Répondre à : LOVECRAFT, Howard Philips – La Chose sur le Seuil

Accueil Forums Textes LOVECRAFT, Howard Philips – La Chose sur le Seuil Répondre à : LOVECRAFT, Howard Philips – La Chose sur le Seuil

#155507
Vincent de l'ÉpineVincent de l’Épine
Maître des clés

    V.

    De nombreuses rumeurs coururent les deux mois suivants. Les gens prétendaient voir Derby de plus en plus souvent dans son état surexcité, et Asenath était rarement présente lorsqu'on lui rendait visite. J'eus une seule visite d'Edward, qui passa me voir rapidement avec la voiture d'Asenath – récupérée de Dieu sait où il l'avait laissée dans le Maine – pour me réclamer des livres qu'il m'avait prêtés. Il était dans son nouvel état, et ne s'arrêta un moment que pour des remarques à la politesse évasive. Il était clair qu'il n'avait rien à me dire quand il était dans ces dispositions – et je remarquai qu'il ne s'était même pas donné la peine de faire le vieux signal – trois coups puis deux coups – lorsqu'il avait sonné à la porte. Comme ce soir-là dans la voiture, je ressentis une horreur vague mais infiniment profonde que je ne pouvais pas expliquer ; si bien que son prompt départ fut un prodigieux soulagement.

    A la mi-septembre Derby était parti pour une semaine, et certains décadents du collège commencèrent à évoquer la question – faisant référence d'un air entendu à une rencontre avec un célèbre chef de culte, récemment expulsé d'Angleterre, et qui avait établi son quartier général à New York. Pour ma part, je ne pouvais sortir de mon esprit cette étrange équipée dans le Maine. La transformation dont j'avais été témoin m'avait profondément affecté, et je me surprenais encore et encore à essayer de comprendre la chose – ainsi que l'extrême horreur qu'elle m'avait inspirée.

    Mais les rumeurs les plus déconcertantes étaient celles qui parlaient de sanglots dans la vieille maison Crowninshield. La voix semblait être celle d'une femme, et certains des plus jeunes pensaient qu'elle ressemblait à celle d'Asenath. On ne l'entendait qu'à de rares moments, et elle s'arrêtait parfois soudainement, comme étouffée de force. On commençait à parler d'une enquête, mais tout se dissipa un jour lorsqu'Asenath apparut dans les rues et discuta d'un air enjoué avec de nombreuses connaissances – s'excusant de sa récente absence et parlent incidemment de la dépression nerveuse et de l'hystérie d'une visiteuse de Boston. L'invitée n'avait jamais été vue, mais la présence d'Asenath ne laissait rien à ajouter. Et puis quelqu'un compliqua les choses en murmurant que les sanglots semblaient une ou deux fois provenir d'une voix d'homme.

    Un soir de la mi-octobre, j'entendis les familiers trois coups – deux coups à la sonnette de la porte d'entrée. Ouvrant moi-même, je trouvai Edward en haut de l'escalier, et je vis tout de suite que sa personnalité était l'ancienne, que je n'avais plus rencontrée depuis le jour de ses délires lors de ce terrible voyage de retour de Chesuncook. Son visage était secoué de spasmes avec un mélange de curieuses émotions où la peur et le triomphe semblaient rivaliser, et il regarda furtivement derrière son épaule tandis que je fermai la porte derrière lui.

    Me suivant maladroitement dans le bureau, il me demanda du Whisky pour affermir ses nerfs. Je brûlais de l'interroger, mais j'attendis qu'il se sente prêt à aborder le sujet dont il souhaitait m'entretenir. Il finit par se lancer, d'une voix étouffée.

    “Asenath est partie, Dan. Nous avons eu une longue discussion la nuit dernière alors que les serviteurs étaient sortis, et je lui ai fait promettre d'arrêter de s'en prendre à moi. Bien sûr j'avais certaines protections – certaines protections occultes dont je ne t'ai jamais parlé. Elle dut se soumettre, mais entra dans une rage terrifiante. Elle a juste fait ses bagages et est partie pour New York – fonçant pour attraper le train de 8 heures 20 pour Boston. Je suppose que les gens vont en parler, mais je n'y peux rien. Tu n'as pas besoin de dire qu'il y a eu des problèmes – dis seulement qu'elle est partie pour un long voyage de recherche.

    Elle va probablement rester avec l'un de ses horribles groupes de fanatiques. J'espère qu'elle ira Dieu sait où et que j'obtiendrai le divorce. Je lui ai fait promettre de rester loin de moi et de me laisser seul. C'était horrible, Dan – elle me volait mon corps – elle m'envahissait, faisant de moi un prisonnier. Je gardais profil bas et donnai l'impression de la laisser faire, mais je devais rester sur le qui-vive. Je pouvais faire des plans si j'étais prudent, car elle ne pouvait pas au sens propre lire dans mes pensées, ou du moins en détail. Tout ce qu'elle pouvait lire de mes préparatifs c'était une sorte d'état d'esprit général de rébellion – et elle pensait toujours que j'étais sans défense. Jamais cru que je pourrais la battre… mais j'avais un sort ou deux qui ont fonctionné.”

    Derby lança un regard derrière son épaule et reprit du Whisky.

    « J'ai payé ces maudits serviteurs ce matin quand ils sont revenus. Ca les a rendus furieux, et ils ont posé des questions, mais ils sont partis. Ils sont de sa race – les gens d'Innsmouth – et étaient cul et chemise avec elle. J'espère qu'il me laisseront tranquille – je n'ai pas aimé la façon dont ils ont ri quand ils sont partis. Je vais essayer de retrouver autant d'anciens serviteurs de Papa que je le pourrai. Je vais retourner à la maison maintenant.

    “Je suppose que tu crois que je suis cinglé, Dan, mais l'histoire d'Arkham laisse entrevoir des faits qui confirment tout ce que je t'ai dit – et ce que je vais te dire maintenant. Tu as vu l'une des transformations, aussi – dans ta voiture après ce que je t'ai dit à propos d'Asenath ce jour où nous revenions du Maine. C'était ce qui arrivait quand elle me prenait – me chassait de mon corps. La dernière chose dont je me souviens c'était que j'étais tout occupé à essayer de te dire quelle diablesse elle est. Alors elle m'a pris, et en un instant j'étais de retour à la maison – dans la bibliothèque où ces damnés serviteurs m'avaient enfermé – et dans ce maudit corps diabolique qui n'est même pas humain… Tu sais que c'était avec elle que tu es rentré à la maison – ce prédateur à l'intérieur de mon corps – Tu as bien dû sentir la différence !”

    Je frissonnai alors que Derby faisait une pause. Bien sûr, j'avais senti la différence – et pourtant pouvais-je accepter une explication aussi folle ? Mais mon visiteur devenait de plus en plus perturbé.

    “Il fallait que je me libère – je le devais, Dan ! Elle m'aurait eu pour de bon à Hallowmass – ils ont tenu un Sabbat là-bas près de Chesuncook, et le sacrifice aurait scellé quelque chose. Elle m'aurait eu pour de bon – elle aurait été moi, et j'aurais été elle – pour toujours – trop tard – mon corps aurait été à elle pour de bon – elle serait devenue un homme, et pleinement humaine, exactement ce qu'elle voulait être – je suppose qu'elle se serait débarrassée de moi – elle aurait tué son ancien corps avec moi dedans, qu'elle soit maudite, tout comme elle l'avait déjà fait auparavant – comme elle l'avait fait, ou comme cela l'avait fait – ” Le visage d'Edward était maintenant atrocement déformé, et il le rapprochait désagréablement du mien tandis que sa voix se terminait en un murmure.

     

    “Il faut que tu saches ce que je voulais dire dans la voiture, qu'elle n'est pas du tout Asenath, mais vraiment le vieil Ephraim lui-même. Je le soupçonnais il y a un an et demi, et maintenant je le sais. Son écriture le montre lorsqu'elle n'y prend pas garde – parfois elle griffonne une note d'une écriture qui est la même que celle des manuscrits de son père, trait pour trait, et parfois elle prononce des paroles que personne ne pourrait prononcer si ce n'est un vieil homme comme Ephraim. Il a changé de corps avec elle quand il a senti venir la mort – elle était la seule qu'il avait pu trouver avec un cerveau approprié et une volonté suffisamment faible – il lui a pris son corps définitivement, comme elle m'a presque pris le mien, puis  il a empoisonné le veux corps dans lequel il l'avait envoyée. N'as-tu pas vu des dizaines de fois l'âme du vieil Ephraim briller dans les yeux de cette diablesse – et dans le miens quand elle prend le contrôle de mon corps ?”

    Ses murmures devenaient un halètement, et il dut s'arrêter pour reprendre son souffle. Je ne dis rien ; et lorsqu'il reprit sa voix était presque normale. Voilà un cas pour l'asile, pensai-je, mais je ne serais pas celui qui l'y enverrait. Peut-être le temps et le fait d'être libéré d'Asenath feront-ils leur œuvre. Je pouvais voir qu'il ne voudrait plus jamais donner dans l'occultisme morbide.

    “Je t'en dirai plus une autre fois – je dois maintenant prendre un long repos. Je te raconterai certaines des horreurs interdites à travers lesquelles elle m'a conduit – à propos des horreurs anciennes qui même maintenant demeurent dans des endroits reculés, maintenues vivantes par quelques prêtres monstrueux. Certaines personnes savent des choses sur l'univers que personne ne devrait savoir, et peuvent faire des choses que personne ne devrait être capable de faire. J'y étais jusqu'au cou, mais c'est fini. Aujourd'hui je brûlerais ce maudit Necronomicon et tout le reste avec si j'étais bibliothécaire à Miskatonic.

    Mais elle ne peut plus me prendre maintenant. Je dois sortir de cette maudite maison dès que je le pourrai, et me réinstaller à la maison. Tu m’aideras, je le sais, si j'en ai besoin. Ces serviteurs démoniaques, tu sais – et si les gens devenaient trop curieux au sujet d'Asenath. Tu vois, je ne peux pas leur donner son adresse… Alors il y a certains groupes de chercheurs – certains cultes, tu sais – qui pourraient ne pas comprendre notre séparation… certains d'entre eux ont des idées et des méthodes diablement curieuses. Je sais que tu seras à mes côtés si quoi que ce soit arrive – même si j'ai à te dire beaucoup de choses qui te choqueront…”

    Je fis rester Edward et il dormit cette nuit-là dans une des chambres d'amis, et au matin il semblait plus calme. Nous discutâmes de certaines dispositions possibles en vue de son déménagement vers le manoir Derby, et je souhaitai qu'il ne perde pas de temps avant de procéder à ce changement. Il ne vint pas le soir suivant, mais je le vis fréquemment dans les semaines qui suivirent. Nous parlions le moins possible de choses étranges et déplaisantes, au contraire nous discutions de la rénovation de l'ancienne maison Derby, et des voyages qu'Edward avait promis de faire avec mon fils et moi l'été suivant.

    Nous ne parlions pratiquement pas d'Asenath, car je vis que le sujet le perturbait particulièrement. Les ragots, bien sûr, allaient bon train ; mais cela n'était pas nouveau en ce qui concernait l'étrange couple de la maison Crowninshield. Une chose qui me déplut, ce fut les allusions un peu trop exubérantes que fit au Club Miskatonic le banquier d'Edward  – à propos de chèques qu'Edward envoyait régulièrement à des dénommés Moses et Abigail Sargent et Eunice Babson à Innsmouth. Il semblait que ces serviteurs au visage maléfique lui extorquaient une sorte de tribut – bien qu'il ne m'ait pas mentionné ce fait.

    J'attendais que vienne l'été – et les vacances de mon fils qui était à Harvard -, afin que nous puissions emmener Edward en Europe. Je vis bientôt qu'il ne se remettait pas aussi rapidement que je l'avais espéré, car il y avait quelque chose d'un peu hystérique dans ses griseries occasionnelles, tandis que ses moments d'effroi et de dépression étaient trop fréquents. La vieille maison Derby fut prête en décembre, toutefois Edward repoussait constamment son déménagement. Bien qu'il détestât et semblât avoir peur de la propriété Crowninshield, il y était en même temps curieusement enchaîné. Il ne semblait pas prêt à commencer à tout dépouiller, et inventait toutes sortes d'excuses pour repousser le projet. Lorsque je le lui fis remarquer, il sembla inexplicablement effrayé. Le vieux maître d'hôtel de son père – qui était revenu, avec d'autres serviteurs réembauchés – me dit un jour que les allées et venues d'Edward dans la maison, et particulièrement dans la cave, lui semblaient curieuses et surprenantes.  Je me demandais si Asenath n'avait pas envoyé des lettres qui le perturbaient, mais le maître d'hôtel m'assura qu'il n'y avait aucun courrier qui aurait pu venir d'elle.

    VI.

    Ce fut à l'approche de Noël que Derby s'écroula complètement un soir qu'il me rendait visite. J'orientais la conversation vers les voyages de l'été prochain lorsqu'il se mit à hurler soudainement et bondit de son fauteuil avec un épouvantable regard de terreur incontrôlable – une horreur et une panique cosmique que seuls des vents de cauchemar peuvent amener à un esprit sain.

    “Mon cerveau ! Mon cerveau ! Dieu, Dan, ça tire – d'en dessous – ça tape, ça déchire – cette diablesse – même maintenant – Ephraim – Kamog ! Kamog ! La fosse aux shoggoths – Ia ! Shub-Niggurath ! Le Bouc aux mille chevreaux !…”

    “La flamme – la flamme – par-delà le corps, par-delà la vie – sous la terre – Oh, Dieu !”

    Je le fis asseoir dans son fauteuil et lui versai du vin dans la gorge tandis que sa frénésie se changeait en une terne apathie. Il ne résista pas, mais ses lèvres continuaient à remuer comme s'il se parlait à lui-même. Je réalisai alors qu'il essayait de me parler, et tendis mon oreille près de sa bouche afin de saisir ses faibles mots.

    “Encore, encore – elle essaye – j'aurais dû le savoir – rien ne peut arrêter cette force ; ni la distance, ni la magie, ni la mort – ça vient, ça vient, surtout la nuit – je ne peux pas partir – c'est horrible – oh, Dieu, Dan, si seulement tu savais comme moi à quel point c'est horrible…”

    Quand il sombra dans la stupeur, je l'installai sur des oreillers et laissai un sommeil normal le gagner. Je n'appelai pas de médecin, car je savais ce qu'il dirait de sa santé mentale, et je voulais laisser une chance à la nature, si seulement c'était possible. Il s'éveilla à minuit, et je l'emmenai se coucher à l'étage, mais il était parti au matin. Il était sorti silencieusement de la maison – et son maître d'hôtel, quand je lui téléphonai, me dit qu'il était occupé à faire les cent pas dans la bibliothèque.

    Edward s'effondra rapidement par la suite. Il ne venait plus, mais je passai le voir tous les jours. Il était toujours assis dans la bibliothèque, fixant le vide et semblant bizarrement écouter quelque chose. Parfois il parlait rationnellement, mais toujours à propos de sujets triviaux. La moindre allusion à ses troubles, à des plans futurs, ou à Asenath, le faisait entrer dans une véritable frénésie. Son maître d'hôtel disait qu'il avait de terribles accès la nuit, pendant lesquels il aurait pu se blesser.

    J'eus de longues discussions avec son médecin, son banquier et son avocat, et je lui rendis finalement visite avec le docteur et deux autres spécialistes. Les spasmes qui résultèrent des premières questions furent violents et pitoyables – et ce soir-là une voiture fermée emmena au Sanatorium d'Arkham son pauvre corps qui luttait en vain. Je fus désigné comme son tuteur et lui rendais visite deux fois par semaine – j'avais presque peur d'entendre ses cris sauvages, ses chuchotements terrifiés, et ses phrases terribles, sans cesse répétées comme “Il fallait que je le fasse – Je devais le faire – il m'aura – il m'aura – là-dessous – là-dessous dans le noir – Mère ! Mère ! Dan ! Sauve-moi – sauve-moi -“.

    Quel espoir de rémission il y avait, personne ne pouvait le dire, mais je faisais de mon mieux pour être optimiste. Edward devait avoir une demeure si jamais il émergeait, je transférai donc ses serviteurs au domaine Derby, qui serait certainement son choix s'il recouvrait la raison. Ce que je devais faire de la propriété Crowninshield, avec ses arrangements complexes et ses collections d'objets totalement déconcertants, je ne puis le décider, je n'y touchai donc pas pour le moment – et je dis à la bonne de la maison Derby d'aller y faire le ménage des pièces principales une fois par semaine, et ordonnai au serviteur en charge du chauffage de faire du feu à ces occasions.

    Le cauchemar final intervint avant la Chandeleur – précédé, cruelle ironie, d'une fausse lueur d'espoir. Un matin fin janvier, le sanatorium téléphona pour m'informer qu'Edward avait soudain recouvré la raison. Sa mémoire à long terme, disaient-ils, était gravement affectée, mais sa santé mentale elle-même était certaine. Bien sûr il devait rester encore un peu en observation, mais il ne pouvait y avoir de doute sur le résultat. Si tout allait bien, il serait sans doute libre dans une semaine.

    Je me hâtai là-bas, envahi par un flot d'allégresse, mais je m'arrêtai interloqué lorsque l'infirmière me conduisit à la chambre d'Edward. Le patient se leva pour m'accueillir, me tendant la main avec un sourire poli, mais je vis en un instant qu'il arborait cette étrange personnalité pleine d'énergie qui semblait si contraire à sa propre nature – la forte personnalité que j'avais trouvée si vaguement horrible, et dont Edward lui-même avait affirmé qu'elle était l'âme de sa femme qui l'envahissait. C'était le même regard flamboyant – comme celui d'Asenath et du vieil Ephraïm – et la même bouche volontaire ; et quand il parla je pus percevoir la même vague ironie persuasive dans sa voix – cette profonde ironie qui semblait révéler un mal en puissance. Il s'agissait de la personne qui avait conduit ma voiture cette nuit-là cinq mois auparavant – celui que je n'avais pas vu depuis cette brève visite où il avait oublié le vieux code à la porte d'entrée, et qui éveillait en moi des peurs tellement confuses – et maintenant j'étais empli de ce même vague sentiment d'une altérité blasphématoire et d'une ineffable monstruosité cosmique.

    Il parla avec affabilité des préparatifs pour sa sortie – et il n'y avait rien d'autre à faire pour moi que d'approuver, malgré des lacunes remarquables dans sa mémoire récente. Pourtant je pensais que quelque chose était terriblement, inexplicablement faux et anormal. Il y avait dans tout cela des horreurs qui étaient au-delà de ma compréhension. Il s'agissait d'une personne saine d'esprit – mais était-ce vraiment l'Edward Derby que j'avais connu ? Si non, qui était-ce, ou qu'était-ce – et où était Edward ? Cette chose devait-elle être libérée ou rester confinée – ou devait-elle être extirpée de la face de la terre ?  Il y avait quelque chose d'abyssalement sardonique dans chaque parole de la créature – le regard qui évoquait celui d'Asenath semblait donner un ton déconcertant et moqueur à certaines paroles qui faisaient référence à une liberté acquise à l'issue d'un confinement particulièrement étroit ! Je dus me comporter de façon particulièrement maladroite et fus heureux de battre en retraite.

    Toute cette journée, et la suivante, je ressassai le problème dans mon esprit. Qu'était-il arrivé ? Quelle sorte d'esprit regardait à travers ces yeux  étrangers dans le visage d'Edward ? Je ne pouvais songer à rien d'autre qu'à cette énigme obscure et terrible, et abandonnai tous mes efforts pour faire normalement mon travail. Le matin suivant l'hôpital appela pour dire que le patient guéri était dans le même état, et le soir j'étais proche de la dépression nerveuse – un état que je veux bien reconnaître, bien que certains diront qu'il a conditionné l'expérience que j'ai vécue ultérieurement. Je n'ai rien à dire sur ce point, si ce n'est que nul coup de folie de ma part ne peut expliquer tous les faits.

    ×