Jeanne Menjoulet - Notre Dame de Paris, un soir d'hiver (2015)

Les Habitués de café – Le Quartier Notre-Dame

Joris-Karl Huysmans, outre ses grands romans, nous a laissé des recueils d’essais et de nouvelles comme Croquis parisiens, Le Drageoir à épices ou De tout (1902) d’où sont extraits ces deux récits critiques : Les Habitués de café et Le Quartier Notre-Dame.

Huysmans est attiré par l’atmosphère des cafés (cf. Un café, Une goguette et dans Les Habitués de café). Il distingue plusieurs catégories de clients qui ont tous droit à ses attaques.

« Les uns fréquentent régulièrement tel café, afin d’entretenir une clientèle qui s’y désaltère, d’amorcer des commandes ou d’apprêter avec d’autres habitués quelques-uns de ses spécieux larcins que la langue commerciale qualifie de « bonnes affaires ». Les autres y vont pour satisfaire leur passion du jeu, poussent sur le pré tondu d’un billard de bruyantes billes, remuent d’aigres dominos, de fracassants jackets, ou graissent, en se disputant, de silencieuses cartes. D’autres fuient dans ces réunions les maussaderies d’un ménage où le dîner n’est jamais prêt, où la femme bougonne au-dessus d’un enfant qui crie.
D’autres viennent simplement pour ingurgiter les contenus variés de nombreux verres. D’autres encore recherchent des personnes résignées sur lesquelles ils puissent déverser les bavardages politiques dont ils sont pleins. D’autres enfin, célibataires, ne veulent point dépenser chez eux de l’huile, du charbon, un journal, et ils réalisent d’incertaines économies… Qui ne les connaît ces habitués ? »
Le café Caron échappe à ses quolibets, mais « le café Caron est mort de misère et a été naturellement remplacé dans la rue des Saints-Pères par un bas zinc ; ses habitués errèrent pendant quelques jours, ne sachant plus que devenir, puis ils émigrèrent dans un lieu presque semblable, mais gâté pourtant par un élément militaire, au café d’Orsay, situé au coin de la rue du Bac et du quai ; ce café moribondait quand ils y vinrent et ils l’achevèrent ; une inéluctable faillite l’emporta ; ce fut la fin de tout. Et depuis lors l’âme des habitués se désempare. »

Désolation aussi du poète devant l’état de Notre Dame de Paris dans Le Quartier Notre-Dame.
« Avec sa façade noire et nue, elle dégage une impression de mésaise et de froid ; elle est une basilique hivernale ; on ne la sent point aimer ce Paris qu’elle domine ; elle n’a pas ce geste de Notre-Dame de Chartres dont les deux clochers semblent les doigts levés des vieux évêques prêts à bénir la ville agenouillée à leurs pieds ; ses bras, à elle, se dressent et ils menacent plus qu’ils n’implorent. […] Notre époque, qui voulut soigner Notre-Dame, s’est bornée, pour sa part, à la gratter et à la rafistoler du haut en bas.
Ces chapelles qui furent toujours pleines de fidèles au temps où le peuple croyait en Notre Seigneur sont toutes les quatre mortes ; la cathédrale subsiste seule, maintenant et elle est, elle-même, du soir au matin, déserte. Les passagers – parmi les vivants – sont des touristes qui croassent en feuilletant des guides, et – parmi les défunts– des cadavres venus de l’Hôtel-Dieu voisin, des dépouilles sans le sou et que l’on expédie, au galop, Dieu sait comme ! »

Pour effacer ces vues pessimistes, écoutez le même Huysmans dans l’ouvrage posthume (1908) La Symbolique de Notre-Dame de Paris.


Remarques :

Consulter les versions texte de ce livre audio : Les Habitués de café ; Le Quartier Notre-Dame.

Licence d'utilisation : Réutilisation du livre audio soumise à autorisation préalable.
Livre audio gratuit ajouté le 19/11/2016.

4 Commentaires

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  1. Run du vendredi 15 juin 2018 de 21 à 22h. Merci Monsieur Depasse d’avoir lu “Les habitués de café” : belle découverte ! Un texte tellement atemporel sur le fond et tellement XIXème sur la forme. Je suis admirative des deux chez Huysmans. Seule la description successive des habitués du Caron me paraît décevante car ne me semble pas à la hauteur de la description du profil-type très intéressant dressé par l’auteur d’un habitué de café. Aucun des personnages ne donne envie de le connaître et ça, c’est bien dommage, pour un café. Il a décrit avec une finesse incroyable le lieu et la psychologie du lieu mais a négligé la singularité des êtres. Il faudrait que je relise plus attentivement. Un jour.
    La version écrite ici : http://www.huysmans.org/detout/detout3.htm
    Ce texte a été publié dans le n°94 de La Vie populaire du 24/11/1889 mais aussi dans “Les types de Paris”, un ouvrage rassemblant plusieurs textes de grands écrivains sur le thème de Paris, publié par le Figaro en 1889 également.
    “Les types de Paris” scanné intégralement ici :
    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k319264h

  2. Merci pour ces tableaux parisiens.
    Curieuses graphies que celles de l’édition utilisée.

    « … d’amorcer des commandes ou d’apprêter avec d’autres habitués quelques-uns de SES spécieux larcins que la langue commerciale qualifie de “bonnes affaires” ».

    « Le café Caron échappe à SES quolibets. »

    Nestor Plasma, c’est pour ça qu’on l’aime

  3. Moi aussi, car il y a une grande différence entre la description d’un lieu, faite soit par l’ancre de l’écrivain, soit par le pinceau du peintre et son propre oeil. C’est vrai que tous les psycholoques vous diront qu’on a tendence à juger ces lieus parisiens à travers les impressions de nos lectures et des tableaux qu’on a contemplés. L’avantage de celui qui attaque le premier!

  4. Bonjour,

    Que j’envie ces auteurs qui ont eu la joie de décrire les “parisiens”avec leur plume comme des peintres avec leur palette .

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