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Chapitre 2
– Vous avez vu facteur, il y a trois verres vides sur la table ; qui a bu le dernier verre avec eux ?
– Je ne crois pas que la Toinette ait bu un canon. C’est peut-être le chef de la mairie avec son double, on dirait Dupond et Dupont ces deux-là, rétorqua Nicolas.
– Votre hypothèse n’est pas dénuée de bon sens, je n’ai jamais vu la Toinette avec autre chose qu’un verre d’eau. « Le sang de la vigne c’est pour les hommes » qu’elle disait.
– Il faut que nous évitions de toucher à quoi que ce soit. On ne sait jamais, si ce n’était pas un suicide, nous pourrions faire partie des suspects, alors prudence, dit l’entrepreneur.
– C’est entendu, mais vous avouerez que c’est bizarre, il y a trois verres et pas de trace de nourriture. C’est à croire qu’ils étaient invités ailleurs à midi.
– Malheureusement mon cher Nicolas, là-haut (l’entrepreneur pointa son index vers le ciel) c’est de la pension complète.
– Je n’apprécie pas cet humour, je vous jure que je n’ai pas la tête à plaisanter.
– Allons facteur, vous n’êtes pas médecin, vous n’avez pas fait serment de guérir et sauver les gens. On ne va pas vous imputer les disparitions sur votre tournée, grand Dieu!
– J’entends un bruit de véhicule, seraient-ce les gendarmes ?
– Oui c’est bien eux !
– Et pas seuls avec ça, il y a le docteur Tardieu avec eux.
C’est toujours leur façon de procéder lorsqu’ils sont appelés pour un décès. Il doit y avoir la présence d’un médecin pour constater la mort et délivrer le permis d’inhumer.
Après s’être garés dans la cour, deux gendarmes sortent du fourgon bleu. Ils ont laissé le gyrophare clignoter.
Le docteur Tardieu descend lui aussi de sa voiture. C’est un homme qui a de la prestance. Il doit avoir environ quarante-cinq ans, il est brun au teint mat, les yeux sont noirs, et il possède un regard perçant, aussi profond que celui d’Alain Delon.
Tous saluent poliment l’entrepreneur et le facteur. Les gendarmes demandent où sont les corps. Ils emmènent tout ce beau monde au grenier. Le médecin est grand, il doit se pencher pour ne pas se cogner en montant à l’échelle. Les gendarmes ont pris avec eux des lampes torches et un appareil photo numérique ; ils ne sont jamais pris au dépourvu nos braves pandores!
Nicolas a allumé la lampe, l’ampoule n’éclaire pas plus qu’au moment de la triste découverte. Il voit mieux car il s’est habitué à cette pénombre. Il distingue les formes des objets, il peut regarder tout autour de lui, la présence de tout ce monde le rassure. Toinette et Germain semblent dormir côte à côte, histoire de destin …
Dans le désordre qui règne sous les toits, il voit deux jambons qui sèchent, quelques saucissons. Il y a aussi un vieux lit en fer forgé et, dans un coin, un matelas. « Il est peut-être en paille se dit-il. Il y a aussi une cage à oiseaux. Il doit y avoir longtemps qu’elle n’a pas eu de pensionnaire car il n’a jamais vu d’oiseaux en cage chez qui que ce soit dans le quartier. »
Pendant ce temps, le docteur s’est accroupi auprès des deux cadavres. Il demande aux gendarmes de bien l’éclairer, il a aussi une lampe frontale. Le chien n’aboie plus, mais il gémit toujours. Sans les déplacer, le médecin ausculte Germain et Toinette. Il met le stéthoscope sur la poitrine de Germain, en ayant pris soin de dégrafer un bouton de sa chemine canadienne. Il le fait pivoter légèrement sur le côté, regarde autour du cou et derrière la nuque. Il opère de la même façon avec Toinette. Il ne dit absolument rien pendant qu’il travaille.
Les deux gendarmes, le facteur et l’entrepreneur respectent ce silence, eux aussi se taisent. Les gendarmes prennent des photos, ils s’attachent particulièrement aux détails.
Après de longues minutes qui ont semblé durer l’éternité, le docteur Tardieu ouvre enfin la bouche. Il s’adresse aux gendarmes :
– Messieurs, je ne puis délivrer de permis d’inhumer, une autopsie est nécessaire.
Un des gendarmes va au fourgon appeler une ambulance pour faire évacuer les corps. Le facteur annonce, que la boulangère est passée un peu avant lui car il l’a vue passer un peu avant qu’il n’arrive au hameau. Elle a éventuellement remarqué quelque chose.
La boulangère est une personne d’une trentaine d’années. Cela fait longtemps qu’elle passe tous les deux jours livrer le pain. Comme le facteur, elle connaît tout le monde et les petites histoires des uns et des autres n’ont pas de secret pour elle. Les gens papotent et se confient volontiers. Il suffit d’avoir du savoir-faire et, pour ça, on peut lui faire confiance.
L’entrepreneur montre le pain posé sur le buffet :
– Voilà la preuve qu’elle s’est arrêtée ici, il est frais celui-là.
Les pandores ne font aucun commentaire. Ils écoutent beaucoup, mais parlent peu. Le docteur Tardieu prend congé de tout le monde. Il a de nombreuses visites à effectuer et il vient de passer un long moment chez Toinette et Germain.
Dehors dans la rue, il y a un attroupement, les pandores ne passent pas inaperçus. Et puis, tous connaissaient de près ou de loin les victimes.
Nicolas demande s’il peut s’en aller . Les gendarmes lui permettent de se retirer sous réserve qu’il soit très discret : « ne parlez à personne de cette affaire, sauf à votre hiérarchie » . En effet, il va bien falloir qu’il explique pourquoi il rentre si tard de tournée aujourd’hui.
Il pense à la boulangère et à sa poitrine avenante. Il est vrai qu’elle aime bien mettre en avant ses avantages et, côté décolleté, on peut voir jusqu’à son nombril. Ça en émoustille quelques-uns et elle en joue. Lorsqu’elle se penche pour rendre la monnaie, les deux globes, soutenus par un balconnet brodé de dentelle, vous invitent à rêver.
– Si elle a vu quelque chose, elle le dira rapidement, dit l’entrepreneur , il faudra savoir si c’est elle qui a posé le pain sur le buffet.
Avant de les laisser partir, les gendarmes demandent à Nicolas et à l’entrepreneur s’ils ont vu d’autres personnes ou des véhicules s’arrêter ici. Le facteur répond qu’il a juste desservi deux maisons avant d’aller chez Toinette et Germain. De ce fait, il lui était difficile, en si peu de temps, de constater les allées et venues . Toutefois, avant son arrivée, le car de ramassage scolaire a dû passer.
– Le chauffeur du bus aurait-il pu apercevoir des présences dans la cour ?
– Ou alors les enfants, mais c’est moins sûr. Le car s’arrêtant de l’autre côté de la rue, les écoliers sont cachés par la carrosserie du véhicule.
Le chauffeur effectue ce trajet depuis plus de six ans. Il doit lui aussi, au même titre que le facteur ou la boulangère, voir beaucoup de choses que d’autres ne perçoivent pas.
Le chauffeur est un homme d’origine portugaise, avec son accent, il est facilement reconnaissable. Il est brun avec une calvitie. Les enfants l’aiment bien. Il s’appelle Pedro Nunès, mais tous l’appellent Pedro. Il est venu en France il y a une vingtaine d’années, pour faire le maçon comme ses compatriotes. Il avait vingt-deux ans et, comme il était beau garçon, les filles lui ont tourné autour. Il s’est marié à une française et est resté au pays. Il trouvait le bâtiment pénible, alors il a passé tous les permis, poids lourd et transport en commun. Il a commencé dans une entreprise locale, il faisait des livraisons. Le dimanche, il effectuait aussi quelques extra pour transporter des supporters en car. Un beau jour il obtint cette place et il ne s’en plaint pas. Il connaît bien Toinette et Germain, mais il ne peut s’arrêter pendant qu’il a les jeunes dans son car. De temps en temps, il lui arrive de passer les voir en dehors du travail. Pedro est un homme sobre, il ne boit pas d’alcool.
L’entrepreneur s’adresse aux gendarmes. Il se souvient avoir vu un camion de livraison de fuel dans la rue vers onze heures quarante. En revanche, il ne peut dire s’il venait de chez eux.
– C’est un point à éclaircir, dit un des gendarmes.
– Je crois que c’était la maison Riord, j’ai reconnu le chauffeur, c’était Joseph dit l’entrepreneur.
– oui, il est connu comme le loup blanc, Joseph. C’est une figure, lorsque vous l’avez rencontré une fois, vous ne l’oubliez pas de sitôt, rétorqua le facteur.
– Ils se chauffaient au fuel nos voisins, dit l’entrepreneur. D’ailleurs dans le hameau, nous nous chauffons tous au gasoil. Nous faisons des commandes groupées, le plus souvent. Personne ne m’a parlé d’une commande en cours.
– Le Germain et la Toinette, ils commençaient à perdre un peu la boule. Je me souviens que, parfois, je m’arrêtais la veille et tous deux me soutenaient mordicus que je n’étais pas venu les voir depuis au moins huit jours.
– Ce n’est pas toujours bon la vieillesse, affirma Nicolas, mais si le Joseph a fait une livraison, il doit avoir laissé un bon ou une facture bon sang! On peut aussi voir le niveau de la cuve à fuel, je sais où elle se trouve.
– On ne touche à rien et évitons de laisser des traces ou de détruire des preuves. Mes collègues vont arriver, dit l’autre gendarme.
– Vos collègues ? Interrogea l’entrepreneur.
– Oui, vous pensez bien qu’on ne va pas rester comme cela à discuter de tout et de rien. Nous allons procéder à un certain nombre d’opérations et de vérifications, c’est notre job.
– Je comprends, le docteur Tardieu leur a donné du boulot. N’est-ce pas facteur ?
– C’est sûrement vrai, dit Nicolas absorbé dans ses pensées.
Nicolas Favant est un homme curieux. Il échafaude dans sa tête des hypothèses qu’il trouve toutes plus farfelues les unes que les autres Alors, il refait mille fois son cinéma, la suite de la tournée peut attendre encore un peu. Joseph et son camion de fuel l’intriguent. Il se dit que dans la cour, recouverte d’une mince couche de sable, un camion qui manœuvre doit laisser des traces de pneus et des pneus de camion c’est bien reconnaissable. Nicolas sort dans la cour, il regarde le sol un peu humide dans les coins ombragés. Il est content de lui notre facteur, son idée était bonne. Il rentre dans la maison et s’adresse aux gendarmes: « messieurs, je suppose que les empreintes que j’ai repérées devant la grange sont celles d’un gros véhicule. Ce pourrait être un camion citerne. »
Les gendarmes, professionnels, demandent à l’entrepreneur et à Nicolas de ne pas marcher à cet endroit. Ils vont délimiter le périmètre avec des rubans à cet usage. Il était temps, car l’ambulance sollicitée pour l’évacuation des corps, arrive .
Quelle animation dans le quartier ! Les gendarmes accompagnent les deux brancardiers, en leur signifiant que l’accès par l’échelle est étroit, avec une marche abîmée. Il convient d’être attentif et de bien surveiller où l’on met les pieds.
Toinette et Germain sont mis sur les brancards l’un après l’autre. Le chien ne dit rien, il remue la queue l’air triste. Les gendarmes étaient allés chercher une bombe lacrymogène au cas où l’animal aurait donné des signes d’agressivité. Les deux brancardiers descendent d’abord le corps de Germain, plus lourd.
Un brancardier fait même une remarque :
– Il est presque complètement raide.
La température du corps descend rapidement après le décès ; en quelques heures apparaît ce que l’on nomme la rigidité cadavérique. Le chien n’a même pas attendu le deuxième convoi pour redescendre. Il se couche dans la cuisine à côté du poêle, ce doit être sa place. Le voyage de Toinette, du grenier au rez-de-chaussée, est plus aisé. Elle n’était plus bien lourde. Elle avait laissé toutes ses forces et ses formes dans le labeur de toutes ces années à élever les enfants, tenir la maison, faire le jardin et s’occuper des animaux pour leur consommation.
Deux portes claquent et l’ambulance repart pour la morgue. Les deux gendarmes commencent à trouver le temps long. Ils ont des gestes qui ne trompent pas, l’un rajuste son képi, l’autre danse d’une jambe sur l’autre.
Le facteur aperçoit des papiers sur le buffet.
– Vous avez vu sous le pain, il y a deux feuilles.
Un pandore file illico dans la direction, il se cogne à une chaise. En effet, il y a une facture de fuel de la société Riord. Elle est datée du jour, deux mille litres.
– Et l’autre papier ? demande l’entrepreneur.
– C’est une ordonnance du docteur Giraud, elle aussi est datée d’aujourd’hui. Ce n’est plus une prescription médicale, c’est un roman. Il y a là de quoi empoisonner tout le canton.
– Les personnes âgées sont de grosses consommatrices de médicaments. Pas étonnant que la Sécu soit en déficit!
L’entrepreneur était parti sur des considérations politiques. Le facteur, écœuré, ne prit pas la peine de lui répondre. Les gendarmes, fidèles à leur serment, avaient adopté une attitude de stricte neutralité. En dépit des élucubrations de l’entrepreneur sur le sujet et son insistance à voir l’ordonnance, les Pandores ne cédèrent point. Malgré leur jeunesse (ils n’avaient pas trente ans), ces deux gars savaient s’y prendre pour éviter les conflits, ce n’était ni le moment ni le lieu.
Le docteur Giraud était le médecin traitant du couple ; Toinette et Germain étaient très attachés à ce médecin. A cet âge, le seul ennemi c’est le changement. Le docteur Giraud venait les consulter presque toutes les semaines, surtout Germain. Son diabète et ses plaies exigeaient une surveillance rapprochée. Il avait dû prolonger Germain d’environ une dizaine d’années. Quand, jeune carabin lâché dans la nature, il était venu pour la première fois appelé d’urgence. Les voisins avaient ramassé Germain dans un sale état devant chez lui. Le docteur Giraud avait rapidement détecté un coma diabétique, alors que tous pensaient qu’il s’agissait d’une grosse cuite. Le couple avait apprécié son efficacité, sa discrétion et sa disponibilité. Il faut dire qu’à l’époque, il était encore célibataire le brave docteur. Depuis, il s’est bien rattrapé, il a marié une fille du pays et ils ont six enfants: cinq filles et un garçon. Ceci expliquant cela, le petit Jérémie était arrivé en sixième position.
La table était disposée comme il se doit au milieu de la cuisine. Personne n’avait fait l’inventaire de ce qu’il y avait sur la toile cirée qui représentait des chasseurs avec deux faisans dans une main et un fusil dans l’autre. L’entrepreneur s’était rendu compte de ses inepties, il ne disait plus rien.
Nicolas, pris la parole :
– Il y a du courrier sur la table. Ce n’est pas celui d’aujourd’hui, je l’ai encore dans ma sacoche. D’ailleurs, les enveloppes sont ouvertes, comment auraient-ils pu l’ouvrir en étant là haut ?
Il désigne le grenier d’un signe de tête, ils avaient tous compris. Quatre enveloppes étaient disposées en éventail et à leur droite, des dépliants publicitaires. La première enveloppe émanait du laboratoire d’analyses médicales, la deuxième de la mairie, la troisième d’EDF, et la dernière du service de la redevance TV. A première vue, il n’y avait rien qui puisse être en rapport avec la pendaison du couple hormis éventuellement, les résultats d’analyses communiqués par le laboratoire. « Ce n’est pas en voyant ces courriers, que l’on est en mesure de tirer une conclusion, il faudrait en savoir bien plus, se dit Nicolas. »
Un des gendarmes enfila des gants en latex et prit un grand sachet en plastique. Il saisit délicatement les lettres et les inséra dans le sac.
– Maintenant il faut protéger les preuves si l’on ne veut pas se casser le nez dans cette affaire, dit-il.
Nicolas et l’entrepreneur ne parlaient plus de partir, et les gendarmes devaient se dire que ça leur faisait de la compagnie en attendant du renfort.
– Je vous donne aussi le courrier de ce jour ? demande le facteur.
– Bien entendu ! lui rétorqua le gendarme le plus grand.
Il avait un accent du nord de la France et l’entrepreneur ne put s’empêcher de lui demander d’où il était originaire.
– De Wattrelos, répondit le gendarme.
– Waterloo ?
Le Pandore sourit :
– On me l’a déjà faite celle-là. Il s’agit de Wattrelos dans le Nord, le pays du p’tit quinquin. Vous connaissez le p’tit quinquin?
L’entrepreneur commença à chanter, mais il s’aperçut que c’était saugrenu. La suite de la chanson s’étouffa avec le bonhomme.
Le nordiste prit chaque prospectus et fit un petit commentaire sur chaque feuille: « Intermarché, les mousquetaires de la distribution, c’est vrai qu’ils se frisent les moustaches d’Artagnan et consorts. Super U, les nouveaux commerçants, Foirfouille, foire à l’euro. La société Chaufféco radiateurs, de la phytothérapie à base de Ginseng, il doit y avoir du monde sur ce produit ; une carte postale valable pour une démonstration des ustensiles ‘’cuisine saine‘’ , une agence immobilière qui cherche des biens à vendre …
– Il serait surprenant que le mobile de la pendaison se trouve dans ces feuilles de chou, avança Nicolas.
– Vous savez, je n’ai pas une grosse expérience de la question, dit le grand gendarme. Figurez-vous que parfois, les affaires qui semblent les plus simples sont en réalité beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît. La résolution d’une enquête ne peut se faire que si l’on ne néglige aucun détail. C’est un puzzle où chaque pièce vous permet d’avancer, alors s’il vous en manque une, c’est extrêmement préjudiciable.
Au mur, au-dessus de l’évier est accroché le calendrier des pompiers.
L’entrepreneur hèle Nicolas :
– Dites donc, vous avez été grillé par la concurrence pour les étrennes, ici.
– Je vous rassure, dit le facteur, beaucoup de mes clients rangent le calendrier des postes dans un tiroir, cela ne les empêche nullement d’être généreux, ils ne sont pas tous comme vous pensez.
C’était une allusion, à peine voilée, à la générosité minimale de son interlocuteur. L’entrepreneur mit son mouchoir dessus. Il est vrai, qu’en deux ou trois occasions, notre homme fut pour le moins maladroit. Après des épisodes où il s’était fait remettre en place, il ressemblait de plus en plus à un texte écrit à l’encre sympathique . Au début, les phrases brillent puis, au fil du temps, on ne voit que certaines bribes; ensuite quelques traits et à la fin, plus rien, tout est transparent. Eh bien ! C’était presque identique.
Sur le calendrier, à la date d’aujourd’hui, figuraient deux annotations. Le facteur s’approcha du mur, bien éclairé par la fenêtre située au-dessus de l’évier:
– Toinette et Germain avaient deux rendez-vous notés, un à onze heures, et un autre à midi moins le quart. A onze heures, c’est une boîte de pose de vérandas et autres portes et fenêtres en PVC, elle s’appelle « Plein Soleil ». J’ai distribué pas mal de publicité pour eux ces derniers jours, je crois que nos amis avaient mordu à l’hameçon de la publicité. Dans l’habitat ancien, ils font un malheur ; lorsqu’ils décrochent un rendez-vous, c’est une vente pratiquement assurée.
– De plus, ce sont des produits à forte valeur ajoutée, reprit l’entrepreneur. Lorsque j’étais encore en activité, ce genre d’officine en était à ses balbutiements, c’est fou, la progression.
– Surtout qu’avec le PVC, plus besoin de peinture et c’est garanti dix ans je crois, répondit Nicolas. Un nettoyage haute-pression de temps à autre et le tour est joué.
– Vous avez l’air de vous y connaître, facteur, lui dit un gendarme.
– Vous savez, j’aime beaucoup bricoler, alors je suis au courant des évolutions et des tendances du moment.
– Savez-vous où se trouve le siège de cette entreprise? lui demanda le Pandore nordiste.
– Je vous le marque sur un bout de papier, mais je suppose que le rendez-vous de midi moins le quart va vous intéresser aussi ; n’est-ce pas ?
– Vous avez deviné, de quoi s’agit-il ?
– L’entreprise locale de matériel médical, vous connaissez, car elle se trouve à côté de votre caserne. Ils font toutes sortes de choses. Ça peut aller d’un lit médicalisé, en passant par des béquilles, un fauteuil roulant et même des couches pour adultes. La panoplie est large. Je connais bien le patron et je puis vous garantir qu’il se fera un plaisir de vous communiquer tous les éléments en sa possession. La raison sociale est « Medic Home. »
– Ah ! Ces anglicismes, ils nous pourrissent la vie, dit l’entrepreneur.
Nicolas partit dans un fou rire. L’entrepreneur lui demanda l’objet de son hilarité.
– Parce que sur la cage en bois que vous avez mise sur le pilier droit de votre portail, il y a écrit « home, sweet home », je doute que ce soit du patois. Enfin, ça ne gène absolument pas les mésanges, ne changez rien.
Les deux gendarmes étaient restés de marbre, mais intérieurement ils étaient pliés par le sens de la répartie de Nicolas. En d’autres circonstances, il est sûr qu’ils l’auraient félicité d’avoir remis en place ce vieil aigri.