Accueil › Forums › Textes contemporains › (O) CHAUVELIER, Françoise – Le Fracas du silence
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- 4 décembre 2008 à 18h50 #1424004 décembre 2008 à 18h50 #148316
“On peut mourir d'être immortel”.
Nietzsche.Le Fracas du silence.
Le soleil frappe la terre desséchée. Elle se craquelle en écailles, mystérieux rébus sans cadre ni limite, étrange parcours cheminant vers un but inconnu, frêle ligne errant au gré d'une fantaisie sans devenir. La terre a soif, pas un nuage ne la voile. C'est un temps de prières pour exiger la pluie, d'incantations pour suggérer un charme – un demi charme au moins qui appellerait l'eau – d'évocations murmurées qui voudraient séduire l'absente. La terre a soif.
Voilà cinq jours que les hommes ne sont pas venus. La nourriture manque. Parfois même, l'un d'entre nous s'éloigne voulant trouver quelque pitance au-delà de l'horizon, mais bien vite il s'en retourne et nous rejoint sur le haut de la tour écrasée par l'ardeur implacable du soleil. A toujours brûler, l'astre tremble comme fer chauffé à blanc dans les braises, et on s'attend à le voir tomber tant il semble peu stable et frémissant. Ce matin encore l'aurore ne laissait aucun espoir. Il faisait une immense chaleur que ne tempérait aucun souffle d'air. Nous n'avions entendu aucune plainte d'agonie venant de Mehriz, aucune prière de pénitence, aucun mantra « la sainteté est le bien suprême ! Elle est aussi le bonheur » par trois fois répété et qui nous saisit d'avance de frissons infimes. Quand reviendra le temps de mourir pour les plus faibles ou les plus malades, pour les plus âgés ? Voilà cinq jours que les hommes ne sont pas venus.
Nos silhouettes s'étirent encore malgré l'absence d'ombre qui leur donne habituellement cette allure qui effraye les enfants. Sous nos yeux les gradins sont inoccupés et le puits silencieux. Pas un murmure ne traverse le désert. Le feu sacré, qui brûle perpétuellement dans la chapelle à quelques dizaines de mètres de la tour, ne console personne et les prières muettes se sont éteintes. Depuis cinq jours. Cinq jours sans la venue des hommes.
Le désespoir vieillit nos têtes et flétrit nos cous.
Combien de temps encore devrons nous attendre ? Les heures étalent leurs ailes noires sur cette désolation vaine et stérile que rien ne semble vouloir troubler. Peut-être la porte de fer a-t-elle grincé, poussée par les mains des Nasâsâlars fatigués de trop de peines ? Peut-être en sont-ils à rabattre sur le visage d’un mort le linceul après avoir donné au cortège des hommes le temps de s’incliner, de loin, pour dire leur respect ? Peut-être mes yeux, brouillés par la faim, ne voient-ils pas la procession qui accompagne en son ultime demeure l’enfant, la femme que l’on va déposer délicatement…Soudain, un immense peuple des ténèbres fond sur la proie attendue depuis des heures, depuis des jours et de toutes ses ailes fracasse le ciel en une clameur atroce. Nous sommes les rapaces aux becs crochus, les charognards qui se nourrissent de chair, les chairs des hommes, les chairs des enfants et celles des femmes, nous vivons de chairs !
Et moi, je vis encore. Ce sera peut-être là mon dernier festin. J’aperçois à peine le corps qu’on dépouille de son suaire, je devine, mais si mal, la position de sa tête et déjà je renonce à ce qui faisait ma gloire de vautour, les yeux.« La grandeur de l’homme, c’est qu’il est un pont et non un terme. »
Nietzsche – Ainsi parlait Zarathoustra-4 décembre 2008 à 19h23 #148329O
5 décembre 2008 à 17h41 #148342O
6 décembre 2008 à 17h09 #148348O
7 décembre 2008 à 22h43 #148353O
9 décembre 2008 à 22h55 #148362o
16 décembre 2008 à 10h52 #148383O
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