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- 11 juillet 2009 à 19h04 #14270811 juillet 2009 à 19h04 #149920
BLANC, Jean-Noël – Hôtel intérieur nuit (Extraits)
Moi, mes filles, je leur dis…
Maman, elles disent, mes filles, avec tout l’argent qu’on a maintenant tu pourrais bien te payer autre chose comme hôtel. Et comme vêtements. Avec ce qu’on gagne maintenant.
Je les laisse dire. Je sais ce que je pense et ça me suffit. Bien faire et laisser dire, voilà ma devise. Depuis que je suis en âge d’avoir ma petite idée sur ce que c’est que la vie et toutes ses joyeusetés, je n’ai jamais modifié mon opinion. S’amuser à des babioles c’est gaspiller le temps. La vie, je dis, ça se gagne.
Et puis pourquoi est-ce-que j’irais m’installer, moi, dans le luxe, le tralala c’est pour les gens de la haute, grands hôtels, dessous de soie, bijoux, restaurants chics, serveurs en gants blancs, le diable et- son train, la belle jambe que ça me ferait. Sauf qu’ils auraient l’air climatisé les hôtels. Pas comme ici. Mon Dieu la chaleur qu’il y a dans cette chambre. Une touffeur.
Les micmacs et les salamalecs du beau monde, je dis, ça serait seulement plus de dépenses, pas beaucoup plus de bonheur, et moins d’argent en fin de compte pour la carrière de mes filles.
Avec ça que je sue des mains à présent. Les paumes moites, c’est le bouquet. Comme si ça ne suffisait pas des jambes qui me pèsent le poids de la mort quand l’air est aussi lourd que cette nuit. Les grosses, c’est comme ça. Mes filles, maman elles disent, tu devrais essayer un régime. Fais un effort. Suzanne, quand elle me le dit, maman fais un effort, moi je la vois devant moi, si mince, un bijou, quand elle me regarde j’ai presque honte.L’argent, je leur dis, ça coûte. Les régimes, les petits plats, les remèdes, des produits allégés, c’est jeter l’argent par les fenêtres. Je leur dis, mes petites, vous comprendriez si vous vous rappeliez comment c’était avant. Quand il s’en est allé courir son guilledou, l’autre.
Quand il est parti avec sa donzelle. Une maigrelette, toute pâle, l’air souffreteux, un haricot vert. Lui, pourtant, pas plus tôt vue, pas plus tôt séduit, emballez c’est pesé et salut la compagnie. Lui qui ne savait jamais prendre une décision, il a fallu qu’il tombe sur cette fille maigre comme un portemanteau, et du jour au lendemain adieu, bon voyage, que le vent te pousse petit mousse. Dire qu’à l’époque où je l’ai connu, il n’osait même pas laisser tomber son travail de serveur pour devenir danseur.
Pourtant, des gambilleurs comme lui, je peux le dire, ça ne court pas les rues. Le tango, il fallait voir. Et la valse, le fox-trot, la chaloupée, même le rock à la fin. Un as. Je lui ai dit, pas d’histoire, toi mon vieux le Bon Dieu t’a fabriqué pour la danse et seulement pour ça et tout le reste basta. J’ai téléphoné moi-même au restaurant où il travaillait. Je leur ai annoncé sa démission. Après, j’ai démarché les cours de danse. Les beuglants. Les trémousse-fesses. Je le traînais derrière moi, mon roi du cha-cha-cha. Il suffisait que les tauliers le voient faire une fois son baladin pour l’engager. Un danseur de première.
Bien sûr, au début, le diable, on l’a tiré par la queue. Tant pis. Je savais que ça marcherait. Au téléphone, je laissais mariner les patrons de dancing qui commençaient à le réclamer, je me donnais l’air de gérer son agenda, je disais qu’il n’avait pas une minute pour un nouvel engagement, je faisais monter les prix. Et puis.
Bon dieu, cette bouteille, où est-ce-que je l’ai mise, on dirait qu’elle cherche à m’éviter, viens voir ici ma toute belle.
Lui parti, on est restées toutes seules, les petites et moi. Il a bien fallu que je me décarcasse. Bagarreuse, je l’ai toujours été. Les autres gamines, à l’école déjà, quand on était toutes hautes comme trois pommes à genoux et qu’elles chantaient nananère la pouffiasse, nananère la grosse, ça ne traînait pas, j’embrayais. Un aller-retour gardez la monnaie, ça ne gagne pas ça débarrasse. Ma boîte à calottes, elle n’a jamais chômé. Le directeur convoquait mes parents. Pour ce que ça changeait. Ce n’était pas pour ses beaux yeux de Directeur de la Communale que j’allais me laisser marcher sur les pieds.
Quelle chaleur. L’enfer. Je coule. Je ne bouge pas, je ne fais rien, et je coule. Entre les seins, une rigole. Et mes jambes, mes jambes. Mon Dieu.
Alors l’autre, quand il s’est tiré avec sa demi-portion, j’ai craché dans mes mains et j’ai retroussé mes manches. C’est d’abord ça qu’elles doivent comprendre, mes filles. Suzanne, Maïté, mes petites, c’est ça qu’il faut bien vous mettre dans la tête. Et l’huile de coude, voilà le truc, vous m’entendez. Ecoute-moi Maïté, écoute-moi.
Allo, c’est toi Maïté, ma petite fille, ma toute petite, je suis si contente de t’entendre. Oui, c’est tard, et alors, est-ce qu’il y a maintenant une heure pour appeler sa fille au téléphone, il ferait beau voir ça. Tu sais, je suis allée repérer l’établissement où tu vas passer. Eh bien quoi, oui, l’établissement. Mon Dieu j’étouffe dans cette chambre, tu ne peux pas savoir. J’ai rencontré le directeur, un monsieur très bien, très chic, ne t’en fais pas pour le contrat je pense le signer demain. Non je ne crie pas ma poulette. Je parle comme je parle, c’est tout. Si tu savais la chaleur qu’il y a ici, c’est bien simple je me fais le sauna sans bouger. Dis-moi quand tu viens, le directeur aimerait te voir avant de t’engager définitivement. Oui, c’est samedi que tu commences. En soirée . tu sais, ici, les gens, ce n’est pas une bien grande ville, il n’y a pas matinée ET soirée. Vendredi ce serait bien, j’irai t’attendre à la gare. Ecoute je te rappelle, je t’embrasse, non je ne crie pas, je ne sais pas pourquoi tu dis toujours que je crie. Je t’embrasse.
Même le téléphone qui poisse. Ce n’est pas possible de suer autant. Fenêtre ouverte ou pas. Avec ça que je ne retrouve pas le numéro de téléphone de ce type, je perds tout, bientôt c’est la boule que je vais perdre. Son établissement, comment il s’appelle déjà, un nom anglais, ils portent tous un nom anglais, à la fin je m’y perds. Basta. Pourvu que mes filles dansent. Même si ce n’est que pour un remplacement. Il y a des passes difficiles, demain ça ira mieux. La vie, si jamais vous commencez à baisser les bras, vous êtes sûr de toujours perdre la partie.
Elle n’attend que ça, la vie : que vous renonciez. L’existence, c’est peau de vache et compagnie. Il ne faut jamais lui laisser le volant. Il vaut mieux conduire soi-même, toujours. Et serrer les dents.Sainte Vierge cette chaleur, j’étouffe, je fonds.
Quand il nous a laissées toutes les trois d’un seul coup, le bec dans l’eau comme des moins que rien, il a fallu déménager. Bonjour les gourbis. La cuisine au butagaz. Les soupentes, les garnis, les chambres miteuses. Cet hôtel, ici, à comparer, c’est le luxe. On a vu tellement pire, toutes les trois. Moi, les ménages. Suzanne et Maïté, l’école d’abord, la danse ensuite.
Moi, mes filles, je leur dis, ce n’est pas parce que vous êtes des femelles que le Bon Dieu vous a destinées au ménage et au repos du guerrier. Mes petites, j’ai dit tout de suite, il vous faut un métier. J’ai dit aussi, on ne sait jamais, des fois que vous auriez hérité quelque chose de votre père. Danseuses, pourquoi pas, il vous devrait bien ça.
J’ai pris des ménages à droite et à gauche, il n’y a pas de sot métier. Suzanne et Maïté, pendant ce temps, l’école, et puis la danse, sérieusement. Pour réussir, je disais, c’est 10% récréation, 90% transpiration. Et du cœur au ventre. J’ai toujours été sûre qu’elles réussiraient.
Suzanne, pourtant, elle renâclait. Pour laisser croire qu’elle avait travaillé à la barre elle se vaporisait de l’eau sur la figure pour avoir l’air d’être en sueur. Un soir je l’ai surprise à ce petit jeu. Je n’ai rien dit, je l’ai regardée dans les yeux, c’est tout. Je l’ai regardée le temps qu’il a fallu. Elle n’a rien dit non plus. Et puis elle a repris ses exercices. Elle n’a plus jamais cherché à tricher. Plus jamais. Suzanne.
La destinée, je dis, plus elle est vache plus on a raison de batailler pour faire son trou. La belle et bonne lumière du soleil, on peut toujours la faire entrer dans le destin si on veut bien. Il suffit de remuer le ciel et a terre.Allo oui, je veux parler à monsieur Simon. S’il vous plaît. Allons, vous n’allez pas me dire qu’il est fermé cet établissement, un soir de semaine. Ah bon, pourtant il n’est pas si tard que ça. Excusez-moi je n’avais pas regardé l’heure. Excusez-moi, je vous en prie. Ah c’est monsieur Simon, bonjour, c’est madame Guesch, oui, la maman des danseuses, l’engagement pour samedi, vous savez bien, Suzanne, Maïté. Oui, les danseuses. Figurez-vous que je viens de leur téléphoner à toutes les deux, elles confirment, oui, vendredi soir, elles passent vous voir dès qu’elles arrivent. Et pour le contrat, demain matin je, oui on fait comme on a dit, en fin de matinée, très bien, d’accord on verra ça, c’est cela même, bien le bonjour monsieur Simon . Et bonne nuit.
C’est qu’elles ont travaillé, mes filles. Des acharnées : je ne leur ai pas laissé le choix. L’école, la danse, la gymnastique. J’ai insisté pour la gymnastique. C’est que la danse, c’est des foulures, des élongations, des entorses. Le format petit rat, vous repasserez. Il faut du muscle. De la résistance. Sinon rideau.
C’est à cette époque que j’ai pris les ménages dans les bureaux. La nuit. Le jour, mes petites, je pouvais m’en occuper. Gymnase ici, cours de danse là, toujours la course. En plus de l’école. Je les accompagnais. J’ai toujours été là.
Les larmes qu’elles ont pu verser. Je disais, taisez-vous, vous pleurerez après, maintenant on n’a pas le temps.
Maïté, surtout. Celle-là, toujours un bobo, une douleur, maman j’ai mal au genou, maman ma cheville, et quand ce n’étaient pas ses articulations c’étaient ses règles, le ventre, j’ai mal. Suzanne, elle, jamais une plainte. Et jamais plus la moindre tricherie. Jamais.
Les concours, elles les ont gagnés ensemble. Toutes les deux. Les écoles de danse, les cours : toujours les premières. Elèves, seconds quadrilles, premiers quadrilles, coryphées, petits sujets, grands sujets, premières danseuses. Moi, mes filles, je leur ai toujours dit, allez-y j’ai confiance en vous. Je leur ai toujours dit, allez-y, vous gagnerez. Elles ont gagné. Premières. Et pareil pour les engagements, les spectacles, les tout premiers contrats. Je les emmenais aux auditions. Cent concurrentes au bas mot. Je leur disais, ça ne fait rien, il y en aurait deux cents que c’est vous qui l’emporteriez quand même.
C’est comme ça : si quelqu’un a confiance en vous, vous gagnez. Elles gagnaient.
La mouise, c’était fini. Elles ont commencé à travailler vraiment. La danse, c’est un travail. Deux heures pour le spectacle, cinquante semaine par an, et les projecteurs dans la figure, le rythme, la cadence, et un et deux et trois, coup de pied à la lune, grand écart, saut carpé, tous en chœur, on reprend, un peu plus de punch s’il vous plaît mesdemoiselles, souriez, et les changements de costume entre les tableaux, toujours en courant, le petit escalier en colimaçon entre la scène et les loges, monter, descendre, courir, revenir sur scène, pas glissé, entrechats, courses, sauts, pauses, jetés-battus, souriez mesdemoiselles, souriez.
Depuis toujours je leur disais, le sourire mes petites, le sourire-dents-serrées. Le gros cochon du premier rang ne doit pas savoir ce que ça vous coûte. Souriez.J’ai encore perdu cette bouteille. On devrait faire des bouteilles carrées. Elles ne rouleraient pas partout. On les retrouverait dès qu’on en a besoin.
Si je calcule bien, c’est à cette époque que j’ai pu arrêter les ménages de nuit. Avec les contrats des petites, on s’en sortait à l’aise. Je courais les engagements. Je forçais les bureaux des directeurs : mes deux filles, des beautés, voulez-vous voir les photographies, regardez, vous n’en trouverez pas de plus mignonnes, deux sœurs. Je prenais rendez-vous pour les auditions. Surtout l’hiver. La belle saison, c’est novembre et décembre : les matinées en plus des soirées, trois ou quatre fois par semaine.
C’est en décembre, dans le petit escalier en colimaçon qui monte aux loges, que Suzanne.Je devrais prendre une douche froide. Glacée.
Ce qu’elle passait bien, sur scène, Suzanne. C’était de la lumière. Elle éblouissait. Avec Maïté, toutes les deux, le public se levait pour les applaudir.
Et maintenant c’est ce sacré bouchon que j’ai perdu. On devrait inventer des bouteilles qui se bouchent toutes seules.
L’escalier en colimaçon. En tire-bouchons. Dépêchez-vous mesdemoiselles. En décembre. Suzanne. Une marche ratée. La culbute. Et puis.
Sur la scène, toutes les deux, le ravissement que c’était. Un pétillement. Et hop, hop, ça tournait, une fête, il fallait voir. Hop-là, et encore un tour, encore un, mesdemoiselles, souriez, souriez, hop-là, et les lumières par là-dessus, la musique, un bonheur, cette beauté, il fallait voir ça.
Qu’est-ce que c’est, oui, entrez donc, bonsoir monsieur, c’est pourquoi, je n’ai rien demandé. Vous avez la chambre à côté, et alors, comment ça, je fais du bruit, je chante au milieu de la nuit, alors dites donc c’est la meilleure. Moi, chanter toute seule au milieu de la nuit, j’ai bien trop chaud pour chanter. Et quand bien même je chanterais, hein, c’est que je suis joyeuse, moi, monsieur. Oui monsieur, joyeuse. J’ai la joie de vivre. Tenez, si vous voulez savoir pourquoi, regardez donc. Vous voyez, là, sur la photo, c’est mes filles. Regardez comme elles sont mignonnes. Suzanne, voyez, c’est celle-là, et Maïté. Elles vont danser dans une revue à partir de samedi. Au Blue Lagoon, un cabaret bien tenu, je vous prie de le croire. Danseuses nues, eh oui monsieur, il en faut. Danseuses nues ou pas, mes filles, je ne permets pas qu’elles se commettent n’importe où. La classe, monsieur, la classe ; Tenez, faites-moi plaisir, buvez-moi ça. Bon, c’est un verre en plastique, il n’y a plus que ça dans les hôtels, ils doivent avoir peur qu’on les vole. En tout cas, ça, on ne l’aura pas volé, ce petit verre de derrière les fagots. A la bonne vôtre. Oui, promis, je ne chanterai plus. Promis juré. Vous devriez venir voir mes filles samedi, je ne sais plus où j’ai mis les cartes du Blue Lagoon, regardez-moi ce chantier, quelle chambre, n’ayez pas peur je vais ranger, tant pis pour les cartes, rappelez-vous, le Blue Lagoon, non je vous assure que je ne chanterai plus, bonne nuit monsieur, je ne chante plus, bonne nuit. Bonne nuit.
Je ne chanterai plus. Tu ne chanteras plus. Elle ne dansera plus.Personne ne pourrait danser avec cette chaleur. Les grosses, avec la chaleur, elles suent plus que les autres. Il faut se méfier, ça sent vite, les grosses. Moi, les gens qui m’appelaient La Grosse, ils prenaient un aller-retour vite fait bien fait. Ca les calmait. Ils ne riaient plus.
Ils ne riaient plus. Elle ne dansera plus.
Elle courait. C’était entre deux tableaux, il fallait changer de costume, elle courait dans le petit escalier en colimaçon du Paradis Latin, bas résilles, talons hauts, le costume avec ces grandes plumes d’autruche, dépêchez-vous mesdemoiselles, souriez, pressons-nous. La chute.C’est drôle, je ne me rappelle absolument rien de la cérémonie, après.
Seulement toutes ces fleurs dans l’église. Et l’orgue.
Il m’a fini la bouteille, ce salaud.
Souriez mesdemoiselles.Bonté divine, où est-ce que j’ai mis ce numéro de téléphone. Avec tous ces papiers renversés sur le lit. Mon sac vidé.
Il faudrait faire le ménage dans tout ça. Ca me connaît, ça, les ménages.
Le numéro de ta fille, tu pourrais te le rappeler. Je n’ai plus de tête. Plus la tête à moi. Trop de choses à oublier. Je veux dire, à me souvenir. Les adresses. Les auditions. Les rendez-vous. Pour ma fille Maïté.
Suzanne.
Les rendez-vous pour Maïté. Les contrats. Fini le Paradis Latin. Finis les grands cabarets. En avant pour la course au cachet. Les télés. La RAI, surtout. Pour mettre derrière les chanteurs ils cherchent des filles. Et les défilés de mode en province. Les magazines aussi. Les boîtes de nuit. Les tournées dans les Vosges. French-cancan, revues osées, demoiselles de Paris. Et les photos. Ca, la photo, ça marche. Photo de charme, papier glacé. Quelques sous. Toujours ça de pris.
Ce n’est qu’un mauvais passage. On va repartir.
Quelques jours ici, quelques semaines peut-être. Pour la suite, j’ai des projets. Le Japon. L’Asie du Sud-Est. Il y a de l’argent là-bas pour des filles qui font du cabaret. On nous attend. Et l’Amérique du Sud. Il faut tenter sa chance partout. Maintenant ou jamais. Une carrière de danseuse, après trente-cinq ans maximum, fini. En attendant, il s’agit d’engranger.Allo, Maïté, ma petite chérie, ça y est, je viens de l’avoir au bout du fil. Le patron du Blue Machin. Celui qui vous engage à partir de samedi. A Neaulieu, que veux-tu que j’y fasse, ne t’inquiète pas, on trouvera quelque chose de mieux la prochaine fois. J’ai des projets. On a déjà connu pire ma petite chérie, cette fois-ci je sens que ça repart. Tu vois, déjà il vous attend vendredi soir, vous commencez samedi. Eh bien oui, je dis « vous », allons bon, pourquoi je ne dirai pas « vous », j’aimerais bien savoir.
Comment ça, qu’est-ce que tu veux dire, tu veux donc faire passer ta mère pour folle.
C’est ça, dis que je suis folle. Tu devrais avoir honte de dire ça à ta mère.
Tu dis n’importe quoi. Arrête de dire ça. Et ne pleure pas. Ta sœur ne pleurait pas, elle. Tu devrais prendre exemple sur Suzanne. Bats-toi, ma petite Maïté, bats-toi. Pleurer, ça n’a jamais changé la gueule du malheur, tu le sais bien.
Ne pleure pas je te dis. Je t’interdis de pleurer.
Maïté, ma petite. Ma toute petite. Tu as donc tout oublié.
Ecoute, il fait trop chaud pour que je discute. Tu dis n’importe quoi. Vous danserez samedi toutes les deux, je vais signer votre contrat demain, un point c’est tout.
S’il te plait ne pleure pas.
Je vous attends vendredi. Je compte sur toi pour t’occuper de ta sœur. Viens avec Suzanne.
Ma toute petite fille, s’il te plait, ne pleure pas. Vous serez tellement belles, toutes les deux sur la scène, vous serez tellement belles11 juillet 2009 à 19h17 #149921BLANC, Jean-Noël – Hôtel intérieur nuit (Extraits)
Curriculum vitae
Pour Véronique Rosier
Sitôt entré dans la chambre, il déboutonna sa chemise, l’ôta, la roula en boule et la lança sur le lit. Saloperie de chaleur. Il considéra le vêtement froissé sur le couvre-pieds, haussa les épaules. Ce n’était plus qu’un petit tas de tissu, petit tas, gros tas, Greta et gros tas, il y avait une chanson avec ces mots, comment se rappeler, on oublie tout. N’importe comment, dit-il à voix haute, cette liquette Odette, elle n’a plus figure humaine Germaine.
Dans le coin toilette, il s’observa, torse nu. Il ne se trouva pas si mal conservé que ça, Un peu de musculation, un peu de jogging, un peu de lampe à bronzer, sans oublier la piscine Christine : un bel homme ma pomme. Qui fait encore de l’effet aux femmes. Ca et l’humour, une pincée de baratin, un zest de sous-entendus coquins, et c’est dans la poche Loloche, toutes les femmes succombent.
Il revint dans la chambre. Il ne parvenait pas du tout à se rappeler cette chanson. Greta gros tas. Il se rappelait seulement le petit tas des chemises que Raphaëlle rangeait en pile dans l’armoire, avec tant de soin. Si bien repassées. Le linge au garde-à-vous. La propreté au pas cadencé. Les chemises le petit doigt sur la couture du pantalon. L’expression le fit rire. Raphaëlle ne riait pas.
Adieu Raphaëlle. Une de perdue dix de retrouvées. Tu l’as dit Lydie. Les femmes, quand y en n’a plus y en a encore c’est comme le cul d’Eléonore. Il se grattait la poitrine. Il siffla un air qui ne voulait rien dire, et décida de prendre une douche.Les canalisations grognèrent. Elles protestaient. Quelque chose, tout au fond de la tuyauterie, cognait. L’eau paraissait venir de loin et devoir franchir des obstacles compliqués pour remonter des profondeurs. Saloperie d’hôtel. Il jura à voix haute. L’eau se mit enfin à couler. Elle manquait de pression. Pardi Julie, quand l’eau arrive jusqu’ici, après tout le trajet qu’elle s’est tapée elle n’en peut plus, c’est une eau fatiguée. Il sourit, et il dit tout haut, de l’eau lasse, de l’eau lasse, toujours de l’eau lasse, et il se mit à rire tout seul. Son rire ne portait pas loin. L’eau l’étouffait. Il pensa, les femmes, il suffit de les faire rire pour les emballer, c’est comme ça Natacha.
Les coups sourds continuaient à résonner dans les canalisations pendant qu’il se laissait aller sous l’eau tiède tout en pensant aux femmes qu’il avait rencontrées depuis le départ de Raphaëlle, Elle, sa manie du rangement, le linge à l’inspection, je ne veux voir qu’une tête, et lui s’amusant à se planter devant elle, écartant les bras : ton mari au garde-à-vous Marylou, présentez armes, viens vite goûter comme elle est bonne Yvonne.Il se pencha pour consulter sa montre qu’il avait laissée sur le lavabo. L’eau giclait sur son dos. Bientôt deux heures du matin. Et toujours pas sommeil. Ton corps, ce n’est pas encore qu’il dort Marie-Laure. Tu penses Hortense. Avec ce qui t’attend demain, ce boulot que tu vas décrocher, tu ferais mieux de dormir vieux kroumir.
Il pensa qu’il devrait faire attention à ses astuces. Les gens ne te comprennent pas, ils te croient dingue. Béatrice, Simone, Amélia, elles te trouvaient ravagé, elles te le disaient, mon pauvre Paul-Marie t’es dingo. Comme l’Arabe à l’entrée de l’hôtel, tout à l’heure. Le veilleur de nuit. Il m’a pris pour un ivrogne. Ca se voyait à sa façon de me regarder. Un ivrogne, on lui parle lentement , on lui trie les mots. On lui coupe les phrases dans son assiette. Une cuillérée pour le monsieur, une cuillérée pour le pochard. Et pendant ce temps on lui ausculte les poches sous les yeux et le jaune du blanc de l’œil.
Si au moins c’était vrai. Boire, ça doit en nettoyer des problèmes. Ca doit laver un peu les saloperies du monde. Dissoudre les taches. Voilà ce que j’aurais dû dire à l’Arabe : l’alcool lave plus blanc. Il n’aurait pas compris, il aurait cru que c’était du racisme, ces gens ils croient toujours qu’on leur en veut.Si au moins je pouvais boire. Si au moins j’avais un foie qui encaisse l’alcool. Va te faire fiche. Tu rigoles Nicole. Saloperie de foie.
Les tuyaux faisaient entendre leurs grognements. Saloperie de douche.
Une qui ne devait pas en avoir, de problème, avec son foie, c’était la grosse vache de la chambre à côté. Cette espèce de folle qui gueulait dans le téléphone et qui s’était mise à chanter. Siphonnée, la grosse. Et ce verre de cognac qu’elle lui avait fait boire. Une dose à assommer un bœuf.
Après ça, impossible de fermer l’œil évidemment. Alors il était sorti dans les rues. Avait erré à la recherche de quelque chose. De quelqu’un. Peine perdue Lulu. Cette ville, un désert Bérangère. Personne dans les rues. Et puis, avec ce mal de tête qui lui venait, à cause du cognac, impossible d’aller draguer dans les bars. Il avait promené sa migraine sur les trottoirs vides. Avait déniché un bistrot ouvert. Bu une bière. N’aurait pas dû. Etait sorti. Avait vomi au pied d’un arbre, dans un square. La gerbe aux moments morts. Encore une mauvaise blague. Et son foie déplorable. A cause de la grosse vache d’à côté. Qui dormait maintenant. Saloperie de grosse. Saloperie de foie.Il sortit de la douche, s’essuya .Les serviettes de l’hôtel étaient trop courtes et trop rêches. Il pensa que ça rimait avec dèche et que tout était en ordre, même les rimes de sa vie. Il revint dans la chambre, nu. Merde pour les gens d’en face. Les vis-à-vis Nathalie. N’importe comment à cette heure-ci tout le monde dort.
Lui aussi, il aurait dû dormir. Ou alors, tout à l’heure, dans le cabinet de recrutement, la tronche qu’il allait tirer, les cernes, les rides, la gueule en papier journal. Bon à jeter. Bon à tirer. Bon à retirer. Arrête tes vannes Suzanne, ce boulot est pour moi et je l’aurai.
Il s’assit sur le lit, dos tourné à la fenêtre. La douche l’avait rafraîchi. Il alluma une cigarette.Quel genre de cravate choisiriez-vous pour rencontrer des interlocuteurs du Maghreb – Aimez-vous les matches de tennis – Au restaurant quel légume commanderiez-vous pour accompagner un filet de sole – Complétez les dialogues de cette bande dessinée – Etes-vous heureux d’être seul dans une chambre d’hôtel en train de fumer au milieu de la nuit assis tout nu sur votre lit –
Qu’est-ce qu’ils croient, bien sûr que je suis heureux d’être là Patricia. Derrière la fenêtre en face une belle femme me zieute. Elle voit un bel homme à poil, elle n’y tient plus, dans une minute elle rapplique dans cette chambre, les femmes et moi c’est comme ça Mariella. Voilà ce qu’il faudrait leur répondre, à leur questionnaire d’embauche et à toutes leurs questions idiotes Charlotte.
Il tira une bouffée. Baissa la tête. Examina son corps. Palpa ses pectoraux. Encore solides. L’entraînement. Enfonça la pointe des doigts tout autour de sa taille. Les bourrelets. Les poignées d’amour. Pas trop. Se méfier. Voir à durcir un peu tout ça . Toucha son sexe. Le souleva. Eh bien mon vieux toi non plus ce n’est pas la grande forme. Le laissa retomber.Bon dieu, ça serait tellement plus facile d’être une femme. Il suffit de montrer son cul. Les filles de la grosse vache d’à côté, tiens, par exemple. Putain, cette vieille lui avait collé sous le nez les photos de ses filles à poil. Danseuses nues. Les doudounes au vent, le cache-sexe en timbre-poste. Un truc dingue. Les femmes, au fond, ça n’a pas à se fouler pour trouver le pognon Suzon. Il suffit de se foutre à poil en se trémoussant, et par ici la bonne soupe. Sans parler des photos. Combien, cinq mille la pose au moins. Tourne-toi, fais voir tes fesses, debout, couchée, à genoux, à plat ventre, comme-ci, comme-ca. Fais voir ta chatte Agathe. Combien, cinq mille, plus, moins. Le fric qu’elles peuvent se faire sans rien faire, les femmes. Saloperies.
Il essayait de penser à des saloperies et son sexe ne réagissait pas. Il le manipula un peu, sans conviction, songea vaguement à aller chercher dans sa valise le magazine pour hommes qu’il avait acheté à la gare, renonça, soupira, écrasa sa cigarette dans le cendrier.Puis il se leva, se retourna, fit face à la fenêtre, ouvrit les bras. Demeura un instant dans cette position. Eclata de rire. En face de lui, dans la vitre noire et luisante, son reflet rit aussi. Il pencha la tête sur le côté, examina l’homme nu qui lui faisait face en riant, baissa les bras. Le silence revint. Il prit une autre cigarette, l’alluma.
Comment lui avait-il dit, déjà, le recruteur qui l’avait reçu la semaine dernière, vous êtes donc un homme au foyer, monsieur Dupuis, puisque vous êtes maintenant célibataire si j’en crois votre curriculum, dites-moi ça ne doit pas être tous les jours facile pour entretenir vos chemises, par exemple, les repasser, expliquez-moi comment vous faites.
Il tourna le dos à la fenêtre, gagna la penderie étroite qui séparait la chambre du coin toilette, saisit sa valise, la posa sur le lit, en tira un pantalon de pyjama, l’enfila.
Et la nuit, monsieur Dupuis, comment dormez-vous : en pyjama, nu, en chemise de nuit, dites-moi comment vous dormez. Et la marque de votre voiture, vous avez oublié de la mentionner dans votre CV, c’est important de connaître la marque. Dites-moi, je vois que vous avez oublié aussi d’inscrire votre prénom sur le questionnaire, vous n’avez donc pas de prénom, tout le monde a un prénom. Et pourquoi bougez-vous votre pied comme ça, vous êtes donc si nerveux, on ne vous mangera pas, détendez-vous. J’ai lu la fiche que vous avez remplie concernant vos motivations pour occuper ce poste, voyez-vous monsieur Dupuis on dirait vraiment que vous avez envie d’occuper cet emploi comme moi d’aller chez les pompiers.Toute une vie, et en arriver là. Ma vie : trente-six métiers, trente-sept misères. Et trente-sept femmes au moins, messieurs les recruteurs, ça vous la coupe, ça, que le petit cadre technico-commercial qui est devant vous ait pu s’en farcir autant, des femmes. A la broche à l’abordage en douceur en vitesse à la hussarde. De toutes les façons, messieurs. Bon dieu, bientôt il faudrait raconter aux recruteurs comment on baise. A l’aise Thérèse. Leurs entretiens à la broute-moi-la-pine Aline, tu veux la mienne Lucienne.
Il donna un coup de poing sur le matelas, de toutes ses forces. Il serrait les machoires. Puis il vida ses poumons, se redressa, passa ses deux mains dans ses cheveux. Tu t’es coiffé avec un rateau Cléo. S’il allait se coucher avec cette coiffure de 14 juillet, ce serait impossible de se faire une tête présentable pour le rendez-vous de tout à l’heure. Il entreprit de se coiffer. Sois smart ma petite Marthe. Si tu savais comme je m’en balance.Inscrivez ici votre signe du zodiaque. J’ai bien dit ça, oui, le zodiaque : vous connaissez votre signe j’espère. Pas en majuscule s’il vous plait : l’analyse graphologique. On a besoin de votre écriture pour savoir qui vous êtes, monsieur Dupuis. Monsieur Paul-Marie Dupuis.
Répondez par oui ou non, avez-vous l’impression quelquefois que quelqu’un vous en veut personnellement, vous arrive-t-il de ressentir sans raison précise une envie de pleurer, cochez la case de la réponse.Il acheva de se coiffer. Le peigne dessinait sur sa tête des sillons réguliers. Avec cette chevelure lisse tirée en arrière, il ressemblait à un séducteur des années 30. Séducteur mon petit cœur. Malgré les cheveux qui commencent à se faire la paire Marie-Claire. Pas trop encore Marie-Laure. Heureusement que sur les tempes il était en train de prendre des mèches blanches, les femmes en raffolent Marie-Paule. Les femmes aiment les vieux beaux.
Il pensa à l’histoire du vieux beau qui entre dans un bar en faisant tourner autour de son index un trousseau de clés de Porsche. Et qui ne soulève aucune femme. Jusqu’à ce qu’un de ses copains lui dise qu’il aurait dû les ôter avant d’entrer, ses pinces à vélo. C’est là qu’il faut rire Chloé.Si je vous dis « pédale », à quoi pensez-vous immédiatement, ne réfléchissez pas, dites ce qui vous vient à la bouche immédiatement. Au cinéma, vous vous trouvez derrière un couple d’homosexuels en train de s’embrasser, cochez la case correspondant à votre réaction : vous changez de place pour voir le film, vous leur demandez de cesser, vous quittez la salle.
Il posa son peigne. Bon dieu, on ne pose jamais des questions comme ça aux femmes. Les femmes, on leur demande de se laisser faire. Point final. Sourire, charmer, onduler des hanches, bouger les lèvres. Si au moins les hommes pouvaient se contenter de faire pareil. Va te faire fiche ma biche.
Dans le cabinet de recrutement de cette société agro-alimentaire, pourtant, le cinoche qu’il avait fait, le petit blondinet. On les avait rassemblés tous les huit dans une pièce, huit fauteuils pour les huit candidats, sans leur dire quoi que ce soit, et on les avait laissés mariner tout seuls. Le coup classique. Psychologie de groupe. Sociogramme, tout le bataclan. Un observateur planqué fait le voyeur, il note qui va lancer la discussion, qui va mener le bal, qui va jouer les leaders, les opposants, les suiveurs, et le tour est joué. Et là-dedans l’autre blondinet qui avait sorti le grand jeu, les petits rires, les gloussements, les sourires frôleurs, l’horreur. Le genre de mec prêt à faire son chemin à reculons. Avec beaucoup de vaseline Adeline. Bon dieu, des types comme ça j’en mangerais dix à chaque petit-déjeuner.
Il éteignit la lampe du plafond, alla ouvrir la fenêtre en grand, balança son mégot d’une chiquenaude. Il n’y avait pas un bruit dans la ville. Au-dessous de la petite lampe qui brillait, dans la cour, un nuage de moustiques et de moucherons dansait.
Salaud de blondinet. Ce qu’il lui aurait fallu c’était un bon coup de poing dans sa belle gueule. Un bon coup donné par un costaud. Par exemple ce militaire qui était entré dans l’hôtel en même temps que Paul-Marie, hier soir. C’est sûrement un militaire. Le cheveu ras, le dos raide, le pas dur. Adjudant. Pète-sec. Voilà ce qu’il lui aurait fallu, au blondinet. Un soldat, bien dur.Il avait fermé les yeux et il s’efforçait de respirer avec régularité. Calme. Ne t’affole pas. Le sommeil ne venait pas. Continue. Respire. Sans t’affoler. Laisse-toi aller. Ne pense pas.
Ne pense pas à ce petit merdeux de blondinet. Ne pense pas non plus à ce militaire qui montait les escaliers devant toi, hier soir. Ne pense pas à cet autre militaire, c’est une vieille histoire. Trop vieille. Dans la caserne. Le caporal. N’y pense pas. La bleusaille vous allez y passer, eh toi le bleubite comment tu t’appelles, parle plus fort, comment ça, Paul-Marie, putain il est trop chou celui-là. Viens ici Marie. Viens voir là Marie. Tu deviendras un homme Marie. A genoux bleubite.
N’y pense pas. N’y pense pas.Monsieur Dupuis, je ne vois rien d’écrit, là, sur le questionnaire.
Monsieur Dupuis, vous indiquez sur votre CV que vous êtes célibataire. Séparé. Vous vivez donc seul. Vous entretenez j’imagine des liaisons. Vous êtes donc un homme à femmes. Forcément.
N’y pense pas. Les yeux fermés. Respire avec calme. Régularité. Méthode. Compte. Ne te presse pas. Comme si tu comptais sur tes doigts. Sans t’affoler.
Sois pas si pressé, bleubite, prends tout ton temps.
Respire. Ne pense pas.
Tout à l’heure il faudra que tu sois en forme pour l’entretien de recrutement. Tu seras en forme. Tu les convaincras. Tu les séduiras. Messieurs je suis prêt à tout pour avoir cet emploi. A tout.
N’y pense pas. Ne pense pas non plus à tout ce temps qui s’est écoulé depuis que tu n’as pas tenu une femme dans tes bras. N’y pense plus.
Raphaëlle en partant : quel vicieux tu fais. Tu me dégoûtes. Dégueulasse.
Et les femmes, elles n’en ont donc pas, de vice, allons donc, la grosse vache à côté, sa façon d’exhiber ses deux filles à poil, sous ton nez, la salope. Et cet alcool qu’elle t’a fait boire. Et cette nuit foutue par sa faute. Saloperie de grosse.Il ouvrit les yeux. Il transpirait. Un avant-goût de nausée montait dans sa poitrine. Il rejeta les draps. Se leva. Se dressa face à la cloison qui séparait sa chambre de celle de la grosse femme.
Tiens-toi tranquille. Paul-Marie, du calme. Monsieur Dupuis, je crois pouvoir déceler des tendances violentes. Intropunitives extratensives. Pulsions instinctuelles orageuses. Propensions destructrices. Monsieur Dupuis, je crains que pour ce poste vous ne fassiez pas l’affaire.Il était debout à côté du lit. Face à la cloison. Fermant les yeux. Crispant les épaules. Les dents grinçant. Des lueurs rouges derrière les paupières. Retenant ses larmes. Levant le bras. Serrant le poing. Ouvrant la bouche. Prêt à hurler. Prêt à marteler la cloison de ses poings. Prêt à tout. Immobile et prêt à tout.
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