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CHAPITRE 11 : DEPART POUR LA FOIRE :
Le lendemain matin, comme Julien finissait son ouvrage, Madame Bonard vint le chercher pour aller à la foire. Ils se mirent en route.
Madame Bonard
Dis donc, Julien, si nous prenions Monsieur Georgey en passant devant sa porte ? Il ne va pas pouvoir s’en tirer tout seul à la foire ; il se fera attraper, voler, bien sûr.
Julien
Maîtresse, si vous voulez, nous y passerons seulement pour lui dire qu’il m’attende, que je viendrai le chercher vers midi.
Madame Bonard
Et pourquoi pas l’emmener tout de suite, puisque nous y allons ?
Julien
Maîtresse, c’est que… c’est que… j’aimerais mieux que nous ayons fini nos emplettes sans lui.
Madame Bonard
Pourquoi cela ?
Julien
Parce que… je crains… que…, que…, qu’il ne veuille tout payer. Et il m’a déjà tant donné, que j’en serais honteux.
Madame Bonard
Tu as raison, Julien. C’est une bonne et honnête pensée que tu as là.
Madame Bonard lui donna une petite tape sur la joue, et ils continuèrent leur chemin.
Julien monta chez Monsieur Georgey pendant que Madame Bonard se reposait en causant avec Caroline, qui s’apprêtait aussi pour la foire.
Julien (entrant)
Monsieur, pardon si je vous dérange.
Monsieur Georgey
Pas dérangement du tout, pétite Juliène. Moi satisfait voir toi ; je voulais aller au foire avec toi.
Julien
Oui, Monsieur ; je venais tout juste vous demander de m’attendre jusqu’à midi, je viendrai vous prendre.
Monsieur Georgey
Moi aimer plus aller dans lé minute. Moi voulais acheter une multitude de choses.
Julien
Il y aura plus de marchands à midi, Monsieur.
Monsieur Georgey
Alors moi garder toi, pétite Juliène ; nous mangerons un turkey auparavant lé foire.
Julien (embarrassé)
Je ne peux pas, Monsieur ; il faut que je m’en aille.
Monsieur Georgey
Quoi c’est cet impatientement ? Pourquoi il fallait partir toi seul ?
Julien (avec hésitation)
Parce que Madame Bonard m’attend à la porte, Monsieur, et que…
Monsieur Georgey
Oh ! my goodness ! Madme Bonarde attendait et moi pas savoir ! C’était beaucoup malhonnête, pétite Juliène.
Et, avant que Julien eût pu l’en détourner, Monsieur Georgey était descendu.
Monsieur Georgey
Oh ! dear ! Madme Bonarde ! Moi étais fâché fort ; vous rester devant mon porte et moi pas savoir. Oh ! pétite Juliène, c’est très fort ridicoule ! Moi faire excuses, pardon. Entrez, Madme Bonarde, s’il vous plaît.
Madame Bonard
Je ne peux pas, Monsieur, il faut que je mène Julien faire des emplettes et que nous soyons de retour à midi.
Monsieur Georgey
Et lé petite nigaude Juliène disait pas à moi les emplettes. Il disait rien. Jé allais manger un pièce. Caroline, Caroline ! vitement thé, crème, toast. Beaucoup toast, beaucoup tasses, beaucoup crème. Vitement, Caroline.
Caroline se dépêcha si bien, qu’un quart d’heure après, le thé et les accompagnements du thé étaient apportés dans la salle. Monsieur Georgey força Madame Bonard et Julien à se mettre à table et à manger. Comme ils n’avaient encore rien pris, ce petit repas improvisé fut avalé avec plaisir. Monsieur Georgey mangea une douzaine de toasts, c’est-à-dire des tartines de pain et de beurre grillées ; chacune d’elles était grande comme une assiette. Quatre de ces tartines eussent étouffé tout autre, mais Monsieur Georgey avait un estomac vigoureusement constitué ; il n’éclata pas, il n’étouffa pas, et il se leva satisfait et pouvant sans inconvénient attendre l’heure du dîner. Un petit verre de malaga acheva de le réconforter ; et, prenant son chapeau, il sortit avec Madame Bonard et Julien après avoir pris la précaution de glisser dans sa poche une poignée de pièces d’or.
La ville n’était pas loin ; le temps était magnifique ; ils arrivèrent au bout d’une demi-heure de marche. Pendant qu’ils achètent, que Monsieur Georgey paye, qu’il fait d’autres emplettes pour son compte, châles, robes, fichus, bonnets, pour Madame Bonard, vêtements, chaussures, chapeau, etc., pour Julien, présents d’espèces différentes pour d’autres qu’il voulait récompenser des petits services qu’il en avait reçus, Frédéric et Alcide se rencontraient à la ferme.