Répondre à : (O) AHIKAR – La Pseudépigraphie chez les Indiens

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#155834
AhikarAhikar
Participant


    Bonjour,

    Je souhaiterais lire le Pañcatantra, livre troisième, La guerre des corbeaux et des hiboux, dans la traduction d’Édouard Lancereau (1819-1895), auquel j’aimerais joindre une étude réalisée en 2010 où j’explique notamment pourquoi  – à mon avis – le Pañcatantra a été écrit par Cāṇakya (~350, ~ 283 av. J.-C.) fin IV, début IIIe siècle avant notre ère.

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57732823

    Ce texte paraîtra peut-être rébarbatif à certains, mais pourrait intéresser quelques passionnés.

    Je remercie par avance ceux qui auront la patience de le lire.

    En espérant qu’il sera retenu.

    Cordialement,

    Ahikar

     

    ————–

     

    Bonsoir,

    Je viens de me rendre compte que deux polices sanscrites sont nécessaires pour que le texte s’affiche correctement : la police Translit 98 et la Sanskrit Garamond. La plupart des ordinateurs ne les possédant pas nativement, j’ai effectué des modifications qui permettront je l’espère à tous de lire le texte correctement.

    J’ai également déposé le texte au format PDF à l’adresse ci-dessous :

    http://www.archive-host.com/files/2006312/174defdb0aacefc9907034a01f919dd72ab5faeb/Ahikar_-_La_pseudepigraphie_chez_les_Indiens.pdf

    Avec toutes mes excuses pour ce désagrément,

    Ahikar

     

     

    La pseudépigraphie chez les Indiens

     

     

     

     

    Je ne pense pas qu’il faille regarder l’Arthaśāstra comme un tableau politique de l’Inde sous Candragupta. Je pense plutôt que Cāṇakya a écrit ce traité en vue des générations futures pour préserver l’Inde des invasions, pour lui éviter de tomber sous les griffes de conquérant comme Alexandre le Grand. Si Cāṇakya est né vers 350 et a fait ses études à Taxila, on peut imaginer l’effroi du jeune homme lorsqu’en 326 Alexandre le Grand entre dans la ville et s’en empare. On peut même penser que c’est l’invasion de l’Inde par Alexandre le Grand qui a orienté la pensée de Cāṇakya vers la politique. Comme beaucoup de génies avant ou après lui, il fait œuvre de circonstance. L’œuvre de Goethe aurait-elle été la même si Napoléon avait envahi l’Allemagne vers 1770 ? Certainement pas.

    Je pense que Cāṇakya a écrit l’Arthaśāstra dans la ou les décennies qui ont suivi l’invasion d’Alexandre le Grand. Tout a dû se faire très vite. Il y avait urgence. Alexandre le Grand ne venait-il pas de brûler les somptueux palais de Persépolis ou de raser complètement la ville de Thèbes ? Qu’en serait-il alors de l’Inde ? Le pire fléau que l’humanité ait jamais porté était en marche. Cāṇakya a écrit l’Arthaśāstra pour contrer Alexandre le Grand. Il propose ses services aux Nanda qui les refusent. Il va alors favoriser l’accession au trône de Candragupta, qui d’après la légende aurait été le fils que le dernier des Nanda aurait eu avec une śūdra. Une fois Candragupta sur le trône, il va alors mettre en place sa politique. Et avec quelle réussite, puisqu’elle se soldera en 303 par un traité de paix avec Séleucos où celui-ci rendit aux Maurya les territoires en-deçà de l’Indus. Aux historiens qui voient dans l’Arthaśāstra une œuvre d’une grande maturité de réflexion précédée d’une lente et longue élaboration, je ne répondrai qu’une chose : Tocqueville a écrit De la démocratie en Amérique alors qu’il n’avait pas 30 ans, et pourtant quel ouvrage extraordinaire ! Pour moi, il s’agit d’un écrit événementiel, c’est-à-dire lié à un événement déterminant. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Cāṇakya a choisi d’appeler son personnage principal Kauilya, qui signifie le retors. En choisissant de l’appeler ainsi, il nous dit deux choses : d’une part qu’il n’est pas le personnage, puisqu’il a parfaitement conscience du côté retors de son personnage, d’autre part qu’il va nous présenter une pensée dont seule la réussite finale lui importe, au détriment de la morale. Il va nous présenter une pensée qui se situe en dehors d’un cadre théologique et moral. Il avait parfaitement conscience que face à un conquérant comme Alexandre le Grand, il fallait une réponse adaptée et que la religion ne leur serait pas d’un très grand secours. Il n’est d’ailleurs pas impossible du tout que Cāṇakya se soit inspiré d’Alexandre le Grand lui-même pour créer son personnage.

    L’Arthaśāstra ne nous donne donc pas à voir un tableau de l’empire Maurya sous Candragupta, puisqu’il a été pensé et conçu comme un programme à mettre en place et à réaliser. Dans quelle mesure celui-ci a-t-il pu être réalisé, ce serait difficile à dire. De même que Cāṇakya a créé le personnage de Kauilya, il pose encore différents personnages fictifs comme Bhāradvāja, Viśālāka, Piśuna ou encore Kauapadanta, pour faire l’exposé des différentes théories qui pourraient lui être opposées, et ce, pour mieux ensuite les réfuter à travers la bouche de son personnage principal.

     

     Quand la guerre a lieu, un prince doit regarder comme du bois sec des serviteurs même qu’il aime comme sa vie, qu’il protège et qu’il chérit.

    Et ainsi :

    Qu’il conserve toujours ses serviteurs comme sa vie, qu’il les nourrisse comme son corps, pour un seul jour où a lieu la rencontre de l’ennemi.

     

    Ces stances ne sont pas tirées de l’Arthaśāstra, mais du Pañcatantra (Livre III, la guerre des corbeaux et des hiboux). Le Pañcatantra est un prolongement de l’Arthaśāstra. L’Arthaśāstra et le Pañcatantra sont trop proches pour être de deux génies différents. La singularité extrême de la pensée de Cāṇakya ne se retrouve chez aucun autre grand génie de la littérature universelle. C’est ce qui me fait dire que nous sommes en présence du même auteur. Derrière Viṣṇugupta, Viṣṇuśarman ou encore Kauilya il y a Cāṇakya. Pourquoi Cāṇakya aurait-il créé tous ces personnages ? La raison fondamentale est l’extrême rareté du génie, il y en a rarement plus d’un par siècle. Or, une des particularités de la culture indienne est d’avoir posé des lignées de sages. Au VIème siècle avant notre ère, nous voyons à l’intérieur de la Bhad-āraṇyaka-upaniṣad, Yājñavalkya poser les lignées de sages qui ont assuré la transmission du savoir. Or en réalité ceux qui ont réalisé la fusion ātman-brahman sont extrêmement rares. D’où très vite, l’idée de se dédoubler. Ainsi presque tous les génies de l’Inde ont écrit sous différents noms.

    Cette forme de pseudépigraphie a eu un impact considérable. Elle a permis de donner beaucoup plus de poids à l’exposition d’une doctrine. Les génies de l’Inde en écrivant sous différents noms ont ainsi donné l’impression que l’Inde ancienne avait compté une multitude de très grands sages. Or il n’y a pas autant de génies qu’il y a de chefs-d’œuvre. Une étude approfondie des textes nous montre d’ailleurs que nombre de chefs-d’œuvre sont à rapprocher d’une école et d’une période. Par exemple, au IIIème siècle avant notre ère, sous Aśoka, un des plus grands empereurs de l’Inde, on s’attendrait naturellement à trouver en architecture ou en littérature quelques merveilles. Or il n’en est rien, parce que tout simplement aucun penseur de génie n’est apparu sous Aśoka. En revanche, au IIème siècle de notre ère, sous Kanika, un souverain bien moins connu, nombre de chefs-d’œuvre font leur apparition. Nous devons ici rendre hommage à Sylvain Lévi d’avoir réussi à sortir de l’ombre le nom d’Aśvaghoa en lui consacrant nombre de travaux jusqu’à la fin de sa vie. Par l’ampleur de son œuvre Aśvaghoa est bien le Saint Augustin du canon sanscrit. Sylvain Lévi écrit en 1896, dans Notes sur les Indo-Scythes : « L’analogie des procédés entre le Sūtrālaṃkāra et la Jātaka-mālā est également frappante ; l’un et l’autre développent le récit à la manière d’une prédication, en prenant pour thème un texte des livres saints ; l’un et l’autre entremêlent avec goût la prose et les vers ; et même, à travers la version chinoise, apparaît un égal bonheur de style. Si la Jātaka-mālā n’est pas d’Aśvaghoa, elle sort probablement de son école. » Il est clair que le grand indianiste avait vu juste. La Jātaka-mālā est bel et bien une œuvre d’Aśvaghoa écrite sous le nom d’Ārya Śūra. Pour moi, il en va de même pour le Milinda-pañha et le Lalitavistara.


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