BANVILLE, Théodore (de) – Poésies

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  • #145928
    VictoriaVictoria
    Participant

      BANVILLE, Théodore (de) – Poésies

      À Adolphe Gaïffe


      Jeune homme sans mélancolie,
      Blond comme un soleil d’Italie,
      Garde bien ta belle folie.

      C’est la sagesse ! Aimer le vin,
      La beauté, le printemps divin,
      Cela suffit. Le reste est vain.

      Souris, même au destin sévère :
      Et, quand revient la primevère,
      Jettes-en les fleurs dans ton verre.

      Au corps sous la tombe enfermé,
      Que reste-t-il ? D’avoir aimé
      Pendant deux ou trois mois de mai.

      ” Cherchez les effets et les causes “,
      Nous disent les rêveurs moroses.
      Des mots ! Des mots !… Cueillons les roses !

      #145929
      VictoriaVictoria
      Participant

        La Ville enchantée


        Il est de par le monde une cité bizarre,
        Où Plutus en gants blancs, drapé dans son manteau,
        Offre une cigarette à son ami Lazare,
        Et l’emmène souper dans un parc de Wateau.

        Les centaures fougueux y portent des badines;
        Et les dragons, au lieu de garder leur trésor,
        S’en vont sur le minuit, avec des baladines,
        Faire un maigre dîner dans une maison d’or.

        C’est là que parle et chante avec des voix si douces,
        Un essaim de beautés plus nombreuses cent fois,
        En habit de satin, brunes, blondes et rousses,
        Que le nombre infini des feuilles dans les bois!

        O pourpres et blancheurs! neiges et rosiers! L’une,
        En découvrant son sein plus blanc que la Jung-Frau,
        Cause avec Cyrano, qui revient de la lune,
        L’autre prend une glace avec Cagliostro.

        C’est le pays de fange et de nacre de perle;
        Un tréteau sur les fûts du cabaret prochain,
        Spectacle où les décors sont peints par Diéterle,
        Cambon, Thierry, Séchan, Philastre et Despléchin;

        Un théâtre en plein vent, où, le long de la rue,
        Passe, tantôt de face et tantôt de profil,
        Un mimodrame avec des changements à vue,
        Comme ceux de Gringore et du céleste Will.

        Là, depuis Idalie, où Cypris court sur l’onde
        Dans un coupé de nacre attelé d’un dauphin,
        Vous voyez défiler tous les pays du monde
        Avec un air connu, comme chez Séraphin.

        La Belle au bois dormant, sur la moire fleurie
        De la molle ottomane où rêve le chat Murr,
        Parmi l’air rose et bleu des feux de la féerie
        S’éveille après cent ans sous un baiser d’amour.

        La Chinoise rêveuse, assise dans sa jonque,
        Les yeux peints et les bras ceints de perles d’Ophir,
        D’un ongle de rubis rose comme une conque
        Agace sur son front un oiseau de saphir.

        Sous le ciel étoilé, trempant leurs pieds dans l’onde
        Que parfument la brise et le gazon fleuri,
        Et d’un bois de senteur couvrant leur gorge blonde,
        Dansent à s’enivrer les bibiaderi.

        Là, belles des blancheurs de la pâle chlorose,
        Et confiant au soir les rougeurs des aveux,
        Les vierges de Lesbos vont sous le laurier-rose
        S’accroupir dans le sable et causer deux à deux.

        La reine Cléopâtre, en sa peine secrète,
        Fière de la morsure attachée à son flanc,
        Laisse tomber sa perle au fond du vin de Crète,
        Et sa pourpre et sa lèvre ont des lueurs de sang.

        Voici les beaux palais où sont les hétaïres,
        Sveltes lys de Corinthe et roses de Milet,
        Qui, dans des bains de marbre, au chant divin des lyres,
        Lavent leurs corps sans tache avec un flot de lait.

        Au fond de ces séjours à pompe triomphale,
        Où brillent aux flambeaux les cheveux de maïs,
        Hercule enrubanné file aux genoux d’Omphale,
        Et Diogène dort sur le sein de Laïs.

        Salut, jardin antique, ô Tempé familière
        Où le grand Arouet a chanté Pompadour,
        Où passaient avant eux Louis et La Vallière,
        La lèvre humide encor de cent baisers d’amour!

        C’est là que soupiraient aux pieds de la dryade,
        Dans la nuit bleue, à l’heure où sonne l’angelus,
        Et le jeune Lauzun, fier comme Alcibiade,
        Et le vieux Richelieu, beau comme Antinoüs.

        Mais ce qui me séduit et ce qui me ramène
        Dans la verdure, où j’aime à soupirer le soir,
        Ce n’est pas seulement Phyllis et Dorimène,
        Avec sa robe d’or que porte un page noir.

        C’est là que vit encor le peuple des statues
        Sous ses palais taillés dans les mélèzes verts,
        Et que le choeur charmant des Nymphes demi-nues
        Pleure et gémit avec la brise des hivers.

        Les Naïades sans yeux regardent le grand arbre
        Pousser de longs rameaux qui blessent leurs beaux seins,
        Et, sur ces seins meurtris croisant leurs bras de marbre,
        Augmentent d’un ruisseau les larmes des bassins.

        Aujourd’hui les wagons, dans ces steppes fleuries,
        Devancent l’hirondelle en prenant leur essor,
        Et coupent dans leur vol ces suaves prairies,
        Sur un ruban de fer qui borde un chemin d’or.

        Ailleurs, c’est le palais où Diane se dresse
        Ayant sur son front pur la blancheur des lotus,
        Pour lequel Titien a donné sa maîtresse,
        Où Phidias a mis les siennes, ses Vénus!

        Et maintenant, voici la coupole féerique
        Où, près des flots d’argent, sous les lauriers en fleurs,
        Le grand Orphée apporte à la Grèce lyrique
        La lyre que Sappho baignera dans les pleurs.

        O ville où le flambeau de l’univers s’allume!
        Aurore dont l’oeil bleu, rempli d’illusions,
        Tourné vers l’Orient, voit passer dans sa brume
        Des foyers de splendeur étoilés de rayons!

        Ce théâtre en plein vent bâti dans les étoiles,
        Où passent à la fois Cléopâtre et Lola,
        Où défile en dansant, devant les mêmes toiles,
        Un peuple chimérique en habit de gala;

        Ce pays de soleil, d’or et de terre glaise,
        C’est la mélodieuse Athènes, c’est Paris,
        Eldorado du monde, où la fashion anglaise
        Importe deux fois l’an ses tweeds et ses paris.

        Pour moi, c’est dans un coin du salon d’Aspasie,
        Sur l’album éclectique où, parmi nos refrains,
        Phidias et Diaz ont mis leur fantaisie,
        Que je rime cette ode en vers alexandrins.

        #145930
        VictoriaVictoria
        Participant

          La Voyageuse

          I


          Au temps des pastels de Latour,
          Quand l’enfant-dieu régnait au monde
          Par la grâce de Pompadour,
          Au temps des beautés sans seconde ;

          Au temps féerique où, sans mouchoir,
          Sur les lys que Lancret dessine
          Le collier de taffetas noir
          Lutte avec la mouche assassine ;

          Au temps où la Nymphe du vin
          Sourit sous la peau de panthère,
          Au temps où Wateau le divin
          Frète sa barque pour Cythère ;

          En ce temps fait pour les jupons,
          Les plumes, les rubans, les ganses,
          Les falbalas et les pompons ;
          En ce beau temps des élégances,

          Enfant blanche comme le lait,
          Beauté mignarde, fleur exquise,
          Vous aviez tout ce qu’il fallait
          Pour être danseuse ou marquise.

          Ces bras purs et ce petit corps,
          Noyés dans un frou-frou d’étoffes,
          Eussent damné par leurs accords
          Les abbés et les philosophes.

          Vous eussiez aimé ces bichons
          Noirs et feu, de race irlandaise,
          Que l’on porte dans les manchons
          Et que l’on peigne et que l’on baise.

          La neige au sein, la rose aux doigts,
          Boucher vous eût peinte en Diane
          Montrant sa cuisse au fond du bois
          Et pliant comme une liane,

          Et Clodion eût fait de vous
          Une provocante faunesse
          Laissant mûrir au soleil roux
          Les fruits pourprés de sa jeunesse !

          Car sur les lèvres vous avez
          La malicieuse ambroisie
          De tous ces paradis rêvés
          Au siècle de la fantaisie,

          Et, nonchalante Dalila,
          Vous plaisez par la morbidesse
          D’une nymphe de ce temps-là,
          Moitié nonne et moitié déesse.

          Vos cheveux aux bandeaux ondés
          Récitent de leur onde noire
          Des madrigaux dévergondés
          A votre visage d’ivoire,

          Et, ravis de ce front si beau,
          Comme de vertes demoiselles,
          Tous les enfants porte-flambeau
          Vous suivent en battant des ailes.

          Tous ces petits culs-nus d’Amours,
          Groupés sur vos pas, Caroline,
          Ont soin d’embellir vos atours
          Et d’enfler votre crinoline,

          Et l’essaim des Jeux et des Ris,
          Doux vol qui folâtre et se joue,
          Niche sous la poudre de riz
          Dans les roses de votre joue.

          Vos sourcils touffus, noirs, épais,
          Ont des courbes délicieuses
          Qui nous font songer à la paix
          Sous les forêts silencieuses,

          Et les écharpes de vos cils
          Semblent avoir volé leurs franges
          A la terre des alguazils,
          Des manolas et des oranges.

          II

          Au fait, vous avez donc été,
          Loin de nos boulevards moroses,
          Pendant tout ce dernier été,
          Sous les buissons de lauriers-roses ?

          Le fier soleil du Portugal
          Vous tendait sa lèvre obstinée
          Et faisait son meilleur régal
          Avec votre peau satinée.

          Mais vous, tordant sur l’éventail
          Vos petits doigts aux blancheurs mates
          Vous découpiez Scribe en détail
          Pour les rois et les diplomates ;

          Et, digne d’un art sans rivaux,
          Pour charmer les chancelleries,
          Vous avez traduit Marivaux
          En mignonnes espiègleries.

          C’est au mieux! L’astre des cieux clairs
          Qui fait grandir le sycomore
          Vous a donné des jolis airs
          De Bohémienne et de More.

          Vous avez pris, toujours riant,
          Dans cet éternel jeu de barres,
          La volupté de l’Orient
          Et le goût des bijoux barbares,

          Et vous rapportez à Paris,
          Ville de toutes les décences,
          Les molles grâces des houris
          Ivres de parfums et d’essences.

          C’est bien encor! même à Turin
          Menez Clairville, puisqu’on daigne
          Nous demander un tambourin
          La-bàs, chez le roi de Sardaigne.

          Mais pourtant ne nous laissez pas
          Nous consumer dans les attentes !
          Arrêtez une fois vos pas
          Chez nous, et plantez-y vos tentes.

          Tout franc, pourquoi mettre aux abois
          Cet Éden, où le lion dîne
          Chaque jour de la biche au bois
          Et soupe de la musardine ?

          Valets de coeur et de carreau
          Et boyards aux fourrures d’ourses,
          Loin de vous, sachez-le, Caro,
          Tout s’ennuie, au bal comme aux courses.

          Vous nous disputez les rayons
          Avec des haines enfantines,
          Et jamais plus nous ne voyons
          Que les talons de vos bottines.

          Songez-y! Vous cherchez pourquoi
          Ma muse, qui n’est pas méchante,
          M’ordonne de me tenir coi
          Et ne veut plus que je vous chante ?

          C’est que vos regards inhumains
          Ont partout des intelligences,
          Et tout le long des grands chemins
          Vont arrêter les diligences.

          #145931
          VictoriaVictoria
          Participant

            Les Torts du cygne


            Comme le Cygne allait nageant
            Sur le lac au miroir d’argent,
            Plein de fraîcheur et de silence,
            Les Corbeaux noirs, d’un ton guerrier,
            Se mirent à l’injurier
            En volant avec turbulence.

            Va te cacher, vilain oiseau !
            S’écriaient-ils. Ce damoiseau
            Est vêtu de lys et d’ivoire !
            Il a de la neige à son flanc !
            Il se montre couvert de blanc
            Comme un paillasse de la foire!

            Il va sur les eaux de saphir,
            Laid comme une perle d’Ophir,
            Blanc comme le marbre des tombes
            Et comme l’aubépine en fleur !
            Le fat arbore la couleur
            Des boulangers et des colombes !

            Pour briller sur ce promenoir,
            Que n’a-t-il adopté le noir !
            Un fait des plus élémentaires,
            C’est que le noir est distingué.
            C’est propre, c’est joli, c’est gai ;
            C’est l’uniforme des notaires.

            Cuisinier, garde ton couteau
            Pour ce Gille, cher à Wateau !
            Accours! et moi-même que n’ai-je
            Le bec aigu comme un ciseau
            Pour percer le vilain oiseau
            Barbouillé de lys et de neige !

            Tel fut leur langage. A son tour
            Dans les cieux parut un Vautour
            Qui s’en vint déchirer le Cygne
            Ivre de joie et de soleil ;
            Et sur l’onde son sang vermeil
            Coula comme une pourpre insigne.

            Alors, plus brillant que l’Oeta
            Ceint de neige, l’oiseau chanta,
            L’oiseau que sa blancheur décore ;
            Il chanta la splendeur du jour,
            Et tous les antres d’alentour
            S’emplirent de sa voix sonore.

            Et l’Alouette dans son vol,
            Et la Rose et le Rossignol
            Pleuraient le Cygne. Mais les Anes
            S’écrièrent avec lenteur :
            Que nous veut ce mauvais chanteur ?
            Nous avons des airs bien plus crânes.

            Il chantait toujours. Et les bois
            Frissonnants écoutaient la voix
            Pleine d’hymnes et de louanges.
            Alors, d’autres êtres ailés
            Traversèrent les cieux voilés
            D’azur. Ceux-là, c’étaient des Anges.

            Ces beaux voyageurs, sans pleurer,
            Regardaient le Cygne expirer
            Parmi sa pourpre funéraire,
            Et, vers l’oiseau du flot obscur
            Tournant leur prunelle d’azur,
            Ils lui disaient : Bonsoir, mon frère.

            #142109
            VictoriaVictoria
            Participant
            5 sujets de 1 à 5 (sur un total de 5)
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