BAUDELAIRE, Charles – Les Fleurs du Mal (Compilation)

Accueil Forums Textes BAUDELAIRE, Charles – Les Fleurs du Mal (Compilation)

4 sujets de 31 à 34 (sur un total de 34)
  • Auteur
    Messages
  • #146120
    VictoriaVictoria
    Participant

      SPLEEN



      Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
      Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
      Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
      Il nous fait, un jour noir plus triste que les nuits ;


      Quand la terre est changée en un cachot humide,
      Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
      S’en va battant les murs de son aile timide,
      Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;



      Quand la pluie étalant ses immenses traînées
      D’une vaste prison imite les barreaux,
      Et qu’un peuple muet d’horribles araignées
      Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,


      Des cloches tout-à-coup sautent avec furie
      Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
      Ainsi que des esprits errants et sans patrie
      Qui se mettent à geindre opiniâtrément.


      — Et d’anciens corbillards, sans tambours ni musique,
      Défilent lentement dans mon âme ; et, l’Espoir
      Pleurant comme un vaincu, l’Angoisse despotique
      Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

      #146121
      VictoriaVictoria
      Participant

        TRISTESSES DE LA LUNE



        Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse ;
        Ainsi qu’une beauté, sur de nombreux coussins,
        Qui d’une main distraite et légère caresse,
        Avant de s’endormir, le contour de ses seins,


        Sur le dos satiné des molles avalanches,
        Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,
        Et promène ses yeux sur les visions blanches
        Qui montent dans l’azur comme des floraisons.



        Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
        Elle laisse filer une larme furtive,
        Un poète pieux, ennemi du sommeil,


        Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
        Aux reflets irisés comme un fragment d’opale,
        Et la met dans son cœur loin des yeux du soleil.

        #142129
        VictoriaVictoria
        Participant
          #146122
          VictoriaVictoria
          Participant

            UNE CHAROGNE



            Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
            Ce beau matin d’été si doux :
            Au détour d’un sentier une charogne infâme
            Sur un lit semé de cailloux,

            Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
            Brûlante et suant les poisons,
            Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
            Son ventre plein d’exhalaisons.

            Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
            Comme afin de la cuire à point,
            Et de rendre au centuple à la grande nature
            Tout ce qu’ensemble elle avait joint ;

            Et le ciel regardait la carcasse superbe
            Comme une fleur s’épanouir.
            La puanteur était si forte, que sur l’herbe
            Vous crûtes vous évanouir.

            Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
            D’où sortaient de noirs bataillons
            De larves, qui coulaient comme un épais liquide
            Le long de ces vivants haillons.

            Tout cela descendait, montait comme une vague,
            Ou s’élançait en pétillant ;
            On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
            Vivait en se multipliant.

            Et ce monde rendait une étrange musique,
            Comme l’eau courante et le vent,
            Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique
            Agite et tourne dans son van.

            Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
            Une ébauche lente à venir,
            Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
            Seulement par le souvenir.

            Derrière les rochers une chienne inquiète
            Nous regardait d’un œil fâché,
            Épiant le moment de reprendre au squelette
            Le morceau qu’elle avait lâché.

            – Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
            À cette horrible infection,
            Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
            Vous, mon ange et ma passion !

            Oui ! Telle vous serez, ô la reine des grâces,
            Après les derniers sacrements
            Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,
            Moisir parmi les ossements.

            Alors, ô ma beauté ! Dites à la vermine
            Qui vous mangera de baisers,
            Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
            De mes amours décomposés !

          4 sujets de 31 à 34 (sur un total de 34)
          • Vous devez être connecté pour répondre à ce sujet.
          Veuillez vous identifier en cliquant ici pour participer à la discution.
          ×