Accueil › Forums › Textes › CONAN DOYLE, Arthur – L’Aventure de la Crinière de Lion › Répondre à : CONAN DOYLE, Arthur – L’Aventure de la Crinière de Lion
C’est alors que survint l’événement du chien.
Ce fut ma vieille servante, par ce don rare et immatériel qu’a la population villageoise de se tenir constamment au fait des événements des alentours, qui en fut la première informée.
« Un bien triste événement qui est arrivé au chien de Monsieur McPherson, Monsieur Holmes », me dit-elle un soir.
Je n’avais pas coutume d’encourager les conversations ayant pour objet les on-dit du voisinage, mais le nom de McPherson éveilla soudainement mon attention.
« Qu’est-il arrivé à son chien ? », demandai-je.
« Il est mort, Monsieur. Exactement de la même manière que son maître. »
« Qui vous a informée de cela ? »
« Oh, eh bien, tout le monde ne parle que de cela. Il a commencé par ne plus rien manger pendant toute une semaine, et puis il y a une heure ou deux des jeunes gens des Pignons l’ont trouvé mort sur la plage, à l’endroit même où son maître avait connu son sort funeste, Monsieur. »
« A l’endroit même. » Ces morts résonnaient dans mon esprit. Une vague intuition me disait que là était sans doute la clef de ce mystère. La mort du chien survenue peu après celle du maître s’inscrivait parfaitement dans la lignée de la noblesse et de la fidélité de ces animaux, mais, au même endroit ! Pourquoi cette même parcelle de plage isolée avait-elle été fatale tant à McPherson qu’à son chien ? Etait-il possible que l’animal eût été également sacrifié par la poursuite d’un même sentiment de vengeance ? Etait-ce réellement envisageable ?… Certes, mon hypothèse était encore nébuleuse, mais quelque chose de nouveau venait de se présenter à mon esprit.
Quelques minutes plus tard j’étais en route pour les Pignons, où je trouvai Stackhurst dans son bureau. Sur ma requête il envoya chercher Sudbury et Blount, les deux étudiants qui avaient découvert le chien mort.
« Oui, il gisait sur le bord de la même petite piscine où son maître avait voulu se baigner », dit l’un d’eux. « Il doit avoir flairé ses traces… »
On me conduisit au pauvre animal, un Airedale Terrier, qui gisait sur un tapis du hall d’entrée. Le corps de l’animal était figé et raidi, les yeux exorbités, et les membres contorsionnés. Chaque parcelle de son corps exprimait la lente agonie que l’animal avait subie.
Des Pignons je me rendis à la petite piscine où le corps du chien avait été découvert. Le soleil venait de se coucher et l’ombre noire des falaises s’étirait sur l’eau limpide, telle une feuille de plomb d’un éclat terni. L’endroit était désert et sans aucun signe de vie, à l’exception de deux oiseaux de mer gémissant et volant en cercle au-dessus de l’eau. Dans cette lumière blafarde, je ne distinguai qu’avec peine les petites empreintes laissées par le chien autour du rocher sur lequel avait été découverte la serviette sèche et pliée de son maître. Je restai un certain temps plongé dans une intense méditation à cet endroit même, oublieux des ombres s’intensifiant autour de moi. Les pensées se bousculaient dans mon esprit. Le lecteur se rappellera peut-être un ou plusieurs instants au cours de sa vie lors desquels il savait détenir la clef d’un problème insoluble, sur laquelle il ne parvenait cependant plus en dépit de ses multiples efforts à remettre la main. Cela est la description exacte de l’état dans lequel je me trouvais en ce soir, seul sur cette plage morbide. Je m’extirpai alors de mes pensées et repris à pas lents le chemin de mon cottage.
J’avais à peine atteint le sommet de la falaise que la vérité m’apparut soudain. Je me rappelai avec la plus grande certitude et la plus grande précision l’élément de réponse vers lequel mon esprit tendait en vain. Le lecteur sait bien – ou il n’aura pas lu avec suffisamment d’attention le récit de mes aventures compilés par mon fidèle Watson – que je possède une certaine collection de connaissances diverses, sans ordre ni liens précis entre elles, mais d’une grande utilité dans la résolution de mes enquêtes. Mon esprit évoque une pièce encombrée de paquets de toutes sortes – dans lesquels on trouverait rapidement ce dont on a besoin si l’on pouvait cependant se remémorer à l’instant avec exactitude l’emplacement du paquet le contenant. Je savais quelque chose qui pouvait m’aider à résoudre cette enquête, sans pour autant pouvoir l’identifier avec précision. Je savais à présent où chercher. C’était monstrueux, horrible, et cependant c’était une possibilité. Je devais explorer cette piste.
Il y a dans ma demeure une vaste mansarde pleine de livres. J’y montai et y restai une heure durant. Au bout de ce temps je tenais entre mes mains un petit volume à la couverture brune et aux lettres d’argent. Je tournai fébrilement les pages jusqu’au chapitre dans lequel je croyais pouvoir trouver ce que je cherchais. Oui, cette hypothèse était certes osée, invraisemblable, et pourtant je ne pouvais en détacher mon esprit avant de l’avoir éprouvée. Je me couchai très tard ce soir-là, l’esprit déjà tout occupé d’un programme que je m’étais fixé pour le lendemain.
Mes projets furent cependant dès les premières heures du jour suivant fortement contrariés. J’avais à peine trempé les lèvres dans ma première tasse de thé peu avant de me mettre en route pour la plage, que je reçus la visite matinale de l’inspecteur Bardle du département de police du Sussex – un homme grand, solide, bovin, aux yeux songeurs qui me fixaient en ce matin d’un regard particulièrement indécis.
« Je sais votre grande expérience, Monsieur », dit-il. « Ma visite est un peu informelle, bien entendu, et je préfèrerais qu’elle reste entre nous. Mais je suis très ennuyé par cette affaire McPherson. La question que je désire vous poser, en réalité, Monsieur Holmes, est la suivante : « dois-je ou non faire procéder à l’arrestation de notre suspect ? »
« Vous voulez dire Ian Murdoch ? »
« Oui, Monsieur. Nous ne voyons vraiment pas qui d’autre accuser. C’est l’un des avantages que présente notre isolement. Nous restons toujours en comité restreint. Qui d’autre en effet que Murdoch pourrait avoir commis le meurtre ? »
« Quels éléments avez-vous retenus contre lui ? »
Il avait procédé aux mêmes déductions que moi. Le caractère peu affable de Murdoch et l’aura de mystère qui se dégageait de toute sa personne, ses sautes d’humeur récurrentes – illustrées lors de l’incident du chien passé par la fenêtre -, son ancienne discorde passée avec McPherson, et sa possible attirance pour Miss Bellamy : il argumentait à l’aide de l’ensemble de ces éléments – dont aucun n’était nouveau et ne pouvait conduire à établir la culpabilité de Murdoch. L’inspecteur Bardle m’informa cependant que Ian Murdoch était en train de préparer activement son départ.
« De quoi aurais-je l’air en le laissant filer, alors que toutes les apparences sont contre lui ? »
Le robuste et flegmatique inspecteur me semblait réellement perplexe.
« Considérez », dis-je, « les pièces manquantes à votre puzzle. Murdoch détient un alibi qui l’éloigne de McPherson au moment où celui-ci a été assassiné : il donnait un cours à ses étudiants, encore quelques minutes à peine avant que McPherson ne vienne s’écrouler à nos côtés au haut de la falaise. Gardez également à l’esprit qu’il n’aurait sans doute pu tout seul infliger un tel traitement à un homme d’une force au moins égale, si ce n’est supérieure, à la sienne. Il y a enfin la question de l’instrument à l’aide duquel de telles blessures ont pu être infligées. »
« Quoi d’autre qu’un fouet ou tout autre instrument flexible similaire ? »
« Avez-vous examiné les blessures ? », demandai-je.
« Oui. Tout comme l’a fait le médecin qui s’est rendu auprès du corps. »
« Pour ma part je les ai examinées très attentivement et à l’aide d’une loupe. Elles présentent quelques particularités. »
« Quelles sont-elles, Monsieur Holmes ? »
Je me dirigeai vers mon meuble de bureau et y saisis un agrandissement de photographie.
« Voici la façon dont j’ai coutume de procéder lorsque je me heurte à pareil mystère », expliquai-je.
« Vos méthodes sont sans doute les bonnes, si l’on en juge par leurs résultats, Monsieur Holmes. »
« Je ne dois mes modestes succès qu’à leur application très stricte, en effet. Observons à présent cette marque en particulier qui s’étire autour de l’épaule droite. Que remarquez-vous ? »
« Rien du tout malheureusement. »
« Sans doute serez-vous d’accord pour affirmer qu’elle est d’une profondeur et d’une largeur variables en fonction de son point de contact avec la peau. Elle a causé un épanchement sanguin ici, et là encore. Il est possible de constater le même phénomène sur ces mêmes marques laissées plus bas également. Que révèlent-elles ? »
« Je n’en ai aucune idée, Monsieur Holmes… En avez-vous pour votre part la moindre ? »
« Oui, peut-être… ou peut-être pas. Je serai sans doute en mesure de vous en dire davantage très prochainement. Tout ce qui sera susceptible de nous renseigner sur l’instrument qui a laissé ces marques nous conduira tout droit au criminel. »
« C’est, bien sûr, une idée absurde », me dit l’inspecteur, « mais si une grille de fils barbelés chauffés à blanc lui avait été appliquée sur la peau, les épanchements que vous évoquez pourraient matérialiser les points d’intersection des fils… »
« Une comparaison des plus ingénieuses ! Peut-être pouvons-nous également évoquer les marques laissées par un objet à neuf lanières rigides comportant de petits nœuds durs à chacune de leur extrémité ? »
« Ma parole, Monsieur Holmes, on croirait que c’est vous-même qui l’avez frappé ! »
« Oh, l’arme du crime pourrait aussi bien être toute autre, Monsieur Bardle. Quoi qu’il en soit, les preuves dont vous disposez sont insuffisantes pour procéder à l’arrestation de Ian Murdoch. En outre, nous disposons de ces trois mots : « Crinière du Lion ». »
« A ce propos je me suis également demandé si c’était bien « Lion » que nous avions entendu, et non pas « Ian »… »
« Oui, je me suis également posé la même question ! Mais je suis certain que c’est bien « Lion » que McPherson a tenté de nous dire, bien qu’avec les plus grandes difficultés. »
« Avez-vous la moindre autre piste, Monsieur Holmes ? »
« Peut-être bien. Mais je préfèrerais ne pas l’évoquer avant d’être davantage certain qu’elle puisse nous mener quelque part. »
« Et quand pensez-vous être en mesure de le faire ? »
« Dans une heure – tout au plus. »
L’inspecteur se frotta le menton et me considéra d’un air dubitatif.
« J’aimerais avoir le pouvoir de lire dans vos pensées, Monsieur Holmes. Votre piste vous mène-t-elle à ces bateaux pêcheurs aperçus au large au matin du crime ? »
« Non, non, ils étaient bien trop loin déjà lorsque nous sommes descendus. »
« Alors, c’est donc à Bellamy et à son fils qu’elle vous mène ? Ils ne semblaient pas particulièrement voir d’un bon œil la relation qu’entretenait McPherson avec la jeune fille. Ne pourraient-ils pas avoir tout bonnement voulu le mettre en garde ? »
« Non, non, vous ne parviendrez pas à m’en faire dire davantage avant que je n’y sois moi-même disposé », dis-je dans un sourire. « A présent, inspecteur, nous avons du travail chacun de notre côté. Peut-être que, si vous vouliez me rejoindre à nouveau ici vers midi… »
C’est alors que survint l’événement qui allait marquer la conclusion de cette enquête. La porte de ma demeure s’ouvrit toute grande et un homme entra en titubant dans mon bureau. C’était Ian Murdoch, pâle, les cheveux et les habits en désordre, agrippant de ses mains osseuses les meubles pour ne pas s’effondrer sur le sol.
« Un cognac, vite, un cognac ! », gémit-il.
Et il s’effondra sur le sofa.
Il n’était pas seul. Stackhurst entra à son tour dans la pièce, tête nue et haletant, l’air aussi hagard que Murdoch.
« Oui, pour l’amour du ciel un cognac ! », hurla-t-il. « Murdoch est à l’agonie ! J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour vous l’amener. Il a déjà défailli par deux fois sur le chemin ! »
Un demi verre d’alcool eut un effet des plus bénéfiques sur Ian Murdoch. Il put se redresser quelque peu et laissa tomber son manteau de ses épaules.
« Pour l’amour du ciel des huiles, de l’opium, de la morphine ! », hurla-t-il. « N’importe quoi qui puisse mettre fin à ces tortures infernales ! »
L’inspecteur et moi-même eûmes un cri de stupeur. Là sous nos yeux, sur les épaules dénudées de cet homme, apparaissaient les mêmes marques rouges et enflammées qui avaient été aperçues sur le dos de Fitzroy McPherson, et qui avaient causé sa mort.
La douleur qu’endurait Ian Murdoch était évidemment terrible, et s’étendait à tout le corps, car par moments la respiration du blessé s’interrompait, son visage devenait noir, et il plaquait dans des râles effrayants une main sur sa poitrine, tandis que son front ruisselait de sueur. Mon impression fut qu’il pouvait mourir à tout instant. Nous lui administrions force cognac, chaque nouvelle gorgée semblant le ramener pour quelques instants à la vie. Des compresses d’ouate imbibées d’huile alimentaire furent appliquées sur ses plaies et semblèrent ramener le malheureux peu à peu à la vie en chassant l’agonie qui lui avait été infligée par ses affreuses blessures. Après quelques temps sa tête retomba lourdement sur les coussins et il sombra dans un profond sommeil, mi-conscient, mi-inconscient, qui constituait cependant une excellente alternative à ses douleurs.
Il m’était impossible de questionner le malade, mais dès l’instant où nous fûmes quelque peu rassurés quant à son état, Stackhurst se tourna vers moi.
« Oh mon Dieu ! », s’écria-t-il, « de quoi s’agit-il, Holmes ? A quoi sommes-nous confrontés ? »
« Où l’avez-vous trouvé ? »
« En bas, sur la plage. Exactement à l’endroit où nous avions trouvé la serviette de McPherson. Si Murdoch avait été aussi cardiaque que l’était Fitzroy, il ne fait aucun doute qu’il serait mort également à l’heure qu’il est ! Plus d’une fois j’ai cru que c’en était fait de lui, alors que je tentais de vous l’amener… Nous étions trop loin des Pignons, alors j’ai immédiatement pensé à vous. »
« L’avez-vous aperçu sur la plage ? »
« Je marchais le long des falaises quand j’ai entendu un cri. Il était au bord de l’eau, titubant comme un homme ivre. Je suis descendu en courant, jetai prestement ses vêtements sur lui, et le soutins pour vous l’amener. Pour l’amour du ciel, Holmes, usez de tout ce qui est en votre pouvoir pour éloigner la malédiction qui frappe cet endroit, car il nous sera fatal à tous ! Pouvez-vous, au regard de votre réputation, quelque chose pour nous ? »
« Il me semble que oui, mon cher Stackhurst. Venez avec moi. Et vous aussi, inspecteur. Nous verrons à vous livrer le meurtrier. »
Laissant Murdoch toujours inconscient aux soins de ma femme de charge, nous nous dirigeâmes tous trois vers le lagon maudit. A un endroit sur les galets gisait encore le petit tas formé par les vêtements et la serviette apportée par Ian Murdoch. Je me dirigeai lentement vers le bord de la petite piscine, mes compagnons en file indienne derrière moi. Le bassin était essentiellement peu profond, mais pouvait cependant atteindre, à l’endroit où il touchait à la falaise, jusqu’à deux mètres de profondeur. C’était la partie du bassin vers laquelle se dirigeaient naturellement les nageurs, en raison de l’aspect transparent et cristallin que présentait naturellement la piscine en cet endroit. Une rangée de rochers en émergeait et touchait à la base des falaises, et je progressai prudemment sur ceux-ci, examinant avec attention le fonds translucide de l’eau. Je surplombai la partie la plus profonde du bassin quand mes yeux aperçurent enfin ce que je cherchai, et je poussai une exclamation de triomphe.
« Une cyanée ! », m’écriai-je, « Cyanea capillata, ou encore appelée Crinière de Lion ! »
L’animal étrange que je désignais ressemblait effectivement à un enchevêtrement de poils revêches qui aurait été arrachés à la crinière d’un lion. Il se tenait lové au creux d’un rocher à environ un mètre sous l’eau. C’était une étrange créature, mouvante, chevelue, faite de nombreux filaments argentés flottants parmi ce qui semblait des tresses jaunes. Elle évoluait au rythme d’un mouvement lent de contractions et de dilatations successives.
« Le meurtrier en a assez fait comme cela. L’heure de son arrestation a sonné », m’écriai-je. « Avec moi, Stackhurst ! »
Un énorme rocher se trouvait juste à notre portée. Nous le poussâmes et il tomba dans un énorme éclaboussement au fond de l’eau. Lorsque les rides s’estompèrent à la surface, nous constatâmes que nous avions atteint notre but : il gisait au fond de l’eau, ne laissant dépasser qu’une infime partie de la membrane jaune de la cyanée. Une masse épaisse d’un liquide à consistance huileuse s’échappa de dessous le rocher et remonta lentement à la surface.
« Ca alors, je n’en reviens pas », s’écria l’inspecteur. « Qu’est-ce que c’était que cela, Monsieur Holmes ? Je suis né et ai grandi ici, et je n’ai jamais rien vu de tel ! Cette chose n’est pas de chez nous. »
« Et c’est tant mieux pour vous ! », dis-je. « Il se peut qu’elle ait été apportée par la tempête qui a dernièrement soufflé du sud-ouest. Retournons à mon cottage, voulez-vous ?, et je porterai à votre connaissance les impressions d’une victime qui a également par le passé été confrontée à ce péril des mers. »
Nous trouvâmes à notre retour une amélioration sensible dans l’état de Ian Murdoch, qui avait recouvré ses esprits et était à présent en état de se tenir assis. Il restait cependant étourdi, et secoué de temps à autre par un spasme de souffrance violente. Il nous expliqua en phrases entrecoupées qu’il n’avait pas la moindre idée de ce qui lui était arrivé, en dehors du fait qu’il avait soudain ressenti une douleur fulgurante, et qu’il avait dû rassembler toutes ses forces pour rejoindre la plage.
« C’est ce livre », dis-je, « qui a jeté un rai de lumière sur cette affaire qui aurait pu sans lui rester à jamais obscure. Out of Doors est un ouvrage été écrit par le célèbre observateur John George Wood, qui échappa lui-même à la mort après avoir été attaqué par cette dangereuse créature. Les éléments qu’il rapporte dans son ouvrage sont le fruit de sa propre expérience. Cyanea capillata est le nom complet de notre meurtrier. Le venin de cette méduse peut s’avérer plus dangereux, et bien plus douloureux, que celui insufflé par la morsure du cobra. Laissez-moi vous lire quelques passages du témoignage de Wood. »
Si le baigneur aperçoit un enchevêtrement de forme ronde et lâche de membrane et de filaments, évoquant un mélange de poignées arrachées à la crinière d’un lion entremêlées de reflets argentés, qu’il s’en éloigne au plus vite, car il s’agit de la terrible Cyanea capillata, qui inflige de terribles brûlures.
« Notre meurtrier pourrait-il être décrit en des termes plus éloquents ? Wood poursuit par le récit de sa propre rencontre avec la cyanée alors qu’il nageait le long des côtes du Kent. Il s’aperçut que cette méduse étendait de fins et presque invisibles filaments sur plus d’une quinzaine de mètres, et que quiconque se trouvait dans un périmètre plus restreint autour d’elle se trouvait en immédiat danger de mort. Même à une certaine distance, l’effet des brûlures sur Wood faillit lui être fatal. »
Les multiples contacts avec la peau prirent la forme de fines lignes écarlates qui se révélèrent lors d’un examen plus approfondi autant de minuscules pustules écloses et reliées directement aux centres nerveux.
« La douleur locale, poursuit Wood, n’est que l’aspect le moins pénible de toute la souffrance à endurer. »
La poitrine est secouée de spasmes, d’une intensité semblable à celle de causée par des balles qui cause la défaillance de la victime. Le pouls s’arrête soudain pour reprendre ensuite le temps de six ou sept battements, si violents que le cœur semble devoir bondir de la poitrine.
« Wood se trouva bien proche de la mort, alors qu’il ne fut exposé à cette créature qu’en plein océan et non dans les eaux calmes d’un bassin. Il se décrit comme méconnaissable après avoir survécu à l’attaque, tant blafard, flétri, ridé lui est apparu son visage. Il se précipita sur une bouteille de cognac qu’il but, et c’est d’ailleurs ce qui semble lui avoir sauvé la vie. Je vous confie l’ouvrage, inspecteur. Je ne doute pas que vous y trouverez tous les éléments de réponse nécessaires à l’élucidation des circonstances de la mort du malheureux McPherson. »
« Pourvu qu’il m’innocente », plaisanta Murdoch dans un sourire désabusé. « Je ne vous blâme pas, inspecteur, ni vous, Monsieur Holmes, vos soupçons étaient bien naturels. Je regrette cependant de n’avoir échappé à mon arrestation qu’au prix du partage des terribles souffrances qu’avait avant moi enduré mon pauvre et défunt ami. »
« Non, Monsieur Murdoch, j’étais depuis longtemps que cette piste, et si je m’étais trouvé, comme j’aurais dû l’être, plus tôt sur la plage, je vous aurais épargné cette terrible expérience. »
« Mais comment avez-vous su, Monsieur Holmes ? »
« Je suis un lecteur chevronné qui a le sens tout particulier du détail. Ces trois mots prononcés par McPherson, « Crinière du Lion », me hantaient. Je savais que je les avais lus ou entendus par le passé quelque part, sans pouvoir me rappeler où. Vous avez constaté qu’ils correspondent à la description de la créature. Je ne doute pas que McPherson l’ait aperçue flottant à la surface, et que le seul avertissement qu’il ait eut le temps et la force de nous délivrer prit la forme de ces trois mots, dans une tentative de description désespérée de l’objet qui avait causé sa mort. »
« Je suis donc reconnu innocent », dit Murdoch en parvenant à se lever. « Je souhaite néanmoins vous faire part de quelques éléments qui sont sans doute à l’origine de la direction qu’ont pris vos soupçons. Il est vrai que j’aimai Maud un temps, mais le jour où j’appris qu’elle en avait choisi un autre – de surcroît mon ami –, je n’eus plus d’autre désir que celui de contribuer à faire son bonheur. Je devins leur confident. Je fus le messager de leur correspondance, et ce ne fut que parce que je connaissais la nature de leur relation et que Maud m’était si chère que je pris la décision de lui apprendre moi-même ce qui était arrivé à McPherson, afin d’empêcher qu’un autre ne s’en charge avec moins de délicatesse. Elle s’est probablement abstenue d’évoquer dans son témoignage nos liens d’amitié, car elle craignit certainement que vous puissiez douter de leur véracité, et que ses révélations ne me portent préjudice. Avec votre permission je vais à présent tenter de rejoindre les Pignons, car il me semble qu’une bonne nuit de sommeil me fera le plus grand bien. »
Stackhurst lui tendit une main amicale.
« Nos nerfs ont été mis à rude épreuve ces derniers temps », s’excusa-t-il. « Oubliez le passé, Murdoch. Nous ne nous en comprendrons que mieux dans l’avenir. »
Ils sortirent ensemble, Stackhurst soutenant son ami.
L’inspecteur restait à me contempler de son regard bovin.
« Eh bien, vous avez encore triomphé ! », s’exclama-t-il. « J’aurais beau l’avoir lu, je ne l’aurais pas cru si je n’avais pas par moi-même assisté à la façon dont vous avez mené cette enquête. Voue êtes magnifique ! »
Je fus forcé de secouer la tête en signe de dénégation. Accepter pareil compliment eut été au-dessous de tout principe.
« Je fus lent à comprendre – d’une lenteur coupable. Le corps eut-il été trouvé dans l’eau, que j’aurais sans doute songé plus tôt à ce dénouement. La serviette m’induisit en erreur. Le pauvre bougre bien sûr n’avait nullement eut le temps de songer à se sécher, alors que pour ma part je songeai tout bonnement qu’il n’était jamais entré dans l’eau. Dans ces conditions, comment l’attaque par une quelconque créature marine me serait-elle venue à l’esprit ? Ce fut de cette façon que je fis fausse route. Quoi qu’il en soit, inspecteur, si tenté d’avouer qu’il me soit par le passé arrivé de sous-estimer les forces de police, soyez assuré que la Cyanea capillata a vengé tout Scotland Yard de mes innocentes moqueries ! »