En célébrant la tour Eiffel, Giraudoux rejoignait Chagall, mais aussi Apollinaire, Cendrars, Cocteau…
Lisez ces quelques lignes et vous déciderez si vous voulez prolonger la lecture d’un texte intellectuel parfois abscons, mais qui « parle » beaucoup.
« C’est le premier mai. Chaque mal infligé à Paris est guéri aujourd’hui par le grand spécialiste. Quand un plomb saute dans un ministère, c’est le fondateur même de l’École supérieure d’électricité qui accourt. Quand un tramway déraille, c’est l’équipe des dix premiers polytechniciens qui vient le remettre dans sa voie. Chaque bourgeois vers midi, après ces cures merveilleuses, a le sentiment que si son bouton de pardessus sautait on alarmerait la rue de la Paix, et l’Observatoire si sa montre s’arrête. […]
– Et voici la tour Eiffel ! Mon Dieu, quelle confiance il possédait en la gravitation universelle, son ingénieur ! Sainte Vierge, si un quart de seconde l’hypothèse de la loi de la pesanteur était controuvée, quel magnifique décombre ! Voilà ce qu’on élève avec des hypothèses ! Voilà réalisée en fer la corde que lance au ciel le fakir et à laquelle il invite ses amis à grimper… J’ai connu Eiffel, je grimpe… Mon Dieu qu’elle est belle, vue de la cage du départ, avec sa large baguette cousue jusqu’au deuxième, comme à une superbe chaussette ! Mais elle n’est pas un édifice, elle est une voiture, un navire. Elle est vieille et réparée comme un bateau de son âge, de mon âge aussi, car je suis né le mois où elle est sortie de terre. Elle a l’âge où l’on aime sentir grimper sur soi des enfants et des Américaines. Elle a l’âge où le cœur aime se munir de T.S.F. et de concerts à son sommet. Tout ce que j’aime dans les transatlantiques je l’y retrouve. Des parfums incompréhensibles, déposés dans un losange d’acier par un seul passant, et aussi fixes dans leur altitude qu’un cercueil dans la mer tenu par son boulet ; mais surtout des noms de Syriens, de Colombiens, d’Australiens, gravés non sur les bastingages, mais sur toutes les vitres, car la matière la plus sensible de cette tour et la plus malléable est le verre. Pas un visiteur étranger qui ne soit monté là avec un diamant… On nous change à chaque instant d’ascenseur pour dérouter je ne sais quelle poursuite, et certains voyageurs, débarrassés de leurs noms et prénoms dès le second étage, errent au troisième les yeux vagues, à la recherche d’un pseudonyme ou d’un parrain idéal. »
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