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Le Pacha et le Dervis
Un Arabe à Marseille autrefois m’ a conté
qu’ un pacha turc dans sa patrie
vint porter certain jour un coffret cacheté
au plus sage dervis qui fût en Arabie.
Ce coffret, lui dit-il, renferme des rubis,
des diamants d’ un très grand prix :
c’ est un présent que je veux faire
à l’ homme que tu jugeras
être le plus fou de la terre.
Cherche bien, tu le trouveras.
Muni de son coffret, notre bon solitaire
s’ en va courir le monde. Avoit-il donc besoin
d’ aller loin ?
L’ embarras de choisir étoit sa grande affaire :
des fous toujours plus fous venoient de toutes parts
se présenter à ses regards.
Notre pauvre dépositaire
pour l’ offrir à chacun saisissoit le coffret :
mais un pressentiment secret
lui conseilloit de n’ en rien faire,
l’ assuroit qu’ il trouveroit mieux.
Errant ainsi de lieux en lieux,
embarrassé de son message,
enfin, après un long voyage,
notre homme et le coffret arrivent un matin
dans la ville de Constantin.
Il trouve tout le peuple en joie :
que s’ est-il donc passé ? Rien, lui dit un iman ;
c’ est notre grand visir que le sultan envoie,
au moyen d’ un lacet de soie,
porter au prophete un firman.
Le peuple rit toujours de ces sortes d’ affaires ;
et, comme ce sont des miseres,
notre empereur souvent lui donne ce plaisir.
-souvent ? -oui. -c’ est fort bien ; votre nouveau
visir
est-il nommé ? -sans doute : et le voilà qui passe.
Le dervis, à ces mots, court, traverse la place,
arrive, et reconnoît le pacha son ami.
Bon ! Te voilà ! Dit celui-ci :
et le coffret ? -seigneur, j’ ai parcouru l’ Asie ;
j’ ai vu des fous parfaits, mais sans oser choisir :
aujourd’ hui ma course est finie ;
daignez l’ accepter, grand visir.