GAUTIER, Théophile – Poésies

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  • #145551
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      GAUTIER, Théophile – Poésies


      “L’art”

      Oui, l’oeuvre sort plus belle
      D’une forme au travail
      Rebelle,
      Vers, marbre, onyx, émail.

      Point de contraintes fausses !
      Mais que pour marcher droit
      Tu chausses,
      Muse, un cothurne étroit.

      Fi du rhythme commode,
      Comme un soulier trop grand,
      Du mode
      Que tout pied quitte et prend !

      Statuaire, repousse
      L’argile que pétrit
      Le pouce
      Quand flotte ailleurs l’esprit :

      Lutte avec le carrare,
      Avec le paros dur
      Et rare,
      Gardiens du contour pur ;

      Emprunte à Syracuse
      Son bronze où fermement
      S’accuse
      Le trait fier et charmant ;

      D’une main délicate
      Poursuis dans un filon
      D’agate
      Le profil d’Apollon.

      Peintre, fuis l’aquarelle,
      Et fixe la couleur
      Trop frêle
      Au four de l’émailleur.

      Fais les sirènes bleues,
      Tordant de cent façons
      Leurs queues,
      Les monstres des blasons ;

      Dans son nimbe trilobe
      La Vierge et son Jésus,
      Le globe
      Avec la croix dessus.

      Tout passe. – L’art robuste
      Seul a l’éternité.
      Le buste
      Survit à la cité.

      Et la médaille austère
      Que trouve un laboureur
      Sous terre
      Révèle un empereur.

      Les dieux eux-mêmes meurent,
      Mais les vers souverains
      Demeurent
      Plus forts que les airains.

      Sculpte, lime, cisèle ;
      Que ton rêve flottant
      Se scelle
      Dans le bloc résistant !

      #145554
      Prof. TournesolProf. Tournesol
      Participant

        “Le pin des Landes”

        On ne voit en passant par les Landes désertes,
        Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
        Surgir de l’herbe sèche et des flaques d’eaux vertes
        D’autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc,

        Car, pour lui dérober ses larmes de résine,
        L’homme, avare bourreau de la création,
        Qui ne vit qu’aux dépens de ceux qu’il assassine,
        Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !

        Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
        Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
        Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
        Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.

        Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
        Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor.
        Il faut qu’il ait au coeur une entaille profonde
        Pour épancher ses vers, divines larmes d’or !

        #142045
        Prof. TournesolProf. Tournesol
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          #145555
          Prof. TournesolProf. Tournesol
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            “Symphonie en blanc majeur”

            De leur col blanc courbant les lignes,
            On voit dans les contes du Nord,
            Sur le vieux Rhin, des femmes-cygnes
            Nager en chantant près du bord,

            Ou, suspendant à quelque branche
            Le plumage qui les revêt,
            Faire luire leur peau plus blanche
            Que la neige de leur duvet.

            De ces femmes il en est une,
            Qui chez nous descend quelquefois,
            Blanche comme le clair de lune
            Sur les glaciers dans les cieux froids ;

            Conviant la vue enivrée
            De sa boréale fraîcheur
            A des régals de chair nacrée,
            A des débauches de blancheur !

            Son sein, neige moulée en globe,
            Contre les camélias blancs
            Et le blanc satin de sa robe
            Soutient des combats insolents.

            Dans ces grandes batailles blanches,
            Satins et fleurs ont le dessous,
            Et, sans demander leurs revanches,
            Jaunissent comme des jaloux.

            Sur les blancheurs de son épaule,
            Paros au grain éblouissant,
            Comme dans une nuit du pôle,
            Un givre invisible descend.

            De quel mica de neige vierge,
            De quelle moelle de roseau,
            De quelle hostie et de quel cierge
            A-t-on fait le blanc de sa peau ?

            A-t-on pris la goutte lactée
            Tachant l’azur du ciel d’hiver,
            Le lis à la pulpe argentée,
            La blanche écume de la mer ;

            Le marbre blanc, chair froide et pâle,
            Où vivent les divinités ;
            L’argent mat, la laiteuse opale
            Qu’irisent de vagues clartés ;

            L’ivoire, où ses mains ont des ailes,
            Et, comme des papillons blancs,
            Sur la pointe des notes frêles
            Suspendent leurs baisers tremblants ;

            L’hermine vierge de souillure,
            Qui pour abriter leurs frissons,
            Ouate de sa blanche fourrure
            Les épaules et les blasons ;

            Le vif-argent aux fleurs fantasques
            Dont les vitraux sont ramagés ;
            Les blanches dentelles des vasques,
            Pleurs de l’ondine en l’air figés ;

            L’aubépine de mai qui plie
            Sous les blancs frimas de ses fleurs ;
            L’albâtre où la mélancolie
            Aime à retrouver ses pâleurs ;

            Le duvet blanc de la colombe,
            Neigeant sur les toits du manoir,
            Et la stalactite qui tombe,
            Larme blanche de l’antre noir ?

            Des Groenlands et des Norvèges
            Vient-elle avec Séraphita ?
            Est-ce la Madone des neiges,
            Un sphinx blanc que l’hiver sculpta,

            Sphinx enterré par l’avalanche,
            Gardien des glaciers étoilés,
            Et qui, sous sa poitrine blanche,
            Cache de blancs secrets gelés ?

            Sous la glace où calme il repose,
            Oh ! qui pourra fondre ce coeur !
            Oh ! qui pourra mettre un ton rose
            Dans cette implacable blancheur !

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