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- 27 juillet 2013 à 17h20 #14384727 juillet 2013 à 17h20 #156062
La bibliothèque de l’œuvre Nationale des Aveugles, à Bruxelles a pour lectorat des personnes dans l’incapacité de lire un livre ordinaire.
J’y travaille, et j’en bénéficie puisque je suis déficiente visuelle.
Nos rayons regorgent d’ouvrages enregistrés, en grands caractères, en Braille.
Parmi ces derniers, une collection de livres tactiles qui font rêver, amusent ou parfois instruisent les petits comme les grands.Les images se caressent, se sentent, s’écoutent, se manipulent, parlent à tous nos sens.
Régulièrement, le groupe Typhlo & Tactus se réunit pour élire le meilleur livre tactile. En 2006, le premier prix revient à Kristyna Adamkova, une artiste tchèque, pour son oeuvre Rozmanitosti.
Pas de texte. L’imagination se laisse conduire au gré des matériaux à prendre dans les mains, aux formes à découvrir, à la poésie d’une fleur qui s’ouvre délicatement, de la perle glissant le long d’un fil.
Lors de chacune de ses sessions, le Concours Musical International Reine Elisabeth de Belgique, du nom de cette souveraine pleine de talents et d’humanisme, donne l’occasion à un compositeur de musique contemporaine d’assister à la création mondiale d’une de ses œuvres, primée lors d’un concours de compositions non médiatisé.
Lors de la finale de la session 2013 consacrée au piano, ce privilège échut au compositeur français d’origine arménienne Michel Petrossian.
Il allait vivre la création mondiale, suivie de onze interprétations de son concerto intitulé« In the wake of Ea » (Dans le sillage d’Ea).
En voici l’explication donnée dans le site du CMIREB :
« Grâce au déchiffrement de deux tablettes babyloniennes par l’orientaliste belge Marcelle Duchesne-Guillemin, nous connaissons la disposition des cordes
de la lyre babylonienne : cinq devant, et quatre derrière. Ces cordes correspondent par ailleurs aux notes de l’échelle musicale principale. La quatrième
corde, qui est aussi la note la plus importante de la série babylonienne, est décrite de manière très particulière. Alors que toutes les autres sont désignées
par des chiffres, celle-ci comporte une précision : ‘faite par le dieu Ea’. Divinité des eaux souterraines et créateur des arts, Ea est donc situé au coeur
du système musical babylonien, comme un garant d’une certaine permanence.
Une lyre qui se défait sous la pression du temps, et une corde au milieu qui veut maintenir la permanence, de par son lien à Ea, tel est l’emblème de la
musique babylonienne elle-même, immatérielle et ineffable, mais véhiculée par des instruments périssables et des voix qui se sont tues depuis longtemps.
Cette tension est inspiratrice de l’oeuvre.
Le piano, image de la quatrième corde, vit des histoires de renaissances multiples, au rythme d’un mouvement aquatique. Tel un prophète élégant qui se
meut
au travers de courants fluviaux, il lutte par deux moyens (une note répétée et une phrase musicale tantôt verticalisée tantôt étalée) et en deux directions
contraires à l’égard de l’orchestre : en s’opposant, et en cherchant à rallier.
L’orchestre, lyre amplifiée, s’abîme dans la dispersion, mais en est empêché par le piano, corde ‘faite par Ea’, qui lui communique des élans renouvelés
et maintient la volonté de permanence. La forme générale de l’oeuvre procède par défragmentation, à l’image d’une civilisation qui subjugua l’Orient et
dont il ne reste que quelques éclats de splendeurs découverts au gré des fouilles, sur une terre toujours agitée ».
Les douze interprétations de cette œuvre m’ont immanquablement ramenée à Rozmanitosti.
Aussi, par une chaude après-midi, alors que retentit l’introduction linéaire de ce concerto, j’ouvre le livre et je prends le petit rond de velours au bout d’une ficelle attachée à la reliure, la corde de ma lyre…
L’aventure peut commencer…
Le piano et les perles, le violon et les plumes, la clarinette et les formes en papier plastifié… le sillage d’Ea et l’invitation au voyage exprimée dans ce mot Rozmanitosti s’entremêlent, puis se séparent, se retrouvent, s’éloignent pour s’harmoniser de plus belle après quelques mesures. Une petite brise fraîche s’ajoute à la partition… Les grains de sable coincés dans la page frémissent quand je la tourne.
La musique contemporaine me donne une notion d’immensité visuellement absente.
Uni à ces couleurs nouvelles, mon plaisir de toucher s’intensifie.
Ma soif d’en goûter davantage sur les disciplines artistiques de mes deux guides aussi.
Ils ont conduit mes pas comme de vrais amis dans cet univers tactilomusical, alors, lecteur, s’il te plaît, me permettras-tu de les remercier de cette façon dans leur langue maternelle respective :
Chenorhagal èm, Michel !
Děkuji, Kristyna !
Dites… A quand la prochaine chasse au trésor ?
29 juillet 2013 à 9h41 #156064Voilà donc un joli pays, ce pays tactilomusical, inconnu à beaucoup d'entre nous. Merci de nous en avoir touché un mot et … avec tant de grâce.
Bruissement
29 juillet 2013 à 20h44 #156065Merci Bruissement pour ta gentille réponse !
30 août 2013 à 16h23 #156149Ce que vous écrivez, Daisycassette-Linda, est merveilleusement beau, beau à en pleurer ! Bruissement a trouvé le mot juste pour exprimer ce que l'on ressent à sa lecture : LA GRÂCE ! En raison des événements tragiques qui se sont produits récemment dans la région de l'antique Babylone, “terre toujours agitée”, du massacre d'innocents et des craintes d'un embrasement généralisé, les échos rafraîchissants de votre brise légère viennent tinter à nos oreilles avec un son étrange, comme des voix d'enfants dans la tourmente, et nous touchent au plus profond de l'âme. MERCI INFINIMENT.
ALAIN
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