CABOT, Thierry – Le poète déchu
Je me déchire avec l’écume,
Je m’endeuille avec le blizzard,
Et les décombres de ma plume
Hantent les marches du hasard.
Rien ne me porte que le doute.
Mon nom ? A peine l’ai-je su.
Qui m’aime un peu ? Là, qui m’écoute ?
Je mords le vide à mon insu…
Il m’en souvient ; j’étais à l’âge
Où l’on se veut riche en destin.
La vie alors pleine et volage
Se consumait jusqu’au matin.
Combien de fois le chant des heures
Eblouissait l’or de mes yeux.
Je me noyais dans tous les leurres,
Je bondissais vers tous les cieux.
Que ce fût l’hiver ou l’automne,
L’appel fécond de l’avenir
Comme une source qui moutonne,
En moi semblait ne plus finir.
Debout, au milieu du vertige,
Penchés sur mon stylo rêveur,
Les poètes faisaient, prodige !
Etinceler toute ferveur.
J’allais, j’avais la bouche pure.
J’aimais autant que l’on m’aimait.
Les mots fleurissaient, ô parure !
A l’égal d’un grand mois de mai.
Parmi l’essaim des longues brises,
La foi m’étourdissait de jours,
Et chaude en merveilles conquises,
Etalait son tremblant velours.
J’étais la nuit courant les dunes,
J’étais l’aurore aux blancs chemins,
J’étais la chair des pommes brunes
Qui caressait longtemps mes mains.
J’étais encore tant de choses :
Le lieu du beau, le sang du neuf,
L’inouï caché sous les roses,
Le pinson bleu jailli d’un œuf…
Dures images ! Tout m’assomme.
Bientôt mourra le seul témoin.
Ai-je vraiment connu cet homme ?
Dieu que c’est loin ! Dieu que c’est loin !