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LIVRE 2
Chapitre 2 : Le Pichet de Cidre
Le marché se déroulait à l'air libre, sur une place pavée près de l'église. Chacun y avait sa propre baraque et entre les baraques s'amoncelaient des fromages. On y voyait de vieilles dames en châle bienséant et bonnet de coton qui vendaient les mêmes choses que nous, du beurre, des œufs et de la volaille. Il y avait un étal pour le pain d'épices, un autre pour les petits pâtés, un étal pour les coiffes, un pour les jouets, un autre pour les bibelots tels que des colliers de corail ou des chats en porcelaine, des boucles pour chaussures, des petits sacs garnis de perles. C'était une scène pleine de gaîté, avec du houx brillant, du gui, des fromages tout jaunes au soleil, du pain d'épices aussi marron et collant que les bourgeons du marronnier.
Le boucher se tenait à la porte de son échoppe qui donnait directement sur la place du marché, vantant sa viande tout en brandissant son long couteau étincelant de façon telle, que l'on se demandait si les Français n'étaient pas en train de débarquer. Une femme vendait des pommes de terre chaudes et des côtelettes de porc, et pour amuser le monde, un potier qui mettait sa marchandise aux enchères, en cassait une pièce, il gardait une semblable toute prête, à chaque fois que sonnait l'horloge. Puis vinrent des comédiens qui nous donnèrent un spectacle pendant que dans un coin, le soigneur de bestiaux arrachait des dents pour un penny chacune, sous le regard d'une foule qui se pressait. Avec tous ces gens qui parlaient haut et fort, les artistes qui jouaient leurs saynètes, le cliquetis de la vaisselle cassée, les animaux que l'on entendait bêler ou meugler de la foire voisine sans parler de l'horloge qui carillonnait joliment toutes les demi-heures, vous pouvez vous imaginer dans quel joyeux brouhaha nous étions.
Quand tous nos produits furent vendus, nous allâmes vers le Pichet de Cidre pour le casse-croûte. À ses abords se tenaient assis une douzaine de vieux bougres, bien que le froid fût vif et qu'ils devaient être affamés. Ils avaient tous une chope en étain et ils couinaient dans les aigus:
“Le Seigneur est mon berger, je ne craindrai aucun mal”
Chacun y allait à sa manière et de son propre ton, et j'imaginais bien ce qu'aurait pu être la colère de Beguildy s'il avait entendu comme ils chantaient faux, lui qui était si appliqué sur sa rangée de silex, et qui, se sentait bien embarrassé, quand, en les faisant tinter, il lui arrivait de ne pas rendre la note juste.
Cependant, quand nous approchâmes de ces petits vieux, ils s'arrêtèrent net, leur chope immobile et chacun se retrouva assis, bouche bée et les yeux fixés sur moi. Ils étaient comme les poupées d'un de ces spectacles de marionnettes dont c'est la mode maintenant, qui, au moment où le montreur de marionnettes lache les fils, s'arrêtent brusquement toutes ensemble. Ils étaient assis là, dos à l'auberge, leur vieux visage rouge et veineux dans la lumière pâlotte du soleil, avec une sorte de regard tendu. Comme nous dépassions le banc, ils tournèrent lentement leur tête vers nous, nous regardant de biais, par-dessus le bord de leur chope, comme de jeunes chouettes vous observent en tournant la tête par-dessus leurs plumes.
Alors que nous franchissions le seuil sombre, avec sa porte garnie de clous comme les portes de prison, et pénétrions dans la salle de l'auberge où se trouvaient des gens plus huppés, je remarquais là aussi des regards fixés sur moi mais plus discrètement. Les fermiers, leurs femmes, deux ou trois autres personnes qui étaient arrivées par le coche du matin et qui se restauraient là, le fils du châtelain, pasteur à Silverton qui rentrait chez lui pour Noël et prenait un rafraîchissement en attendant que l'on referre son canasson, tous, me regardaient lentement et précautionneusement mais avec beaucoup de curiosité. Soudain, je compris que tous ces gens, les élégants de l'intérieur ou les vieux de l'extérieur, scrutaient mon bec-de-lièvre. Ils devaient penser selon leur rang social ou leur degré d'instruction:
_ voilà une étrange et peu commune créature,
_ tiens! une femme de foire, pour sûr!
_ probablement une bonne femme qui se transforme en lièvre la nuit!
_ c'est une sorcière une horrible sorcière avec un bec-de-lièvre.
Il se peut que les gens m'avaient regardée de la même façon les deux ou trois fois où j'étais déjà venue à Lullingford, mais alors je n'étais qu'une enfant et ne m'en étais pas aperçu. J'entendais les petits vieux croasser comme des corbeaux et l'un d'eux dit:
“_ Buvons pas tant qu'elle est là. ça nous empoisonnerait les entrailles.”
Un autre dit:
“_ Faut pas regarder c'te mégère, elle peut nous jeter le mauvais œil et on dépérirait jusqu'à c'que mort s'ensuive.”
Les gens à l'intérieur, se lançaient des regards entendus et j'aurais voulu mourir. J'étais toute en sueur, alors que le froid était vif, que je portais une robe fine et que nous étions loin du feu. Pourtant, j'aimais vraiment mes semblables et j'aurais voulu croire qu'ils m'aimaient aussi. J'éprouvais de l'amitié pour les paysans et les notables, pour l'aubergiste et sa dame, parce qu'ils faisaient parti de ma sortie et de Lullingford et du monde, qui avait pris mon cœur dans sa main, comme un enfant tient un petit oiseau qui est à la fois effrayé et réconforté d'être ainsi tenu. J'aurais voulu avoir chevauché plus loin encore et avoir vu d'autres gens, d'autres routes, d'autres hameaux, des enfants tout différents, comme venus du pays des fées, jouant sur l'herbe de villages secrets dont on ne savait comment ils les avaient atteints et y chanter leurs chansons puis s'enfuir dans le crépuscule; de vieilles personnes se seraient promenées le long des sentiers par des prairies dont je n'aurais pas même su à qui elles appartenaient, pour atteindre des églises enfouies dans les arbres, avec toutes les cloches se mettant à sonner, tirées par des hommes inconnus. Ah j'aurais tant aimé qu'il en fût ainsi. Ou tout au moins, que les vieilles gens paraissent aimables à mon passage et que les enfants me sourient ou me lancent des fleurs, et que, me voyant arriver dans une auberge ou une taverne ils me disent: “Approche-toi du feu, chère petite, parce que la nuit est bien avancée”. Ah! comme j'aurais aimé qu'il en fût ainsi.
Le choc de voir le monde réel contre moi, avait été d'autant plus grand, que vivant à l'écart, je ne m'étais pas vraiment rendue compte de mon mal avant. Mais maintenant je savais que j'étais enserrée dans le malheur et le fer comme dit le Livre, prisonnière derrière une porte, à côté de laquelle la grande porte cloutée de l'auberge semblait faite de papier!
Tandis que je me penchais au-dessus de mon assiette pour que ma coiffe pût cacher mes larmes, une femme entra. Elle était d'une beauté comme il y en a peu! Elle était souple comme une baguette, vêtue d'une longue redingote rouge et d'un chapeau assorti, sur la masse de ses cheveux châtains attachés par un ruban. Ses yeux noirs étaient sans âme, mais pourvus d'étincelles, comme ceux des chats par une nuit glacée. Elle entra, mains gantées et éperons aux bottes, riant encore d'une conversation qu'elle venait d'avoir avec les petits vieux sur le banc.
_ “Un balai, aubergiste! “dit-elle. “Il nous faut un balai par ici”
Tout le monde se mit à sourire et ricaner quelque peu. Je sus parfaitement ce qu'elle voulait dire, car Mère me recommanda un jour, si quelqu'un se mettait à parler de balais, mieux valait pour moi, partir, parce que c'était-là une façon de dire que j'étais une sorcière.
Or, Gideon ne remarqua rien, puisque n'étant pas défiguré comme je l'étais, il n'avait jamais cela à l'esprit et étant habitué à moi, l'idée ne lui venait pas que d'autres pouvaient ne pas l'être. De plus il était plongé dans son dilemme, valait-il mieux choisir Jancis ou la grande maison avec servantes et serviteurs. C'est ainsi qu'il ne prêta pas attention à la scène.
La dame courut vers le fils du châtelain et lui tapa sur l'épaule, il se sentit offensé dans sa dignité et fronça les sourcils tandis qu'elle disait:
“_ Alors te voilà venu pour la Noël comme un bon gars! Qui est donc cette femme au bec-de-lièvre?
D'un geste, il l'engagea à parler plus bas tout en lui désignant discrètement de la tête la présence de Gideon.
_ Quoi, quelle surprise, n'est-ce pas le jeune Sarn de Sarn! dit-elle, rougissant un peu tout en traversant vivement la salle vers Gideon, qui était superbe dans sa veste bleue aux boutons de cuivre dont une manche portait le brassard noir en signe de deuil pour Père, et dont les yeux brillaient encore de la pensée de Jancis. Je lui donnai un petit coup de coude et il se leva ce qui le fit paraître encore plus à son avantage tant il avait une belle stature.
Elle lui tendit la main, parce que la petite noblesse restait toujours amicale avec les fermiers, surtout en période d'élection, et le regardant de ses beaux yeux noirs étincelants, elle lui dit:
_ les élections approchent et Père a du travail pour vous Sarn. Ce serait bien que vous passiez nous voir un de ces jours pour souper si votre chérie peut vous laisser quelques instants.
Elle me regarda avec beaucoup de mépris. Visiblement, elle supposait que Gideon était fils unique, et décida de me prendre pour une de ses relations, à moins qu'elle ne le fit que pour se moquer de lui_ le ridiculiser ainsi pouvait être une façon de le dominer.
À ce moment-là Gideon, était tout à fait d'accord politiquement avec le châtelain en raison de la taxe sur le blé, mais il ne s'était pas encore décidé sur le fait d'abandonner ou non tout cela pour s'installer, pour le meilleur et pour le pire avec Jancis et une kyrielle d'enfants jusqu'à ce que la mort les sépare. Si bien qu'il bredouilla quelque peu, et la fille du châtelain, peu habituée à des tergiversations de la part d'un homme du peuple, perdit son sang froid:
“_ Tiens! tiens! Vous n'avez pas le temps Sarn. Vous n'avez pas le temps, je vois cela. Vous allez danser sur la Montagne à la prochaine Saint Thomas, sans doute. Oh, vous aurez bel air, Sarn, avec votre dame que voici sur des balais volant sous le clair de lune!”
Elle éclata d'un rire cassant tandis que Gideon finit par comprendre ce qu'elle avait voulu dire. Il était lent mais inébranlable. Oh, terriblement inébranlable!
C'était un de ces moments dont j'ai parlé, quand Gideon se mettait en colère. Son visage devint sombre et ses yeux eurent le regard comme traversé par les eaux de l'étang, un regard froid, glacial. Il la dévisagea de telle façon qu'elle blêmit et dit très lentement:
“_ M'dame, c'te dame c'est ma sœur. Et si m' prend l'envie de danser sur la montagne avec des sorcières, j'danserais. Si m'prend l'envie de danser au bal avec des filles d'la Haute, je l'ferais. Mais c'est pas vous qu' j'inviterais. Et j'crains de pas pouvoir non plus, voter pour l'châtelain, j'doute qui puisse gouverner une contrée alors qui sait même pas gouverner les femmes d'sa maison, et qui laisse sa fille traîner partout. L'aurait dû vous donner plus de bâton, M'dame”
_ Dorabella, s'écria son frère très irrité qu'elle se fut mise dans un tel guêpier.
Ils sortirent, et Gideon s'assit et repris le cours de son repas. Toute cette affaire ne lui avait pas le moins du monde couper l'appêtit alors que moi, je pus à peine manger un morceau. Dès qu'il se leva pour aller acheter des bœufs, je me hâtai de quitter l'endroit.
J'avais beaucoup d'achats à faire comme du malt, du sucre et du thé, et puis des chaussures pour nous tous, ainsi que le cadeau pour Tivvy, et un peu de tabac pour Gideon, parce que s'il était rapiat pour les autres il l'était aussi pour lui. Quand j'eus tout acheté avec en plus deux ou trois choses pour Noël, puis tout rangé dans les paniers, Gideon était prêt à voir la maison. Il était satisfait de ses bestiaux. C'étaient des longhorns mouchetés très vigoureux. Avec si peu de gens qui utilisaient encore des bœufs pour les travaux de la ferme, ils étaient devenus vraiment très bon marché. Aussi était-il joyeux, sans qu'il semblât aucunement affecté par mon chagrin. D'ailleurs, comment aurait-il pu savoir que mon cœur saignait à cause de Mademoiselle Dorabella et des petits vieux sur le banc? S'il s'était mis en colère, c'était pour le désagrément qu'il ressentait, lui, de ce qu'on pût parler d'un bec-de-lièvre touchant un membre de sa famille, en évoquant, par-dessus le marché, des relents de sorcière. Mais à moi, il ne pensait pas plus que s'il ce fût agit d'un de ses nouveaux bœufs, que quelqu'un eût apostrophé en passant. Il sifflotait doucement tandis que nous avancions sur le chemin qui conduisait à la maison qui occupait son esprit. Je n'avais jamais pris ce chemin-là, qui se trouvait en dehors de la ville sur la route opposée à la nôtre, et quand nous venions nous n'avions guère le temps de visiter les alentours. Rapidement, nous quittâmes la route carrossable pour nous trouver sur un sentier rempli de profondes ornières gelées et bordé de hauts buissons tout blancs de givre.
La soirée avançait de plus en plus, mais Gideon dit que cela importait guère, que nous allions très bien nous débrouiller avec les bêtes parce qu'il ferait aussi clair qu'en plein jour quand la lune se lèverait. Je voyais bien qu'il était très attaché à cette maison et j'acceptais tout ce qu'il demandait, car jamais je n'ai voulu gâcher le plaisir de qui que ce soit. Il y en a déjà si peu en ce monde, et comme Dieu le sait, Gideon était de ceux qui en goûtait le moins. Aussi, quand après cela, Gideon décida de m'offrir une tasse de thé, au Pichet de Cidre, pour que l'on puisse avoir une conversation au sujet de tout ce que nous aurions à faire, sans que mère fût là, je ne m'y suis point opposée, et pourtant, j'aurais préféré affronter l'enfer que ce lieu.
Mais Gideon voulait parler tant qu'il se sentait encore libre, avant que le profond silence de Sarn ne reprenne possession de lui. Car c'était là une chose bien singulière, que, quand vous étiez à Sarn, le cœur ne pouvait plus s'épancher et je n'ai jamais su quelle en pouvait être la raison, cela venait-il de ces grands arbres pleureurs, ou de cette lourde torpeur qui vous envahissait d'être si près de l'eau, ou de la vieille maison pleine des souvenirs de ses anciens hôtes et remplie de leurs pressentiments. Toujours est-il que là-bas, Gideon, gardait ses pensées, les tournant et les retournant dans son esprit, comme on fait une boule de neige jusqu'à ce qu'elle devienne trop lourde à lancer par six hommes robustes et largement assez volumineuse pour ensevelir quelqu'un.
Nous franchîmes une grille et fûmes sur une chaussée carrossable. Au bout de celle-ci se trouvait une autre grille, somptueuse, dont les piliers portaient des boules. Entre ces deux grilles la chaussée s'incurvait, bordée de rangées de fleurs soigneusement entretenues.
Nous restâmes là, regardant, à travers les grilles en fer forgé, l'endroit qui selon Gideon devait être le nôtre. C'était une maison neuve, construite après la mort de la reine Anne, une imposante bâtisse, bien solide, avec quatre fenêtres de chaque côté de la porte laquelle était surmontée d'un porche de pierre. Au-dessus de ces huit fenêtres, il s'en trouvait huit autres et au-dessus de ces dernières, huit lucarnes qui correspondaient, aux dires de Gideon, aux mansardes des serviteurs et des servantes. Quelques marches permettaient d'atteindre la porte. On apercevait également, un petit pavillon de pierre muni d'un escalier, le jardin clos de murs sur un côté et un pigeonnier rond.
Il n'y avait pas de lumière aux fenêtres, ce qui accentuait l'air mélancolique de cette maison déjà si obscure et silencieuse dans l'ombre de ses arbres immobiles.
“_ J'aurais aimé de la lumière dis-je
_ Bon sang une lumière? Y fait pas noir à c't'heure-ci, j'veux dire vraiment noir. Qu'ont-ils besoin d'une lumière? La maîtresse de maison peut filer à la clarté du feu, j'suppose, et le vieux bougre peut s'asseoir au coin de la cheminée et se plonger dans une réflexion sur l'au-delà sans gaspiller une chandelle, et encore moins une bougie!”
Apparemment Gideon s'était déjà affranchi de toute retenue et j'étais pliée de rire.
“_ Tu sembles bien pressé que le pauvre homme réfléchisse à l'au-delà” dis-je
_ Oui, bien sûr, mais pas trop tôt. Y'a pas besoin que le vieux bougre s'éteigne comme un lumignon avant qu'on ait amasser l'argent. Disons dans dix ans.
_ Alors il faut qu'il commande son cercueil pour dans dix ans, pauvre homme!
_ Te voilà bien malicieuse aujourd'hui Prue, dit-il, mais il est bien obligé de partir un jour, y peut pas y couper. Nous attendrons notre moment.
_C'est bien le grand-oncle de mamzelle Dorabella, pas vrai?
_ Oui
_ Ne voudront-ils pas la maison pour le jeune Monsieur Camperdine?
_ Oh que non! Il a en vu un palais d'évêque!
_ ou alors pour son cousin?
_ Mais non! Il peut pas tenir en place ce gars! Une pierre qui roule, voilà ce qu'il est! Ce sera mis aux enchères, quand le vieil homme partira, et toi et moi devrons avoir l'argent tout prêt.
_ Oh! regarde une lumière! dis-je
_ Où ça?
_ Ben là à la fenêtre du bas, côté du jardin”
Je la voyais fort bien, cette grande lumière pâle qui déambulait d'une fenêtre à l'autre au rez-de-chaussée, puis glissait lelong d'une haute croisée qui devait éclairer un escalier, et revenait à l'étage supérieur. Une fenêtre brillait durant une minute puis sombrait dans l'obscurité tandis qu'une autre s'éclairait. Elle donnait l'impression très étrange de ne pas être satisfaite, errant ainsi de lieu en lieu. Il n'y a rien de plus rassurant qu'une lumière stable, mais une lumière intermittente qui va et vient dans le vide est une chose bien triste à voir. Cela continua ainsi un bon moment tandis que le froid s'intensifiait. Il n'y avait pas le moindre son. Nous étions là comme des mendiants derrière la grille tandis que la lumière inquiète errait dans le noir. Tout à coup elle disparut.
” _ elle est partie dis-je, pauvre de moi!
_ qu'est-ce que tu racontes? dit Gideon.
_ Je voulais qu'elle s'arrête et se repose à une fenêtre et qu'elle y brille chaleureusement, dis-je mais maintenant voilà qu'elle n'est plus”
Qu'elle ait disparu me mettait dans une grande détresse, si bien que je me tordais les mains glacées, sans pourtant comprendre pourquoi cela m'affectait tant.
_ c'était probablement la maîtresse de maison qui voulait retrouver ses aiguilles à tricoter ou bien le vieux Camperdine qui cherchait sa boîte à tabac. Ayant mis la main dessus, ils ont éteint. Rien de plus sensé!
_ Non, m'écriai-je, non, c'était l'amour qui voulait se fixer et éclairer alentour. Mais la maison n'a pu le supporter. L'obscurité y est enfermée maintenant. La lumière a été rejetée.
Et je me mis à pleurer, ce qui était stupide. Mais Gideon ne fut pas si irrité qu'il aurait pu l'être, les bœufs et la maison l'avaient rendu de bonne humeur.
_ Tu dois être bien fatiguée, Prue, dit-il, parce que d'habitude tu pleurniches pas comme un bébé. Allons maintenant prendre le thé, et j'te dirai ce que j'ai à l'esprit. J'ai un truc à t'dire parce que voir la maison de Camperdine m'a fait changé d'avis et j'dois te parler de mes nouveaux plans comme j'ai fait pour les premiers.
Nous nous détournâmes de la grille close sourde comme une pierre et laissâmes les vingt-quatre fenêtres dépourvues de lumière, ainsi que les arbres sombres qui ne bruissaient d'aucun souffle d'air, perdus là dans l'immensité de la nuit.