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- 1 janvier 2008 à 18h40 #145314
AUGUSTIN (Saint) – Sur le temps
Traduction : Louis Ignace Moreau (1864).
Confessions, Livre XI
Chapitre XIV : Qu’est-ce que le temps ?
[…] Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore. Et pourtant j’affirme hardiment, que si rien ne passait, il n’y aurait point de temps passé ; que si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir, et que si rien n’était, il n’y aurait point de temps présent. Or, ces deux temps, le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ? Pour le présent, s’il était toujours présent sans voler au passé, il ne serait plus temps ; il serait l’éternité. Si donc le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé, comment pouvons-nous dire qu’une chose soit, qui ne peut être qu’à la condition de n’être plus ? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce qu’il tend à n’être pas ?1 janvier 2008 à 18h41 #145315Chapitre XV : Quelle est la mesure du temps ?
Et cependant nous disons qu’un temps est long et qu’un temps est court, et nous ne le disons que du passé et de l’avenir ; ainsi, par exemple, cent ans passés, cent ans à venir, voilà ce que nous appelons longtemps ; et, peu de temps : dix jours écoulés, dix jours à attendre. Mais comment peut être long ou court ce qui n’est pas ? car le passé n’est plus, et l’avenir n’est pas encore. Cessons donc de dire : Ce temps est long ; disons du passé : il a été long ; et : il sera long, de l’avenir.
Seigneur mon Dieu, ma lumière, votre vérité ne se moquera-t-elle pas de l’homme qui parle ainsi ? Car ce long passé, est-ce quand il était déjà passé qu’il a été long, ou quand il était encore présent ? En effet, il n’a pu être long que tant qu’il fut quelque chose qui pût être long. Mais, passé, il n’était déjà plus ; et comment pouvait-il être long, lui qui n’avait plus d’être ? Ne disons plus donc : Le passé a été long : car nous ne retrouverons pas ce qui a été long, puisque du moment où il passe, il n’est plus. Disons : Ce temps présent a été long, car il était long en tant que présent. Il ne s’était pas encore écoulé au non-être, il était donc quelque chose qui pouvait être long. Mais aussitôt qu’il a passé, aussitôt il a cessé d’être long, en cessant d’être.
Voyons donc, ô âme de l’homme, si le temps présent peut être long ; car tu as reçu la faculté de concevoir et de mesurer ses pauses.
Que vas-tu me répondre ? Est-ce un long temps que cent années présentes ? Vois d’abord si cent années peuvent être présentes. Est-ce la première qui s’accomplit ? elle seule est présente ; les quatre-vingt-dix–neuf autres sont à venir ; et, partant, ne sont pas encore. Est-ce la seconde ? il en est une déjà passée ; une présente ; le reste est futur. Ainsi de toute année que nous fixerons comme présente dans la révolution d’un siècle ; tout ce qui la devance est passé ; tout ce qui la suit est futur. Cent années ne sauraient donc être présentes. Mais vois si du moins l’année actuelle est elle-même présente. Est-ce son premier mois qui court ? les autres sont à venir. Est-ce le second ? le premier est déjà passé ; le reste n’est pas encore ; ainsi l’année actuelle n’est pas tout entière présente : et, partant, ce n’est pas une année présente ; car l’année, c’est douze mois, dont chacun à Son tour est présent ; le reste, passé ou futur. Et le mois courant, même, n’est pas présent, mais un seul de ses jours. Est-il le premier ? le reste est dans l’avenir. Est-il le dernier ? le reste est dans le passé. Est-il intermédiaire ? il est entre ce qui n’est plus et ce qui n’est pas encore.
Voilà donc ce temps présent que nous avons trouvé le seul qu’on pût appeler long ; le voilà réduit à peine à l’espace d’un jour. Et ce jour même, encore, discutons-le ; non, ce seul jour n’est pas tout entier présent : car il s’accomplit en vingt-quatre heures, douze de jour, douze de nuit, dont la première précède, et la dernière suit toutes les autres, l’intermédiaire suit et précède.
Et cette même heure se compose elle-même de parcelles fugitives. Tout ce qui s’en détache, s’envole dans le passé ; ce qui en reste est avenir. Que si l’on conçoit un point dans le temps sans division possible de moment, c’est ce point-là seul qu’on peut nommer présent. Et ce point vole, rapide, de l’avenir au passé, durée sans étendue ; car s’il est étendu, il se divise en passé et avenir.
Ainsi, le présent est sans étendue. Où donc est le temps que nous puissions appeler long ? Est-ce l’avenir ! Non : car il ne peut être long sans être. Nous disons donc : Il sera long. Mais quand le sera-t-il ? Non sans doute tant qu’il sera avenir, n’étant pas encore, pour être long. Que s’il ne doit être long qu’au moment où, de futur, il commencera d’être ce qu’il n’est pas encore, c’est-à-dire présent, ayant un être, et de quoi être long, n’oublions pas que le présent nous a crié à haute voix : Non, je ne saurais être long.1 janvier 2008 à 18h46 #145316Chapitre XVI : Comment se mesure le temps ?
Et pourtant, Seigneur, nous apercevons bien les intervalles des temps, nous les comparons entre eux, et nous disons les uns plus longs, les autres plus courts ; nous mesurons encore la différence ; nous constatons qu’elle est double, triple, etc., ou nous affirmons l’égalité. Mais notre aperception qui mesure les temps ne mesure que leur passage : car le passé, qui n’est plus, l’avenir, qui n’est pas encore, peuvent-ils se mesurer, à moins que l’on ne prétende que le néant soit mesurable ? Ce n’est donc que dans sa fuite que le temps s’aperçoit et se mesure. Est-il passé ? il n’est point mesurable, car il n’est plus.1 janvier 2008 à 18h47 #145317Chapitre XVII : Ou est le passé, ou est l’avenir ?
Je cherche, ô Père, je n’affirme rien ; mon Dieu, soyez l’arbitre et le guide de mes efforts. Qui oserait me dire qu’il n’existe pas trois temps, comme notre enfance l’a appris, comme nous l’enseignons à l’enfance : le passé, le présent et l’avenir, mais que le présent seul existe, les deux autres n’étant point ? Ou bien faut-il dire qu’ils sont ; et que le temps sort d’une retraite inconnue, quand, de futur, il devient présent, et qu’il rentre dans une autre, également inconnue, quand, de présent, il devient passé ? Car si l’avenir n’est pas encore, où donc l’ont vu ceux qui l’ont prédit ? Ce qui n’est pas peut-il se voir ? Et les narrateurs du passé seraient-ils vrais, si ce passé n’était -visible à leur esprit ? Et pourraient-ils se voir, l’un et l’autre, s’ils n’étaient que pur néant ? Il faut donc que le passé et l’avenir aient un être.1 janvier 2008 à 18h48 #145318Chapitre XVIII : Comment le passé et l’avenir sont présents.
Permettez-moi, Seigneur, de chercher encore. Ô mon espérance, éloignez le trouble de mes efforts. S’il est vrai que l’avenir et le passé soient, où sont-ils ? Si cette connaissance est encore au-dessus de moi, je sais pourtant que, où qu’ils soient, ils n’y sont ni passé, ni futur, mais présent : le futur, comme tel, n’y est pas encore ; le passé, comme tel, n’y est déjà plus. Où donc qu’ils soient, quels qu’ils soient, ils ne sont qu’en tant que présent. Ainsi dans un récit véritable d’événements passés, la mémoire ne reproduit pas les réalités qui ne sont plus, mais les mots nés des images qu’elles ont laissées en passant par nos sens, comme les traces de leurs pas. Mon enfance évanouie est dans le passé, évanoui comme elle. Mais quand j’y pense, quand j’en parle, je revois son image dans le temps présent, parce qu’elle est encore dans ma mémoire.
Est-ce ainsi que se prédit l’avenir ? Est-ce eu présence d’images, messagères de ce qui n’es pas encore ? Mon Dieu, je confesse ici mon ignorance. Mais ce dont je suis certain, c’est que d’ordinaire nous préméditons nos actes futurs ; que cette préméditation est présente, tandis que l’acte prémédité, en tant que futur, n’est pas encore. Notre préméditation commençant à se réaliser, l’acte sera, non plus à venir mais présent.
Quel que soit donc ce secret pressentiment de l’avenir, on ne saurait voir que ce qui est. Or, ce qui est déjà, n’est point à venir, mais présent. Ainsi voit l’avenir, ce n’est pas voir ces réalités futures qui ne sont pas encore, mais peut-être les causes et les symptômes qui existent déjà ; prémices de l’avenir déjà présentes aux regards de la pensée qui, le conçoit ; et cette conception est déjà dans l’esprit, et elle est présente à la vision prophétique.
Une preuve éloquente entre tant de témoignages. Je vois l’aurore et je prédis le lever du soleil. Ce que je vois est présent, ce que je prédis est futur ; non pas le soleil qui est déjà, mais son lever qui n’est pas encore : et si mon esprit ne se l’imaginait, comme au moment où j’en parle, cette prédiction serait impossible. Or, cette aurore, que je vois dans le ciel, n’est pas le lever du soleil, quoiqu’elle le devance, non plus que cette image que je vois dans mon esprit, mais leur présence coïncidente me fait augurer le phénomène futur. Ainsi, l’avenir n’est pas encore ; donc il n’est pas, donc il ne peut se voir ; mais il se peut prédire d’après des circonstances déjà présentes et visibles.1 janvier 2008 à 18h48 #145319Chapitre XIX : De la prescience de l’avenir.
Mais dites, Monarque souverain de votre création, comment enseignez-vous aux âmes les événements futurs ? Ne les avez-vous pas révélés à vos prophètes ? Dites, comment enseignez-vous l’avenir, vous pour qui rien n’est avenir ; ou plutôt comment enseignez-vous ce qui de l’avenir est déjà présent ? Car le néant pourrait-il s’enseigner ? C’est un secret, je le sens, supérieur à mon intelligence ; faible par elle-même , ma vue n’y saurait atteindre (Ps. CXXVIII, 6) ; mais vous serez sa force, si vous voulez, ô douce lumière des yeux de mon âme !1 janvier 2008 à 18h49 #1419681 janvier 2008 à 18h49 #145320Chapitre XX : Quel nom donner aux différences du temps ?
Or, ce qui devient évident et clair, c’est que le futur et le passé ne sont point ; et, rigoureusement, on ne saurait admettre ces trois temps : passé, présent et futur ; mais peut-être dira-t-on avec vérité : Il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de l’avenir. Car ce triple mode de présence existe dans l’esprit ; je ne le vois pas ailleurs. Le présent du passé, c’est la mémoire ; le présent du présent, c’est l’attention actuelle ; le présent de l’avenir, c’est son attente. Si l’on m’accorde de l’entendre ainsi, je vois et je confesse trois temps ; et que l’on dise encore, par un abus de l’usage : Il y a trois temps, le passé, le présent et l’avenir ; qu’on le dise, peu m’importe ; je ne m’y oppose pas : j’y consens, pourvu qu’on entende ce qu’on dit, et que l’on ne pense point que l’avenir soit déjà, que le passé soit encore. Nous avons bien peu de locutions justes, beaucoup d’inexactes ; mais on ne laisse pas d’en comprendre l’intention. - AuteurMessages
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