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- 28 avril 2008 à 14h48 #145937
BRUANT, Aristide – Chansons
Fantaisie triste
I’ bruinait… L’temps était gris,
On n’voyait pus l’ciel… L’atmosphère,
Semblant suer au d’sus d’Paris,
Tombait en buée su’ la terre.
I’ soufflait quéqu’chose… on n’sait d’où,
C’était ni du vent, ni d’la bise,
Ça glissait entre l’col et l’cou
Et ça glaçait sous not’ chemise.
Nous marchions d’vant nous, dans l’brouillard,
On distinguait des gens maussades,
Nous, nous suivions un corbillard
Emportant l’un d’nos camarades.
Bon Dieu ! Qu’ça faisait froid dans l’dos !
Et pis c’est qu’on n’allait pas vite ;
La moelle se figeait dans les os,
Ça puait l’rhume et la bronchite.
Dans l’air y avait pas un moineau,
Pas un pinson, pas une colombe,
Le long des pierr’ i’ coulait d’l’eau,
Et ces pierres-là… c’était sa tombe.
Et je m’disais, pensant à lui
Qu’j’avais vu rire au mois d’septembre
Bon Dieu ! Qu’il aura froid c’tte nuit !
C’est triste d’mourir en décembre.
J’ai toujours aimé l’bourguignon,
I’ m’sourit chaque fois qu’i s’allume ;
J’voudrais pas avoir le guignon
D’m’en aller par un jour de brume.
Quand on s’est connu l’teint vermeil,
Riant, chantant, vidant son verre,
On aime ben un rayon d’soleil…
Le jour oùsqu’on vous porte en terre.28 avril 2008 à 14h50 #145938Les Canuts
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d’or
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d’or
Nous en tissons pour vous, grands de l’église
Et nous, pauvres canuts, n’avons pas de chemise
C’est nous les canuts
Nous sommes tout nus
Pour gouverner, il faut avoir
Manteaux ou rubans en sautoir
Pour gouverner, il faut avoir
Manteaux ou rubans en sautoir
Nous en tissons pour vous grands de la terre
Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre
C’est nous les canuts
Nous sommes tout nus
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira :
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira :
Nous tisserons le linceul du vieux monde,
Car on entend déjà la tempête qui gronde
C’est nous les canuts
Nous sommes tout nus28 avril 2008 à 14h51 #145939Rose blanche
Elle avait sous sa toque de martre,
sur la butte Montmartre,
un p’tit air innocent.
On l’appelait rose, elle était belle,
a’ sentait bon la fleur nouvelle,
rue Saint-Vincent.
Elle avait pas connu son père,
elle avait p’us d’mère,
et depuis 1900,
a’ d’meurait chez sa vieille aïeule
Où qu’a’ s’élevait comme ça, toute seule,
rue Saint-Vincent.
A’ travaillait déjà pour vivre
et les soirs de givre,
dans l’froid noir et glaçant,
son p’tit fichu sur les épaules,
a’ rentrait par la rue des Saules,
rue Saint-Vincent.
Elle voyait dans les nuit gelées,
la nappe étoilée,
et la lune en croissant
qui brillait, blanche et fatidique
sur la p’tite croix d’la basilique,
rue Saint-Vincent.
L’été, par les chauds crépuscules,
a rencontré Jules,
qu’était si caressant,
qu’a’ restait la soirée entière,
avec lui près du vieux cimetière,
rue Saint-Vincent.
Et je p’tit Jules était d’la tierce
qui soutient la gerce,
aussi l’adolescent,
voyant qu’elle marchait pantre,
d’un coup d’surin lui troua l’ventre,
rue Saint-Vincent.
Quand ils l’ont couché sur la planche,
elle était toute blanche,
même qu’en l’ensevelissant,
les croque-morts disaient qu’la pauv’ gosse
était crevé l’soir de sa noce,
rue Saint-Vincent.
Elle avait une belle toque de martre,
sur la butte Montmartre,
un p’tit air innocent.
On l’appelait rose, elle était belle,
a’ sentait bon la fleur nouvelle,
rue Saint-Vincent.29 avril 2008 à 22h13 #14211029 avril 2008 à 22h13 #145951À Batignolles
Sa maman s’appelait Flora,
A connaissait pas son papa,
Tout’ jeune on la mit à l’école,
À Batignolles.
A poussa comme un champignon,
Malgré qu’alle ait r’çu pus d’un gnon,
L’soir en faisant la cabriole,
À Batignolles.
Alle avait des manièr’s très bien,
Alle était coiffée à la chien,
A chantait comme eun’ petit’ folle,
À Batignolles.
Quand a s’balladait, sous l’ciel bleu,
Avec ses ch’veux couleur de feu,
On croyait voir une auréole,
À Batignolles.
Alle avait encor’ tout’s ses dents,
Son p’tit nez, oùsqu’i’ pleuvait d’dans,
Etait rond comme eun’ croquignolle,
À Batignolles.
A buvait pas , mais assez,
Et quand a vous soufflait dans l’nez
On croyait r’nifler du pétrole,
À Batignolles.
Ses appats étaient pas ben gros,
Mais j’me disais : Quand on est dos,
On peut nager avec eun’ sole,
À Batignolles.
A gagnait pas beaucoup d’argent,
Mais j’étais pas ben exigeant ! …
On vend d’ l’amour pour eun obole,
À Batignolles.
Je l’ai aimée autant qu’ j’ai pu,
Mais j’ai pus pu lorsque j’ai su
Qu’a m’ trompait avec Anatole,
À Batignolles.
Ca d’vait arrivé, tôt ou tard,
Car Anatol’ c’est un mouchard …
La marmite aim’ ben la cass’rol,
À Batignolles.
Alors a m’a donné congé,
Mais le bon Dieu m’a ben vengé :
A vient d’ mourir de la variole,
À Batignolles.
La moral’ de c’tte oraison-là,
C’est qu’ les p’tit’s fill’s qu’a pas d’ papa,
Doiv’nt jamais aller à l’école,
À Batignolles. - AuteurMessages
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