit, regardant fixement l’objet qui dépassait toujours de son poing gauche fermé. Les autres contemplèrent silencieusement le voile qu’il releva vers eux – un voile diaphane qui jamais n’avait été tissé par une main humaine.
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