CONAN DOYLE, Arthur – L’Aventure du marchand de couleurs retraité des affaires

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    CONAN DOYLE, Arthur – L’Aventure du marchand de couleurs retraité des affaires.

    Traduction : Carole.

    Sherlock Holmes était d’humeur mélancolique et philosophique ce matin-là. Son naturel pratique et vif était sujet à de telles variations.

    « L’avez-vous vu ? », me demanda-t-il.

    « Vous voulez parler de l’homme qui vient juste de sortir ? »

    « Précisément. »

    « Oui, je l’ai rencontré à la porte. »

    « Que pensez-vous de lui ? »

    « C’est une créature pathétique, futile, dévastée. »

    « Précisément, Watson. Pathétique et futile. Mais l’existence tout entière n’est-elle pas pathétique et futile ? La propre histoire de la vie de cet homme n’est-elle pas un microcosme reflétant celle du monde tout entier ? Nous touchons au but que nous nous sommes fixé, nous l’atteignons, et que nous reste-t-il en définitive ? Un mirage. Ou pire qu’un mirage… la pauvreté. »

    « Cet homme est-il l’un de vos clients ? »

    « Eh bien, je suppose qu’il convient de le considérer comme tel. Il m’a été envoyé par le Yard. Tout comme un médecin adresse parfois ses malades incurables à la médecine parallèle, arguant qu’il ne peut rien faire de plus, et qu’il ne peut toutefois rien arriver de pire à son patient que ce qui l’attend. »

    « De quoi s’agit-il ? »

    Holmes s’empara d’une carte de visite à l’apparence plutôt sale posée sur la table.

    « Josiah Amberley. Il se présente comme l’associé de Brickfall & Amberley, qui sont des fabricants de fournitures artistiques. Vous pouvez lire le nom de leur entreprise sur la majorité des pots de peinture aujourd’hui commercialisés. Il a tiré son petit profit de ses affaires, puis il a pris sa retraite à l’âge de soixante-et-un ans. Il a acheté une demeure à Levisham, et s’y est installé afin de se reposer d’une vie de dur labeur. D’aucuns auraient pu penser que son avenir était tout tracé. »

    « Oui, en effet. »

    Holmes consulta quelques notes qu’il avait griffonnées au verso d’une enveloppe.

    « Retraité en 1896, Watson. Au début de l’année 1897 il épousa une femme de vingt ans sa cadette – une très belle femme, à en croire la photographie que contient cette enveloppe. Une situation matérielle confortable, une épouse, du temps libre – sa route semblait toute tracée. Et pourtant deux ans après il ne reste plus de lui que la créature misérable que vous avez aperçue se traînant péniblement sur cette terre. »

    « Mais, que lui est-il arrivé ? »

    « L’éternel refrain, Watson. Un traître pour ami et une épouse volage. Amberley avait pour passion les échecs. Non loin de lui vivait aussi à Levisham un jeune médecin qui était lui aussi joueur. J’ai noté son nom ici, le docteur Ray Ernest. Ernest rendait fréquemment visite à Amberley, et il n’est pas surprenant que de certains liens se soient créés entre Mrs Amberley et lui, car vous n’avez pas été sans remarquer que notre nouveau client ne possède que peu d’atouts au regard du physique, quelles que puissent être par ailleurs ses autres qualités. Le couple illégitime s’est enfui la semaine passée – destination inconnue. Et qui plus est, l’indélicate épouse n’a pas omis d’emporter dans ses bagages une boîte appartenant à son époux et dans lequel celui-ci renfermait la majeure partie de ses économies. Sommes-nous en mesure de retrouver la jeune dame ? Nous sera-t-il possible de remettre la main sur l’argent ? Un problème ordinaire d’aussi loin que l’on en peut juger, et cependant d’une importance vitale en ce qui concerne Josiah Amberley. »

    « Que comptez-vous faire ? »

    « Eh bien, la première question que nous devons nous poser, Watson, est en réalité ce que vous comptez faire ? – si vous voulez bien toutefois avoir l’obligeance de m’assister dans cette affaire. Vous savez que je suis actuellement très pris par l’affaire de ces deux patriarches coptes, dont le dénouement est imminent. Je n’ai réellement pas la possibilité de me rendre à Levisham en ce moment, et pourtant chaque preuve qui pourra y être récoltée aura son importance. Notre client a fortement insisté pour que je me rende chez lui en personne, mais après que je lui aie exposé mes difficultés, il a accepté de recevoir un assistant. »

    « J’essayerai », répondis-je. « Bien que je ne pense pas pouvoir rendre de grands services, je ferai cependant mon possible. »

    Et c’est ainsi que par cet après-midi d’été je me mis en route pour Levisham, bien loin d’imaginer qu’à peine une semaine plus tard cette affaire ferait les gros titres des journaux d’Angleterre.

    Ce ne fut que tard dans la soirée que je m’en retournai à Baker Street pour rendre compte de mes observations à Holmes. Mon ami était enfoncé dans son fauteuil habituel, la mine allongée, fumant sa pipe, de laquelle s’élevaient d’épaisses volutes d’une fumée âcre, les paupières si lourdement affaissées que l’on aurait pu penser qu’il dormait, si elles ne se réouvraient subitement lorsque mon récit nécessitait que je reprenne haleine ou que je lui apporte quelques précisions complémentaires. Deux prunelles grises me fixaient alors d’un regard vif, acéré et inquisiteur.

    « The Haven est le nom donné par Monsieur Josiah Amberley à sa demeure », précisai-je. « Je pense que vous la trouveriez intéressante, Holmes. Elle reflète un peu le caractère d’un patricien parcimonieux qui se serait mêlé à la plèbe. Vous connaissez sans doute ce quartier, caractérisé par la monotonie de ses habitations en briques, auxquelles conduisent de tranquilles routes suburbaines. Au beau milieu se dresse cet îlot, emblème de culture ancestrale et de confort, cette vielle demeure, entourée d’un haut mur la protégeant contre les rayons du soleil et sur lequel grimpent les lichens et autres mousses, le genre de mur que… »

    « Trêve de poésie, Watson », coupa Holmes abruptement. « J’ai bien compris que c’était d’un mur de briques dont il s’agissait. »

    « Exactement. Je n’aurais jamais pu trouver The Haven si je n’avais au préalable interrogé un logeur du quartier qui fumait au coin de la rue. J’ai une raison précise pour le mentionner. C’était un homme grand, sombre, à la moustache proéminente, aux allures militaires. Il eut un hochement de tête affirmatif à la question que je lui adressai et me jeta un curieux regard inquisiteur, dont j’eus par la suite l’occasion de me souvenir.
    J’avais à peine passé le porche que j’aperçus Monsieur Amberley qui descendait l’allée pour venir à ma rencontre. Je l’avais à peine entrevu dans la matinée, et il m’avait fait l’effet d’être un être étrange. Mais quand j’eus l’occasion de l’observer en pleine lumière, son apparence m’apparut moins extraordinaire. »

    « Je m’étais bien entendu livré à un examen de sa personne », dit Holmes, « mais je serais également curieux d’avoir votre impression ».

    « Il me fit l’effet d’être un homme accablé par les soucis. Son dos est voûté comme s’il portait un lourd fardeau. Mais cependant il ne me paraissait plus si faible que lorsque je l’avais d’abord entrevu, car j’ai noté que ses épaules et sa poitrine sont larges, bien que son tronc ne soit porté que par des jambes fluettes. »

    « Sa chaussure gauche comporte de nombreux plis, alors que la droite n’en comporte pas. »

    « Je ne m’en suis pas aperçu. »

    « Non, bien sûr. C’est à cause de sa jambe artificielle. Mais continuez, je vous en prie. »

    « J’ai été frappé par les mèches sales de ses cheveux grisonnant qui s’échappaient en boucles de son vieux chapeau de paille, ainsi que par son visage, sur laquelle se lit une expression farouche, avide, les traits sont creusés, et… »

    « Très bien, Watson. De quoi avez-vous parlé ? »

    « Il a commencé par m’exposer ses griefs. Nous avons remonté l’allée ensemble, et bien sûr j’ai jeté un coup d’œil sur les alentours. Je n’ai jamais vu d’endroit aussi laissé à l’abandon. Toutes les plantes du jardin sont montées en graines. Elles m’ont fait l’effet d’être livrées à elles-mêmes, obéissant davantage aux règles que leur fixe la nature plutôt qu’à celles de l’esthétique. Aucune femme digne de ce nom n’aurait pu tolérer un tel état d’abandon, selon moi. La maison elle-même était dans un désordre de la pire espèce, mais le pauvre homme semblait en avoir conscience et avait probablement tenté d’y remédier, car un pot de peinture verte trônait dans le hall, et il tenait d’ailleurs dans sa main gauche un épais pinceau. Il venait d’en repeindre les boiseries.
    Il m’introduisit dans ce misérable sanctuaire qui était le sien, et nous eûmes une longue conversation. Bien sûr il s’est montré quelque peu désappointé que vous ne vous soyez pas venu en personne. « Je ne m’attendais guère », dit-il, « à ce qu’un pauvre hère tel que moi, et en particulier après avoir subi une si lourde perte financière, ait pu susciter l’intérêt du célèbre Sherlock Holmes en personne. » Je lui assurai bien entendu que la question financière n’était pas entrée en ligne de compte. « Non, bien sûr, c’est avant tout pour l’amour de l’art que l’artiste travaille », ajouta-t-il, « Monsieur Holmes eut d’ailleurs pu trouver ici un sujet d’étude en matière d’art criminel. Car que dire de la nature humaine, docteur Watson, de sa noire et complète ingratitude ? Me suis-je jamais opposé au moindre des désirs de cette femme, que j’ai choyée ? Et quant à ce jeune homme, je le considérais comme mon propre fils ! Ma maison était devenue la sienne. Et pourtant, regardez de quelle façon ils m’ont traité ! Oh, Docteur Watson, quel horrible, horrible monde ! »
    Ce fut là son refrain pendant une bonne heure. Il n’avait, semble-t-il, pas eu le moindre soupçon quant à cette liaison. Il vivait seul avec sa femme. Une femme de charge prenait chez eux son service le matin, et regagnait son domicile le soir à six heures tapantes. Ce fameux soir, Amberley avait réservé, pour faire plaisir à sa femme, deux places aux loges du Haymarket Theater. Au dernier moment celle-ci s’étant plaint de maux de tête, et elle refusa de l’accompagner. Il s’y rendit donc seul. Ce fait semble avéré, puisqu’il a conservé en sa possession le billet inutilisé. »

    « Voilà qui est remarquable, réellement remarquable », dit Holmes, dont l’intérêt commençait à s’éveiller peu à peu. « Continuez, je vous prie, Watson. Je trouve votre récit des plus passionnants. Avez-vous personnellement examiné le billet ? Vous n’auriez pas, par hasard, relevé son numéro ? »

    « Il s’avère que je m’en souviens », affirmai-je avec fierté. « Il correspond à mon ancien numéro au collège, et pour cette raison il est resté gravé dans ma tête. C’est le numéro 31. »

    « Excellent, Watson ! Le numéro de siège occupé par Amberley était donc, par conséquent, le 30 ou le 32. »

    « Cela semble évident », répondis-je d’un air mystérieux. « Et qui plus est, situé au rang B. »

    « Vous êtes fascinant, Watson ! Que vous a-t-il révélé d’autre ? »

    « Il m’a montré ce qu’il appelle sa chambre forte. Cela en est une réellement, à l’image de celles que l’on trouve dans les banques, fermée par porte et serrure de fer – à l’épreuve des voleurs, m’a-t-il affirmé. Cependant, sa femme semble s’être procuré un double des clefs. Le couple illégitime a dérobé quelque sept mille pounds de valeur, en argent et titres. »

    « En titres ? Comment donc pourront-ils les écouler ? »

    « Amberley m’a dit avoir remis à la police une liste des titres dérobés, espérant ainsi les rendre invendables. Il est rentré du théâtre vers minuit et a trouvé l’endroit pillé, les portes et fenêtres grand ouvertes, et les fugitifs en fuite. Ils n’avaient laissé ni lettre ni message à son intention, et il n’a plus entendu parler d’eux depuis. Il a donné l’alarme à la police. »

    Holmes resta songeur quelques minutes.

    « Vous avez dit qu’il était en train de peindre. Que repeignait-il exactement ? »

    « Eh bien, il repeignait le corridor. Mais il avait déjà fini de repeindre la porte et les boiseries de la pièce dans laquelle nous nous trouvions. »

    « Cela ne vous a-t-il pas paru être une occupation des plus étranges dans les circonstances actuelles ? »

    « « Chacun s’occupe comme il peut pour oublier sa douleur » fut son explication. Excentrique, certes, mais n’est-il pas lui-même un homme excentrique ? Il a déchiré une photographie de sa femme en ma présence – déchiré dans un accès de passion rageuse. « Je ne veux plus jamais revoir son visage maudit », a-t-il hurlé.

    « Quelque chose d’autre, Watson ? »

    « Oui, une chose m’a frappé plus que toute autre. Après être reparti pour Blackheath Station et avoir sauté dans un train de justesse, j’ai vu un homme s’élancer à ma suite dans la voiture située à côté de la mienne. Vous savez que j’ai la mémoire des visages, Holmes. C’est indubitablement le grand et sombre homme auquel je m’étais adressé dans la rue. Je l’ai aperçu une nouvelle fois à London Bridge, puis je le perdis dans la foule. Mais je suis convaincu qu’il me suivait. »

    « Sans aucun doute, sans aucun doute ! », me dit Holmes. « Un homme grand, à la moustache proéminente, avez-vous dit, avec des lunettes de soleil grises ? »

    « Holmes, vous êtes un sorcier ! Je ne vous l’ai pas dit mais, oui, il avait des lunettes de soleil grises ! »

    « Et une épingle de cravate maçonnique ? »

    « Holmes ! »

    « Elémentaire, mon cher Watson. Mais revenons à notre affaire. Je dois confesser que ce cas, qui me semblait si banal qu’il ne méritait guère que je m’y intéresse, s’avère en réalité d’une nature tout autre que je ne l’avais supposée. Il est vrai que, bien que des éléments essentiels aient échappé à votre attention lors de votre inspection sur les lieux, certains des faits que vous m’avez rapportés ont la plus grande importance. »

    « Quelles choses ont échappé à mon attention ? »

    « Ne vous vexez pas, mon cher. Vous savez que mes remarques n’ont rien de personnel. Aucun autre n’aurait fait mieux que vous. Et bien certainement pas aussi bien. Vous avez cependant clairement omis de relever quelques indices essentiels. Quelle est l’opinion du voisinage sur ce Monsieur Amberley et sa femme ? Voilà qui certainement a une importance. Qu’en est-il du docteur Ernest ? Est-il le joyeux Lothario auquel on pourrait s’attendre ? Votre physique avantageux fait de chaque femme votre complice et votre esclave, Watson. Vous auriez dû tenter d’interroger la préposée du bureau de poste, ou encore la femme de l’épicier. Je vous imagine très bien susurrant de petits riens à l’oreille de la jeune dame du Blue Anchor, obtenant monts et merveilles en retour. De tout cela vous n’avez rien fait. »

    « Cela peut encore être fait. »

    « Cela a été fait. Grâce au téléphone et avec la complicité du Yard, je suis toujours en mesure d’obtenir les renseignements que je désire sans quitter cette pièce. Les informations qui m’ont été transmises confortent la version que nous a livrée notre homme. Sa réputation est celle d’un avare et d’un mari intransigeant et exigeant. Il passait pour renfermer une importante somme d’argent dans la pièce que vous avez visitée. Il jouait effectivement aux échecs avec le docteur Ernest, un jeune célibataire, lequel jouait en retour très certainement avec sa femme. Tout cela semble clair comme de l’eau de roche, on pourrait penser qu’il n’y a rien à ajouter, et pourtant, pourtant ! »

    « Que voyez-vous d’autre à ajouter ? »

    « Oh, des faits sans doute tout droit sortis de mon imagination ! Mais, laissons cela, Watson. Evadons-nous de cette interminable journée de travail par la petite porte de la musique. Carina chante ce soir au Albert Hall. Nous avons tout juste le temps de nous habiller pour dîner avant de passer un agréablement moment musical en sa compagnie. »

    #154038

    Je me levai le lendemain matin de bonne heure, mais quelques miettes et deux coquilles d’œuf vides m’avertirent que je n’avais pas été le plus matinal. Je trouvai un billet griffonné à mon intention sur la table :

    Mon cher Watson,
    Il y a quelques points de détail que je désire aborder avec Monsieur Josiah Amberley. Après cela nous pourrons classer – ou non – cette affaire. Je vous demande seulement de bien vouloir vous rende disponible aux environs de trois heures, il se pourrait que j’aie besoin de vous.
    S. H.

    Je ne vis pas Holmes de toute la journée, mais à l’heure exacte indiquée il était de retour, la mine grave, préoccupée, lointaine. Dans de tels moments il était préférable de le laisser à lui-même.

    « Amberley est-il déjà là ? »

    « Non. »

    « Ah ! Je m’attendais à sa venue pourtant. »

    Ses espoirs ne furent cependant pas déçus, car notre client fit son entrée à l’instant, la mine déconfite et une expression d’inquiétude sur son visage austère.

    « Je viens de recevoir un télégramme, Monsieur Holmes, auquel je ne comprends absolument rien. »

    Il le tendit à mon ami, lequel le lut à voix haute.

    Venez sans tarder. Je puis vous communiquer des informations quant à la perte que vous avez dernièrement subie.
    Elman.
    Au presbytère.

    « Expédié à 2 heures 10 du bureau de Little Purlington », dit Holmes. « Little Purdington se trouve dans l’Essex, il me semble, non loin de Frinton. Bien, mettez-vous en route immédiatement. Ce télégramme émane d’une autorité responsable, puisqu’il vient du presbytère. Où est mon Crockford ? Ah, voilà : « J. C. Elamn, Master of Arts, habitant de Moosmoor, Little Purlington ». Voyez donc les horaires de train, Watson. »

    « Il y en a un à 5 heures 20, qui part de Liverpool Street. »

    « Excellent. Vous feriez mieux de l’accompagner, Watson. Monsieur Amberley pourrait avoir besoin d’aide ou de conseils. Clairement nous atteignons un point crucial dans cette affaire. »

    Mais notre client ne semblait pas pressé de se mettre en route.

    « C’est parfaitement absurde, Monsieur Holmes », dit-il. « Que pourrait bien savoir cet homme au sujet de ce qui s’est passé ? C’est une perte de temps et d’argent. »

    « Il ne vous aurait pas télégraphié s’il ne savait pas quelque chose. Répondez que vous arrivez de suite. »

    « Je ne crois pas qu’il me soit nécessaire de m’y rendre. »

    Holmes prit un visage sévère.

    « Votre refus aurait pour conséquence de produire la plus mauvaise impression possible sur les services de police et sur moi-même, Monsieur Amberley, si, à proximité immédiate d’un tel indice, vous le laissiez sciemment nous échapper. Nous pourrions penser que toute cette enquête n’est en définitive pas dans votre intérêt. »

    Notre client eut l’air horrifié.

    « Bien sûr, j’y vais, si vous le prenez ainsi », dit-il. « D’un côté, il me semble absurde que cette personne puisse détenir la moindre information, mais si vous insistez… »

    « J’insiste », dit Holmes avec emphase. Et nous nous mîmes donc en route.

    Holmes m’avait pris à part peu avant que nous ne quittions la pièce, et m’avait donné un conseil d’importance.

    « A n’importe quel prix, veillez à ce qu’il s’éloigne », dit-il. « S’il échappe à votre attention ou rebrousse chemin, foncez au bureau de poste le plus proche et télégraphiez « échappé ». Je m’arrangerai ici pour que ce télégramme me parvienne, quel que soit l’endroit où je me trouve. »

    Little Purdington n’est pas un lieu facile d’accès, car il est situé sur une voie secondaire. Le souvenir que je conserve de ce voyage n’est pas des plus agréables, en raison de la chaleur de la température, de la lenteur du train, ainsi que de la maussaderie et du silence le plus absolu qu’observait mon compagnon, qui ne daigna m’adresser la parole que pour ironiser sur l’absurdité de ce voyage. Lorsque nous atteignîmes finalement la petite gare de Little Purdington, il nous fallut encore parcourir deux kilomètres avant d’arriver au presbytère, au sein duquel un grand, solennel, ou plutôt devrais-je dire « pompeux », vicaire nous reçut dans son bureau. Notre télégramme était étalé devant lui.

    « Bien, gentlemen », demanda-t-il. « Que puis-je faire pour vous ? »

    « Nous sommes venus », expliquai-je, « en réponse au télégramme que vous nous avez adressé. »

    « Quel télégramme ? Je n’ai adressé aucun télégramme. »

    « Je parle du télégramme que vous avez expédié à Monsieur Josiah Amberley, au sujet de sa femme et de son argent. »

    « Si c’est une plaisanterie, Monsieur, elle est douteuse », dit le vicaire avec aigreur. « Je n’ai jamais entendu parler du gentleman dont vous citez le nom, et je n’ai envoyé aucun télégramme à personne. »

    Notre client et moi-même nous regardâmes avec surprise.

    « Peut-être y a-t-il erreur, Monsieur », dis-je. « Y aurait-il par hasard deux presbytères ? Voici le télégramme en question, signé Elman et disant provenir du presbytère. »

    « Il n’y a qu’un seul presbytère, Monsieur, et par conséquent un seul vicaire, et ce télégramme est une invention scandaleuse, dont l’auteur pourra sans doute être identifié par la police. En de telles circonstances, je ne vois pas d’intérêt à prolonger cet entretien. »

    C’est ainsi que Monsieur Amberley et moi-même nous retrouvâmes sur l’unique route qui traversait ce qu’il m’apparut être le village le plus primitif de toute l’Angleterre. Nous nous dirigeâmes vers le bureau de poste, mais il était déjà fermé. Il y avait un téléphone cependant, au petit établissement du Railway Arms, et j’eus au bout du fil Holmes, qui partagea notre surprise quant à l’issue de notre voyage.

    « Fait des plus singuliers ! «  dit la voix distante dans le combiné. « Tout à fait incroyable ! Je crains cependant, mon cher Watson, qu’aucun train ne reparte pour Londres ce soir. Vous voilà bien malencontreusement exposé à subir pour une nuit le manque de commodités d’une auberge de campagne. Cependant, il vous reste la nature, Watson. La nature et Josiah Amberley. Vous voilà en mesure d’être en pleine communion avec ces deux éléments. »

    J’entendis son petit rire sec avant qu’il ne raccroche le combiné.

    Il m’apparut bientôt que la réputation d’avare de mon compagnon n’était pas imméritée. Il n’avait eu de cesse de souligner la dépense occasionnée par le voyage, avait insisté pour que nous voyagions en troisième classe, et émettait à présent les plus féroces objections quant au règlement de la note d’hôtel. Lorsque nous regagnâmes finalement Londres le lendemain matin, il aurait été difficile de déterminer lequel de nous deux était le plus de mauvaise humeur.

    « Mieux vaudrait nous rendre sans tarder à Baker Street », dis-je. « Monsieur Holmes aura sans doute des nouvelles à nous communiquer ».

    « Si elles valent les précédentes mieux vaut nous abstenir de les entendre », rétorqua Amberley avec humeur.

    Il m’accompagna cependant. J’avais averti par télégramme Holmes de l’heure de notre arrivée, mais nous trouvâmes en place de sa personne une note dans laquelle il nous indiquait se trouver à Levisham et nous attendre là-bas. Voici qui était surprenant, mais ce qui le fut davantage fut de ne pas l’y trouver seul. Nous le trouvâmes au salon de la demeure de notre client, en compagnie d’un homme sombre aux lunettes de soleil grises et qui arborait une épingle maçonnique à sa cravate.

    « Je vous présente mon ami, Monsieur Barker » , dit Holmes. « Il s’est également intéressé à votre affaire, Monsieur Amberley, bien que nous ayons travaillé indépendamment l’un de l’autre. Mais nous avons cependant la même question à vous poser ! »

    Monsieur Amberley s’affaissa dans un fauteuil. A en juger par sa physionomie et ses traits contractés, il redoutait un danger imminent.

    « Quelle est cette question, Monsieur Holmes ? »

    « Celle-ci simplement : qu’avez-vous fait des corps ? »

    L’homme sauta sur ses pieds en poussant un cri rauque, ses mains osseuses et recroquevillées fendant l’air telles d’abominables serres, et sa bouche grande ouverte, lui donnant l’apparence d’un terrible rapace. Un instant nous eûmes devant nous le véritable Josiah Amberley, créature difforme dont l’âme était aussi tordue que le corps. En retombant sur sa chaise il plaqua une main à ses lèvres en étouffant une toux. Holmes lui sauta à la gorge tel un tigre et lui plaqua le visage contre terre. Aussitôt une pastille blanche s’échappa de ses lèvres haletantes.

    « Pas de moyens détournés, Josiah Amberley. Les choses doivent être faites selon les règles. Est-ce également votre avis, Barker ? »

    « Une voiture attend devant la porte », dit le taciturne compagnon.

    « Il n’y a que quelques kilomètres d’ici à la gare. Nous irons ensemble. Restez, Watson. Je serai de retour dans moins d’une demi-heure. »

    Bien que le marchand de couleurs eût la force d’un lion, il ne put lutter entre les mains de deux adversaires expérimentés. Se roulant et se tordant, il fut traîné sur le sol jusqu’à la voiture qui attendait, et je fus laissé à ma garde solitaire dans cette affreuse maison. En moins de temps qu’il ne l’avait annoncé cependant, Holmes était de retour en compagnie d’un jeune inspecteur à la mine intelligente.

    « J’ai  laissé le soin à Barker de s’occuper des formalités », dit Holmes. « Vous n’avez jamais eu l’occasion de rencontrer Barker, Watson. Il est du Surrey Shore mon pire et loyal concurrent. Quand vous avez parlé d’un homme sombre de grande taille, il ne me fut pas difficile de l’identifier et de compléter sa description. Il a un certain nombre d’enquêtes résolues à son actif, n’est-ce pas, inspecteur ? »

    « Nul doute qu’il n’ait parfois interféré dans quelques-unes », répondit l’inspecteur avec une certaine réserve.

    « Ses méthodes sont parfois peu recommandables, en effet, mais ne peut-on pas en dire autant des miennes ? Le recours aux services d’un détective peut parfois s’avérer utile. Tenez, par exemple, avec les avertissements d’usage selon lesquels tout ce qui sera dit pourra être retenu contre l’intéressé, la police n’aurait jamais arraché à ce bandit l’ombre d’une confession. »

    « Peut-être que non, en effet. Mais la vérité aurait fini par éclater au grand jour, Monsieur Holmes. N’allez pas vous imaginer que nous n’avions pas formé nos propres conclusions dans cette affaire, et que nous n’aurions pas fini par mettre la main sur notre homme. Il nous est difficile de sauter de joie lorsque vous sautez vous-même à pieds joints dans une enquête en recourant à des méthodes que nous nous interdisons d’utiliser, et que vous nous voliez en définitive la vedette. »

    « Personne ne vous volera cette fois la vedette, inspecteur MacKinnon. Je disparais à compter de l’instant présent de cette affaire, et quant à Barker, il n’a joué d’autre rôle dans l’enquête que celui que je lui avais demandé d’assumer. »

    Les traits du visage de l’inspecteur se détendirent.

    « Voilà qui est généreux de votre part, Monsieur Holmes. La critique bonne ou mauvaise vous importe peu sans doute, mais il n’en est pas de même pour nous, surtout quand les journaux s’en mêlent. »

    « Justement. Comme nous sommes à peu près sûrs qu’il vous faudra répondre aux questions de la presse, je vous propose que nous préparions ensemble vos réponses. Que répondrez-vous, par exemple, au rusé et insistant reporter qui vous interrogera sur les indices qui ont fait naître vos soupçons, et qui vous ont donné l’assurance de la culpabilité de votre homme ? »

    L’inspecteur eut l’air consterné.

    « Il semble que nous ne disposions pas encore de preuves certaines, Monsieur Holmes. Vous avez dit que le prisonnier, en présence de trois témoins, avait comme avoué avoir tué sa femme et l’amant de celle-ci par le fait qu’il ait tenté de se suicider. Mais de quels autres éléments de preuve disposez-vous ? »

    « Avez-vous ordonné que l’on fouille la maison ? »

    « Trois de mes hommes sont en route pour nous rejoindre. »

    « Dans ce cas vous n’allez pas tarder à obtenir la preuve la plus flagrante du double meurtre. Les corps ne doivent pas être loin. Fouillez les caves et le jardin. Il ne faudra pas longtemps sans doute pour creuser et inspecter les lieux. Les canalisations de la demeure ont été installées après la construction de celle-ci. Il doit donc exister un puits désaffecté quelque part. Tentez votre chance de ce côté. »

    « Mais, comment avez-vous su ? Et comment les meurtres ont-t-ils été commis ? »

    « Je vais vous démontrer en premier lieu comment ils ont été commis, et je vous livrerai dans un second temps les explications qui vous reviennent de droit, et plus encore à mon patient ami ici présent, dont l’aide m’a été inestimable tout au long de cette enquête. Mais, avant tout, je vais vous donner un léger aperçu de la mentalité de cet homme. Elle est peu commune – si extraordinaire d’ailleurs que je suppose qu’il a davantage de chance d’être condamné à un long séjour au Broadmoor Psychatric Hospital qu’à l’échafaud. Sa personnalité reflète davantage, à un degré très poussé, un tempérament italien du Moyen Âge plutôt qu’une perception britannique contemporaine. D’une avarice redoutable, il rendit sa femme si malheureuse par son caractère mesquin que celle-ci devint la proie facile du premier aventurier venu, lequel se présenta en la personne du médecin joueur d’échecs, discipline dans laquelle excellait par ailleurs Amberley – trait caractéristique d’un esprit d’une intelligence supérieure. Comme tout avare, Amberley était jaloux, et sa jalousie prit des proportions gigantesques. A tort ou à raison, il suspecta une liaison entre sa femme et le docteur Ernest. Il résolut de se venger, et il élabora pour ce faire un plan diabolique. Venez voir par ici. »

    Holmes nous conduisit à travers un corridor sans manifester la moindre hésitation, comme s’il avait depuis toujours demeuré dans la maison, jusqu’à la chambre forte.

    « Pouah ! Quelle horrible odeur de peinture, c’est irrespirable ! », s’écria l’inspecteur.

    « C’est ce qui m’a mis sur la piste », dit Holmes. « Vous pouvez remercier le docteur Watson pour son sens de l’observation, bien qu’il n’ait pas tiré de cet indice les conclusions qui s’imposaient. Mais il m’a mis le pied à l’étrier. Pourquoi cet homme s’attachait-il à emplir sa maison de fortes odeurs ? Evidemment pour couvrir d’autres odeurs plus faibles mais compromettantes, susceptibles de le perdre. Je songeai ensuite à cette pièce hermétiquement close, aux porte et serrures de fer. Où me mènerait l’association de ces deux idées ? Je ne pouvais le savoir qu’en procédant à un examen minutieux de la maison. J’étais cependant déjà certain que ce cas était sérieux, car j’avais pris mes renseignements au Haymarket Theater (suite aux pertinentes remarques qui m’avaient été fournies par le docteur Watson) et constaté que ni la place numéro 30 ni la place numéro 32 du cercle supérieur du rang B n’avaient été occupées ce soir-là. Amberley ne s’était donc pas rendu au théâtre, et son alibi était faux. Amberley a fait un faux-pas en permettant à mon astucieux ami de relever le numéro de siège retenu pour sa femme. Il me restait à présent à trouver un moyen d’examiner la demeure. J’envoyais un homme dans le village le plus reculé auquel je pus penser, et m’arrangeai pour qu’Amberley s’y rende à une heure avancée, de telle façon qu’il ne pourrait ensuite en revenir qu’au cours de la journée du lendemain. Afin de m’assurer du succès de mon entreprise, le docteur Watson devrait l’accompagner. Je pris le nom du vicaire de l’endroit de mon Crockford. Tout est-il à présent clair pour vous ? »

    « C’est magistral », murmura l’inspecteur d’une voix impressionnée.

    « Puis, sans crainte d’une interruption, j’entrepris alors de m’introduire dans la maison. J’ai toujours considéré que le métier de voleur aurait constitué une excellente alternative à la carrière que j’ai choisie, et que j’y aurais excellé. Voici ce que je découvris. Observez le tuyau qui courre le long de la plinthe ici. Bien. Il s’élève en atteignant l’angle du mur, où il y a un robinet. Comme vous pouvez le voir, le tuyau continue sa route jusque dans la chambre forte, où il va se perdre dans la rosace de plâtre du plafond, disparaissant au milieu de ses ornements. Cette extrémité du tuyau n’est pas bouchée. A n’importe quel moment, en tournant le robinet se trouvant à l’extérieur, la chambre forte peut être inondée de gaz. Dans une configuration où les porte et fenêtres seraient fermées, et en ouvrant le robinet à fond, je ne donne pas deux minutes à une personne se trouvant dans la pièce pour perdre connaissance. J’ignore par quelle suggestion diabolique Amberley réussit à confiner sa femme et le docteur Ernest dans cet endroit, mais toujours est-il qu’ils se trouvèrent à sa merci. »

    L’inspecteur examina le tuyau avec intérêt.

    « L’un de nos hommes avait effectivement fait mention dans son rapport d’une odeur de gaz », dit-il, « mais les porte et fenêtres ayant été laissées ouvertes, et les travaux de peinture étant en train… Selon son propre témoignage, Amberley avait commencé à repeindre la veille. Quoi d’autre, Monsieur Holmes ? »

    « Eh bien, je fus ensuite victime d’un événement assez inattendu. Alors que je me glissai à l’aube par la fenêtre du cellier, je me sentis saisir au collet et une voix murmura à mon oreille : « Que fais-tu ici, coquin ? » Je parvins à me retourner à demi et aperçus mon propre reflet dans les lunettes tintées de mon rival et ami Monsieur Barker. C’était une bien curieuse coïncidence, qui nous fit sourire tous deux. Il se trouvait sur les lieux à la demande de la famille du docteur Ray Ernest, qui lui avait demandé de procéder à des investigations complémentaires. Il en était venu aux mêmes conclusions. Il avait surveillé la maison quelques jours durant, et avait pris le docteur Watson pour un suspect. Il pouvait difficilement arrêter Watson, mais il en fut tout autrement de l’homme qui se glissait la nuit par la fenêtre du cellier. Bien sûr, je lui ai fait part de mes découvertes et nous avons ligué nos forces pour poursuivre l’enquête ensemble. »

    « Pourquoi avoir sollicité son aide ? Pourquoi pas la nôtre ? »

    « Parce que j’avais dans l’idée de tendre un petit piège qui a réussi admirablement. Je craignais que vous ne vous y opposiez. »

    L’inspecteur sourit.

    « Eh bien, peut-être que oui, peut-être que non. Je puis donc compter sur votre parole, Monsieur Holmes, pour vous effacer de cette affaire et nous en laisser retirer le bénéfice ? »

    « Certainement, cela fait d’ailleurs parti de mes habitudes. »

    « Eh bien, au nom des forces de police je vous en remercie. L’affaire semble telle que vous l’avez présentée très claire, et mettre la main sur les corps n’est sans doute plus qu’une question de temps. »

    « Permettez-moi de vous faire part d’un indice complémentaire », dit Holmes. « Je suis certain qu’Amberley lui-même ne l’avait pas relevé. L’on ne parvient jamais aux meilleurs résultats qu’en se mettant la place de l’autre, et en réfléchissant à sa place. Cela demande une certaine imagination, mais cela s’avère payant. Bien, supposons que vous soyez piégé dans la chambre forte. Vous savez que vous pas deux minutes à vivre, mais pourtant vous ne souhaitez pas renoncer à perdre votre meurtrier qui se trouve probablement de l’autre côté de la porte. Que faites-vous ? »

    « J’écris un message. »

    « Parfaitement ! Vous voulez que l’on sache comment vous êtes mort. Vous ne l’écrivez pas sur un morceau de papier. Cela attirerait l’attention de votre assassin. Si vous l’écrivez sur le mur, l’inscription pourra en être effacée. Maintenant regardez ! Juste au-dessus de la plinthe, à l’encre pourpre indélébile est inscrit : « nous avons été… ». C’est tout.

    « Que déduisez-vous de cela ? »

    « Eh bien, l’inscription se trouve à peine quelques centimètres au-dessus du sol. Le pauvre diable auteur de ces mots était mourrant lorsqu’il l’a écrite. Il perdit connaissance avant d’avoir pu terminer. »

    « Il avait l’intention d’écrire : « nous avons été assassinés ». »

    « C’est ce que je perçois également. Si vous trouvez un stylo à l’encre indélébile sur le corps… »

    « Nous le chercherons, soyez-en assuré. Mais en ce qui concerne les titres ? Il est à présent très clairement établi que le vol n’a pas eu lieu. Et pourtant Amberley détenait bien les valeurs qu’il a déclaré volées. Nous avons vérifié. »

    « Vous pouvez être certain qu’il les a placées en lieu sûr. Après que l’affaire eut été classée, il les aurait soudainement redécouvertes, annonçant que le couple coupable s’était repenti et lui avait renvoyé le butin, où l’avait laissé sur place avant de disparaître… »

    « Vous semblez avoir envisagé toutes les éventualités », dit l’inspecteur. « Je comprends qu’Amberley se soit cru obligé de déclarer l’affaire à la police, mais je ne m’explique pas la raison pour laquelle il s’est également adressé à vous. »

    « Pure esbroufe ! », répondit Holmes. « Il s’estimait si intelligent qu’il pensait être invincible. Il aurait par la suite pu opposer à n’importe quel voisin suspicieux : « Rappelez-vous les démarches que j’ai entreprises. J’ai non seulement fait appel à la police, mais encore à Sherlock Holmes. »

    L’inspecteur rit de bon cœur.

    « Nous vous pardonnons votre « mais encore à Sherlock Holmes » », dit-il, « pour les bons et loyaux services que vous nous rendez dans cette affaire. »

    Quelques jours plus tard mon ami me tendait un exemplaire du bihebdomadaire North Surrey Observer. Juste au-dessous de quelques lignes d’un gros titre flamboyant qui commençait par « L’horreur du Haven » et se terminait par « une brillante investigation policière », s’étirait une colonne serrée livrant la chronologie de l’affaire. Le paragraphe de conclusion la résumait tout entière. Il était rédigé en ces termes :

    La perspicacité remarquable avec laquelle l’inspecteur MacKinnon déduisit de l’odeur de peinture qu’une autre odeur, celle du gaz par exemple, cherchait à être dissimulée, la déduction selon laquelle la chambre forte pouvait également avoir joué le rôle de chambre de mort, et l’enquête subséquente qui a conduit à la découverte des corps dans un puits désaffecté, habilement dissimulé par une niche, devrait figurer dans les annales du crime en illustration des qualités indéniables de nos détectives professionnels.

    « Après tout, MacKinnon m’est sympathique », dit Holmes avec un sourire indulgent. « Vous pouvez pour l’instant entreposer cette affaire dans vos archives, Watson. Un jour viendra peut-être où la vérité sur le déroulement de l’enquête en sera dévoilé. »

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