Répondre à : DEGANDT, Alain – La Drôlatique histoire du roi inuit allant visiter ses terres (Fable moderne)

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#159739
Alain DegandtAlain Degandt
Participant

    LA DRÔLATIQUE HISTOIRE DU ROI INUIT ALLANT VISITER SES TERRES

     

     

    Jadis, il y a de cela belle lurette,

    Un grand roi inuit

    De bonne grâce obéissant

    Aux tortueuses lois

    Qui, par l’effet conjugué

    D’alliances subtiles entre familles bien nées

    Et de vénales manigances de notaires,

    Régissent les destinées des têtes couronnées,

    D’un vaste domaine oublié,

    Perdu aux confins d’une ancienne province,

    Hérita. Les humbles fonctionnaires

    Chaque soir adressent à l’État

    Une laïque prière,

    Afin qu’en ce désert on ne les mute pas,

    Tant prospèrent ici-bas la ronce et les calvaires !

     

    Or, de toute sa vie, cet esquimau de prince

    Ne s’était guère éloigné de son igloo de maison,

    Que pour chasser le phoque et le petit ourson.

    Ignorant tout du cycle des saisons

    Qui en nos lieux tempérés règle les affaires,

    C’est au milieu de notre rude hiver

    Qu’il fit affréter attelage,

    Afin de prendre possession

    De son magnifique héritage.

     

    Le voyage ne manqua pas d’incidents,

    Le chemin était si long depuis le pôle !

    En montant en voiture, il se démit l’épaule ;

    En mordant sur un clou, il se cassa les dents.

    Sur les flots agités de la Mer Baltique

    Son navire heurta un cargo de barriques.

    À Copenhague, dit-on,

    En plein cœur de la nuit,

    Il fut courtisé sans façons

    Par une sirène en folie…

    Afin de ne pas lasser l’attention du lecteur

    Je passe des épisodes, et des meilleurs !

     

    À l’entrée de son domaine

    Il arriva enfin, tout fourbu,

    Content d’être vivant

    Mais contre les dieux en rage !

     

    Et en bien piteux équipage.

    Jugez-en plutôt : son cocher

    Ressemblait à s’y méprendre

    À un bandit de grand chemin

    Qu’on aurait poursuivi pour le pendre !

     

    Ses valets, deux nigauds,

    Qu’on aurait cru rentrés de stage

    Tout de go,

    Du royaume de Naples et des Deux-Siciles,

    Où, foin d’omerta,

    Chacun sait, comme moi,

    Qu’un peuple indocile

    Règle à coups de couteau,

    Si ce n’est de fusil,

    De futiles querelles de voisinage,

    Ses valets, vous dis-je,

    Semblaient deux loups malingres

    En quête d’un plumage.

     

    Ses chevaux, épuisés,

    Avaient tout de Rossinante

    Et plus rien de fringants destriers !

     

    Ses habits étaient défaits,

    Tout crottés, dépareillés, dépenaillés.

     

    Lui, était amaigri et débraillé,

    Sa mine était grise et son teint délavé.

    Son regard, éteint, traînait à la dérive

    Et son esprit, en rade,

    Lui donnait l’air hagard

    D’un voyageur perdu sur le quai d’une gare.

     

    Après s’être escrimés

    Un quart d’heure durant

    En vains ronds de jambe

    Ridicules courbettes

    Et viles salamalecs

    Devant notre roi sans divertissement

    Qui ne faisait que bâiller en les regardant,

    Deux obséquieux domestiques

    S’avisèrent soudain

    De l’urgente nécessité

    D’ouvrir à deux battants

    La grille en fer forgé

    Qui solennellement dressait sa rouille

    Au milieu des orties, des chardons, du chiendent

    Et des genêts à fumer les andouilles.

     

    Suant, soufflant, sifflant,

    Retenant et poussant

    Vaille que vaille,

    À hue et à dia tirant,

    Au nez des chevaux impatients,

    Nos deux fourbes laquais

    Parvinrent non sans mal

    À forcer le loquet

    Qui tenait bien fermé le portail.

     

    Quand il s’ouvrit,

    Un cri sinistre retentit

    Et par toute la campagne

    Se répandit :

    On eût dit le contre ut

    D’une diva d’opéra

    Ou le râle du boxeur

    Frappé par l'uppercut.

    Le royal convoi, délivré, s'ébranla.

     

    Pénétrant plus avant dans son domaine,

    Le roi fut pris d'un vrai ravissement !

    Car malgré le froid saisissant,

    Qui lui rappelait vaguement

    Le cœur de l'été polaire,

    Il put admirer tout un camaïeu de vert

    Qui se répandait par la nature entière !

    La mousse et les lichens

    Recouvraient chaque branche

    De leur perfide matière.

    Le lierre grimpant escaladait les troncs

    Et en vampirisait la sève dormante

    Pour le plus grand plaisir des yeux.

    Des lianes étouffantes

    Étranglaient de leurs nœuds

    Les pousses les plus récentes.

    La vermine habitait les fentes et les souches

    Et tous les parasites y avaient fait leur couche,

    Se sentant bénis des dieux.

    Les arbres portaient à bout de bras

    D'énormes boules, d'un vert luisant,

    Agrémentées de perles de nacre,

    Sous lesquelles des couples de jeunes gens

    À bouche que veux-tu

    S'embrassaient goulûment,

    Tandis que des prêtres barbus,

    Armés d'une serpette,

    Faisaient de ce trésor

    De fameuses emplettes !

     

    Absolument époustouflé,

    Émerveillé et subjugué,

    Le roi tint à féliciter

    Le jardinier qui, par son grand art,

    Avait si bien conçu et entretenu

    Ce foisonnant et vivant bazar.

     

    On envoya chercher l'artiste.

     

    Ce n'est qu'après avoir fouillé

    Vingt ateliers, cinq serres et cent remises,

    Qu'on dénicha cet effronté,

    Batifolant en simple chemise

    Dans une grange à foin

    Où, foin du qu'en-dira-t-on,

    Sans vergogne il lutinait

    Les jupons

    D'une Margot, d'une Suzon

    Dont les chevilles étaient exquises.

    Sans ménagements il fut extrait

    De ses joyeux ébats

    Et manu militari

    Jusqu'à Sa Majesté fut conduit.

     

    D'un violent coup de pied

    Judicieusement placé,

    Devant le roi

    On l'invita fermement à s'incliner.

     

    Face contre terre,

    Le soulier d'un laquais coincé entre les deux épaules,

    Le drôle fut anobli et élevé

    Au rang de Grand Maître de la Jarretière

    Et Autres Fariboles,

    Ce qui, entre nous soit-dit,

    Lui fit une belle guibolle.

     

    Le soulier du laquais se faisant plus pressant,

    Le manant remercia le roi

    Par d'inaudibles paroles

    (La boue du chemin obstruait son gosier).

    Et, sans plus tarder, le royal convoi

    De nouveau s'ébranla.

     

    Plus on s'approchait

    De la Cour d'Honneur,

    Plus les arbres perdaient

    De leur foisonnante vigueur.

     

    Bientôt on ne vit plus

    La moindre tache de verdure.

    Et l'entière Nature

    Avait partout perdu sa luxuriante parure :

    Amputés, rabougris, squelettiques,

    Allées, parterres et portiques

    Étaient affligés de formes géométriques.

    Lignes droites, sphères et fuseaux,

    Tout semblait tracé et taillé au cordeau.

    Plus de fantaisie pour rêver à loisir,

    Plus de coussinets où poser le regard.

    La Sévérité et ses grinçants ciseaux,

    Associée à la Mort et son austère faux,

    Régnaient ici en maîtres

    Et vous glaçaient les os.

     

    Offusqué qu'on l'eût mené

    Au cœur de cette désolation

    Qui plongeait l'âme humaine

    En un cafard profond

    Et vous mettait les nerfs à vif,

    D'un geste sec et peu amène

    Sa Majesté ordonna de ses chevaux l'arrêt

    Et demanda qu'on lui amène,

    Sur le champ, mort ou vif,

    L'indigne énergumène, le fautif,

    Coupable d'avoir estropié ses massifs.

     

    Inutile cette fois d'aller en bande

    Par tout le domaine

    Quérir sous les châlits,

    Derrière les fagots

    Ou dans des coins bizarres,

    Le jardinier maudit

    Qu'un funeste destin,

    Qu'un malheureux hasard,

    Avait placé en travers

    Du chemin d'un monarque,

    Venu du diable vauvert

    Piétiner ses plates-bandes :

     

    Il était planté là,

    À deux pas du carrosse,

    Comme un fiancé falot

    Au matin de ses noces.

    Car pris d'une frénésie quasi hystérique

    À l'annonce de cette royale visite,

    Il avait intrigué

    Et s'était ingénié

    Par cent ruses diverses,

    Stratagèmes pervers,

    À se faire inviter,

    Afin de s'approcher

    De ce prince exotique

    Et vanter ses mérites,

    Dans l'espoir chimérique

    D'obtenir de Sa Très Gracieuse Majesté

    Une charge, Un diocèse,

    Un domaine, Un titre.

     

    Sa révérence exécutée,

    Et par sept fois renouvelée,

    Il restait humblement prosterné,

    Chapeau bas, genou plié,

    L'air timide, mains croisées,

    Tremblant comme feuille de peuplier

    Sous la bourrasque de septembre.

     

    Puis il tint en rougissant

    Cet émouvant discours au roi :

    «  – J'attire, bredouilla-t-il, respectueusement

    L'attention de Votre Majesté

    Sur l'envergure des travaux

    Que quotidiennement

    Entreprennent Vos gens,

    Afin que les rigueurs de nos frimas

    N'affectent par trop l'agencement

    Ni l'harmonie qui président,

    Depuis des siècles,

    À l'excellente renommée

    Ainsi qu'à la préservation

    De Votre royal domaine.

    Et ce, grâce à la pointilleuse attention

    Que lui a toujours portée la lignée

    De Vos illustres ancêtres

    Et aux soins scrupuleux

    Prodigués par leurs fidèles sujets.

     

    Aussi est-ce avec fierté

    Que je présente à Votre Majesté

    Les fruits de notre soumission

    D'hommes-liges,

    Avec l'espoir qu'ils sauront

    À Votre Grâce complaire.»

     

    Le roi se frotta d'abord les yeux

    Car il eut peine à croire

    Ce qu'il venait de reluquer.

     

    Puis il introduisit chacun de ses auriculaires

    Dans chacun de ses conduits auditifs,

    Qu'avec vigueur il ramona

    Car il eut peine à croire ce qu'il venait d'esgourder.

     

    [Remarque du narrateur : il exécuta cette basse besogne lui-même et sans le secours d'une main experte, contrairement à l'accoutumée et vu l'urgence, ne trouvant pas de chambrière à portée de sceptre pour la faire exécuter à sa place, dans cet environnement hostile et retiré de tout. « – À la guerre, comme à la guerre !» fut sa pensée profonde du jour, que s'empressa de noter son tabellion.]

     

    Ces deux exercices accomplis,

    Il se persuada qu'il n'avait pas rêvé :

    On venait de se moquer de Sa Royale Personne,

    Et ce, de façon éhontée.

    Nous étions à n'en point douter

    Devant un crime de lèse-majesté.

    Il fallait, sans coup férir,

    Sévir, sous peine de perdre la face.

    Il fallait mettre fin à cette farce

    Qui avait assez duré.

     

    Un tribunal fut illico constitué.

    Le roi y tiendrait tous les rôles,

    À l'exception notoire

    De celui de prévenu.

     

    Il déclara ouverte la séance,

    En procédure de délit flagrant.

     

    Le Procureur-Roi

    Prononça le réquisitoire.

     

    De bonne foi, ne trouvant

    Aucune circonstance atténuante,

    Il demanda l'application

    De la peine capitale.

     

    L'Avocat-Roi dut s'absenter pour une affaire urgente,

    Pile au moment de sa plaidoirie.

     

    Les jurés ne reçurent leur convocation

    Qu'à la fin de la semaine pascale,

    Soit trois mois francs

    Après le jugement,

    Ce, en raison des nombreuses escales

    Que s'octroya la malle-poste

    Pour accomplir sa mission,

    Selon l'officielle version.

     

    Le Juge-Roi fut contraint, on le comprend,

    De faire, séance tenante,

    Procéder à l'exécution :

     

    Par son bourreau Scipion,

    Dépêché tout exprès de son septentrion,

    Au jardinier infâme il fit trancher la tête.

    • Schlak !

     

    Sans plus de fioritures

    Le chou du jardinier

    S'en vint choir dans la sciure.

     

     

    De cette affligeante mésaventure

    Retenons bien ces deux leçons :

     

    La première, que depuis l’enfance nous savons,

    Est que l’habit point ne fait le moine,

    Pas plus que l’aronde le printemps

    Et que jamais nous ne devons

    Juger sur la mine, ni les arbres, ni les gens,

    Ni les objets, hormis peut-être les crayons,

    Si chatoyants soient-ils dans les vitrines.

     

    La seconde nous exhorte

    À ne point trop flatter

    Les puissants de ce monde

    Ni à leur obéir plus qu’il n’est de raison.

    Ils sont si impatients,

    Capricieux, versatiles !

    Ils vous feraient,

    Sans autre forme de procès,

    Devenir chèvre,

    Tourner en bourrique,

    Perdre le Nord,

    Qui sait ? Voire même perdre la vie !

     

    Passez inaperçu,

    Faites-vous oublier !

    Car ne vous connaissant

    Ni d’Ève ni d’Adam,

    Ces très grands personnages,

    Du haut de leur perchoir,

    Ne se donneront pas même

    La peine de vous voir !

     

    Et de votre jeunesse

    Jusqu’à votre grand âge

    Ils vous ficheront – quel régal ! –

    Une paix on ne peut plus royale !

     

     

     

     

    © Alain DEGANDT – Octobre-Novembre 2016 – Tous droits réservés

     

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