Répondre à : KOWKA – Le Trésor anglais

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CocotteCocotte
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    Le trésor anglais

     

    Cette année nous allons en vacances en Angleterre. C’est la première fois que je vais dans ce pays. Papa m’a dit « tu verras c’est un pays un peu bizarre pour nous Parisiens et pour tous les Français je crois. Ils boivent de la bière plate sans faux col et tiède, de plus ils mettent de la menthe ou de la confiture d’orange dans tout. Remarque, me dit-il, ce n’est pas vraiment mauvais, mais cela surprend au début, de plus ils ne parlent pas français. En revanche, eux, nous reprochent gentiment de manger des escargots ou des pattes de grenouilles, si tu voyais la grimace qu’ils font lorsqu’on leur raconte ça ! » Pour mes douze ans, papa venait de m’offrir un petit détecteur de métaux, un Tandy, si mes souvenirs sont exacts et il m’avait dit, « Là tu pourras tester tant que tu veux ton nouveau jouet sans que personne n’y retrouve rien à redire. Car en Angleterre la chasse aux trésors est libre, à condition que tu signales tes découvertes. »

    Nous n’avons pas pris le TGV, car papa prenait sa voiture pour de longues promenades dans la campagne verdoyante. Nous avons pris le bateau des Brittany Ferries à Cherbourg pour Portsmouth, comme dans le temps, c’était follement amusant.

    Nous allions passer un mois dans le sud de l’Angleterre à Crowcombe, au nord de Tauton dans le comté de Somerset au pied des Blackdowns Hills. Une région relativement sauvage, idéale pour passer des vacances au vert et en même temps pas trop loin d’attractions touristiques intéressantes.

    Dès le premier jour de mon arrivée, j’ai fait un tour du village où tout de suite j’ai rencontré Mary. Nous avons très vite sympathisé, nous avions le même âge et nous baragouinions chacun un galimatias incompréhensible d’onomatopées plus barbares les unes que les autres. Le fait qu’elle avait aussi un détecteur de métaux était pour beaucoup dans cette entente soudaine anglo-française. Elle était totalement anglaise cheveux bouclés roux, de petites taches de rousseur parsemaient son visage comme si elle avait été éclaboussée par le passage d’une voiture dans une flaque d’eau dont elle aurait trop approché le visage. Cela lui donnait un genre aventurier et moi personnellement je trouvais cela très joli, pour ne pas dire charmant. Nous avons décidé dès le lendemain de commencer de concert la prospection.

    Nous nous attaquons à un petit square du village et dès les premières minutes je trouve un souverain anglais avec l’effigie de Georges V, je le montre à Mary et lui explique de quoi il s’agit. C’est drôle me dit-elle, il me semble que j’ai les mêmes dans ma tirelire. Elle me ramène chez elle, va chercher sa tirelire, la vide sur la table de la cuisine et effectivement il y a trois autres souverains au milieu des farthings et des pennies.

    — Je ne rappelle plus d’où elles viennent, mais je sais que je n’avais pas encore de détecteur. Peut-être dans le jardin ?

    Elle demande à sa mère si on peut passer l’appareil dans le jardin. Sa mère lui répond

    — Bien sûr mais faites attention aux rosiers de papa, tu sais qu’il y tient comme à la prunelle de ses yeux, ils lui ont donné assez de mal comme ça. On commence dans le fond près des arbustes et tout  de suite le son harmonieux de la trouvaille, une pièce d’or puis une autre puis encore une, et ça n’en finit pas, en tout 167 souverains des rois d’Angleterre, des Georges III, des Georges IV, des Victoria jeune et vieille, des Edwards, encore des Georges V, Georges VI. Le père qui entre temps était rentré du travail, devant ce pactole semble perdre la tête et veut les garder toutes pour lui ; il prétend que puisqu’elles viennent de son jardin, elles sont à lui. Je lui explique dans mon sabir, que l’inventeur d’un trésor est propriétaire pour la moitié, ce qui dans mon cas correspond au quart, puisque Mary a l’autre quart. Rien n’y fait, il entre dans une colère invraisemblable, où je crois comprendre qu’un mangeur de grenouilles n’allait pas faire la loi chez lui, et sur ce, me met manu militari à la porte. Je rentre au chalet que nous avons loué pour les vacances, j'explique toute l’histoire à papa, et j'ajoute : « il m’a même pris celle que j'avais trouvé au square. » Papa décide d’aller au commissariat de Tauton et le commissaire confirme que la moitié revient à l’inventeur de la trouvaille qui sont deux en l’occurrence, Mary et moi,

    Ce qui fait qu’aux yeux de la loi anglaise j'ai droit au quart de la trouvaille ou à sa valeur si l’état veut garder les monnaies pour des raisons historiques. Un constable nous accompagne et confisque le trésor en signalant au père de Mary que c’est le juge de canton qui décidera du partage. Je n’oublierai jamais le regard plein de haine que me jeta le père de Mary.

    Le lendemain, très déçu de ma première chasse au trésor et en même temps tout excité au souvenir de la trouvaille de la veille, je décide de retourner au square. Je commence cette fois le long de maisons plus où moins à l’abandon et, oh miracle ! ce fut comme la veille mais cette fois je ramasse 268 souverains que j’ai tout de suite portés au poste de police. Je déclare ma nouvelle trouvaille faite dans le square communal. Le père de Mary passe justement pour demander ce qu’il en est de notre découverte et quand il voit le nouveau monceau de pièces il demande d’où elles viennent. Le constable lui explique, et le père s’écrie :

    — La totalité du trésor est à moi ; c’est moi qui l’ai découvert, j'ai effectivement ramassé deux brouettées de terre dans le square pour surfacer ma planche de rosiers.

    — Cela pourrait être assimilé à un vol lui dit l’agent, et une chose est certaine, vous n’êtes pas l’inventeur du trésor puisque vous n’avez rien trouvé et que vous n'avez rien déclaré. De plus toutes les pièces ont été rassemblées, puisqu’elles constituent un seul et unique trésor et comble de chance pour les enfants, la partie du square où elles ont été trouvées n’appartient pas à la commune mais bien à Sir Dickson, qui, dans sa générosité habituelle, a donné sa part à la commune.

     L’année suivante, j'ai reçu une longue lettre de l'administration de Tauton, le trésor s’était vendu 315.000 livres, la municipalité en a gardé 100.000 pour ses frais et ses œuvres, le solde est divisé en deux soit la somme rondelette de 107.500 livres sous forme d’un chèque au porteur tiré sur une banque londonienne et une récompense en tant qu’inventeur principal d’un montant de 50.000 livres qui me sera versé à ma majorité. Effectivement le jour de mes 21 ans j'ai reçu de la banque Halifax Bank of Scotland, un chèque de 87.000 livres couvrant les 50.000 livres promises plus les intérêts. J’ai bien sûr écrit une longue lettre de remerciements et de bonne continuation à la municipalité. Les Anglais sont certainement des drôles de gens, mais je dois reconnaître que leur administration est d’une probité exemplaire.

     

     

    Quelques années plus tard, à mon tour, je suis allé en vacances à Tauton avec mon épouse et mes deux enfants, Marc et Louis. Nous avions réussi à louer le même gîte que j'avais occupé avec mes parents. Bien sûr j'ai montré aux enfants l’endroit où j'avais trouvé les pièces d’or dont la famille parlait souvent. Arrivés devant le square, à mon grand étonnement, la commune avait érigé un monument représentant deux enfants, un garçon et une fille avec chacun en main un détecteur de métaux.

    J’ai décidé, puisque l'occasion se présentait, d’aller remercier Sir Dickson. C’est lui qui avait acheté l’entièreté du trésor, il ne voulait pas que ce souvenir historique quittât la commune. Il m’a introduit dans son bureau-bibliothèque. C’était une bibliothèque, comme seule une bibliothèque de province pouvait être lorsqu’elle se mêlait d’être belle. Toute en noyer sombre, presque noir, elle couvrait les murs de cette grande pièce sur trois côtés, le quatrième était occupé par trois hautes fenêtres ogivales à croisillons, laissant entrer une lumière légèrement tamisée par un fin voile tombant du plafond au sol devant chacune d’elles. À mi-hauteur, un imposant balcon faisait le tour de la pièce, y compris devant les fenêtres. Celui-ci large de presque deux mètres était garni, tout du long de sa balustrade en acajou, par des meubles bas en bois précieux. Les livres étaient rangés comme des soldats à la parade, tous au garde-à-vous, serrés les uns contre les autres, les rangs succédant à d’autres rangs et ce jusqu’au plafond. De temps en temps un bronze romain, un masque primitif venaient rompre cet alignement. À droite entre deux fauteuils quatre rayons du bas étaient garnis de portes grillagées comme un moucharabieh empêchant de voir les titres cachés dans l’ombre, c’était ceux de l'enfer je présume. Il régnait dans cette pièce un parfum de cuir et de vieux papiers, mais pas du tout ce relent de moisi que l’on trouve souvent dans les vieux papiers. C’était la preuve que c’était un ensemble de livres superbement bien entretenus par un amoureux du livre, sinon un amoureux de la lecture.

    Il n’y avait pas de poussière si ce n’est celle que l'on voyait mourir dans les rayons du soleil obliques traversant les grandes fenêtres. Sir Dickson me montra le médailler datant de son aïeul, car comme toute bibliothèque qui se respecte, il possédait un cabinet de monnaies. C’étaient les meubles précieux du balcon. Et c’est là qu’étaient rangés les trésors de Crowcombe I et II. Il m’expliqua que, malgré de nombreuses recherches, on ne savait toujours pas l’origine et les causes de l’enfouissement. Juste avant de partir il m’offrit un souverain en souvenir, celui que j'avais trouvé en premier dans ce fameux square.

    À peine sorti, mon plus jeune fils l'admirant, le laissa tomber et il rebondit deux fois avant de s’engouffrer dans la grille de l'avaloir des eaux pluviales. Je le consolai en lui disant que ce n’était pas grave, ce n’était qu’une pièce de monnaie. Oliver, l’ouvrier municipal qui passait juste à cet instant dans la rue, me reconnut et vint me saluer. « Qu’est qui vous arrive monsieur Jean ? » « Mon fils vient de faire tomber dans l’avaloir le souverain que venait de m’offrir monsieur Dickson. » « Attendez, je vais chercher la clé ». Il ouvre la grille, descend au moyen d’échelons scellés dans la paroi, il remonte le souvenir et j'enferme la pièce dans mon porte feuille. Là-dessus je lui offre de bon cœur une pinte au Old Dolphin, le pub du coin. Nous entrons tous les quatre et à ma grande surprise je tombe nez à nez avec Mary ; fatalement on ne parle que de notre découverte et elle me raconte que son père a voulu lui confisquer sa part. Du coup le Maire a déposé l’argent sur un compte bloqué jusque sa majorité. « Lorsque j’ai touché mes 193.000 livres, j’en ai donné la moitié à mon père, mais je crois qu’il t’en a toujours voulu et je ne raconte pas les dizaines de fois où j’ai dû rétablir la vérité au sujet de notre mirifique trouvaille. »

    À peine rentrés à la maison, les enfants me demandent d’organiser une chasse au trésor. Avec l’assentiment d’Emma, mon épouse, j’ai donc loué trois détecteurs.

    Et dans l’après-midi, avec l’accord d’un paysan local, nous avons commencé à trois de front d’ausculter un champ fraîchement labouré. Les sillons de glaise fraîche étaient d’un abord assez malaisé. Le plus jeune de mes fils, Louis, s’arrête et commence frénétiquement à creuser avec sa petite truelle. « Dis papa, cria-t-il, c’est comment de l’or ». Intrigué, au lieu de lui répondre, je suis revenu sur mes pas. Chance du débutant (comme moi la décennie précédente) il venait de mettre au jour sept torques gaulois, ces colliers d’or torsadés avec deux grosses boules aux extrémités que portaient les princes celtes. On va les ranger précautionneusement sur le talus herbeux bordant le champ en cet endroit et on achève la ligne jusque l’extrémité du labour. On trouva encore six statères des Durotriges en bas or (électrum) monnayage assez courant dans cette région de l’Angleterre. Les enfants fatigués de crapahuter dans la glaise glissante sont d’accord pour arrêter. Il faut encore reporter les appareils de détection et le matériel loué. Nous sommes revenus prendre les torques. Il n’en restait que six, une personne indélicate en avait volé un, heureusement pas le plus beau. Je suis allé au bureau de police de Tauton déclarer la trouvaille comme la décennie précédente, j’y ai déposé le butin de Louis,  pas peu fier de faire sa déposition. Il a expliqué en long et en large sa trouvaille, donné les coordonnées du fermier qui nous avait si gentiment donné son autorisation, et bien sûr il dit au constable que même on en avait volé un, c’est pour ça qu’on n’en amène que six. « Ah, me dit l’agent, c’est bizarre on vient juste de nous en déposer un, et la déclaration de trouvaille est très confuse. Je n’en avais jamais vu avant aujourd’hui. Je suppute que c’est celui qui manque à votre inventaire ». Au même moment, le père de Mary sort accompagné du chef de la police, lequel m’apostropha, « Ah monsieur Jean, quelle bonne nouvelle nous apportez-vous ? » Je lui explique la trouvaille de mes enfants, il se retourne vers le père de Mary.

    — Si je comprends bien après avoir essayé de déposséder monsieur Jean de sa trouvaille, c’est à ses enfants que vous vous attaquez cette fois.

    Le père de Mary sortit sans dire un mot. Le chef remit les sept torques ensemble : – Je vais m’occuper de prévenir le fermier de la chance qu’il a, car votre passage chez lui se termine avec succès. Je vous souhaite de bonnes vacances monsieur Jean, et à vous aussi les jeunes. Les enfants pourront, dès leur retour au bercail, conter les mille et une péripéties de leur chasse au trésor en Angleterre. Ils auront le plaisir, un peu malsain soit, mais bien excusable, de rendre jaloux tous les enfants du quartier, y compris leurs camarades de classe.

     

    Sur ces bonnes paroles, nous somme retournés au gîte où mon épouse nous attendait pour souper. Des crêpes nous avait-elle dit.

     

     

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