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Christine SétrinChristine Sétrin
Participant

    DIVERS – Un bouquet de nénuphars poétiques

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    Edmond Rostand – Les Nénuphars (Extrait du recueil Les Musardises)

    L’étang dont le soleil chauffe la somnolence
    Est fleuri, ce matin, de beaux nénuphars blancs ;
    Les uns, sortis de l’eau, se dressent tout tremblants,
    Et dans l’air parfumé leur tige se balance.

    D’autres n’ont encor pu fièrement émerger :
    Mais leur fleur vient sourire à la surface lisse.
    On les voit remuer doucement et nager :
    L’eau frissonnante affleure aux bords de leur calice.

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    Louis Dantin – Le Nénuphar (Extrait du recueil Le Coffret de Crusoë)

    Le marais s'étend là, monotone et vaseux,
    Plaine d'ajoncs rompus et de mousses gluantes,
    Immonde rendez-vous où mille êtres visqueux
    Croisent obscurément leurs légions fuyantes.

    Or, parmi ces débris de corruptions lentes,
    On voit, immaculé, splendide, glorieux,
    Le nénuphar dresser sa fleur étincelante
    Des blancheurs de la neige et de l'éclat des cieux.

    Il surgit, noble et pur, en ce désert étrange,
    Écrasant ces laideurs qui le montrent plus beau,
    Et, pour lui faire un lit sans tache en cette fange,

    Ses feuilles largement épandent leur rideau,
    Et leur grand orbe vert semble être, au fil de l'eau,
    Un disque d'émeraude où luit une aile d'ange.

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    Armand Silvestre – Nénuphars (Extrait du recueil Les Renaissances)

    Sur l’eau morte et pareille aux espaces arides
    Où le palmier surgit dans les sables brûlants,
    Le nénuphar emplit de parfums somnolents
    L’air pesant où s’endort le vol des cantharides.

    Sur l’eau morte à l’aspect uni comme les flancs
    D’une vierge qui montre aux cieux son corps sans rides,
    Le nénuphar, nombril des chastes néréides,
    Creuse la lèvre en fleur de ses calices blancs.

    Sur l’eau morte entr’ouvrant sa corolle mystique,
    Le nénuphar apporte un souvenir antique :
    — Vénus marmoréenne, éternelle Beauté,

    Ton image me vient de l’immobilité,
    Et sous ton front poli je vois tes yeux de pierre,
    Comme les nénuphars profonds et sans paupière.

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    Barbey d'Aurevilly – Les Nénuphars (Extrait du recueil Poussières)

    À la baronne de B…
     
    Allons ! bel oiseau bleu, venez chanter
    votre romance à Madame…
    Suzanne.

    « Vous ne mettrez jamais dans votre
    « Flore amoureuse, le Nénuphar blanc
    « qui s’appelle… »
    Une première lettre.

    Nénuphars blancs, ô lys des eaux limpides,
    Neige montant du fond de leur azur,
    Qui, sommeillant sur vos tiges humides,
    Avez besoin, pour dormir, d’un lit pur ;
    Fleurs de pudeur, oui ! vous êtes trop fières
    Pour vous laisser cueillir… et vivre après.
    Nénuphars blanc, dormez sur vos rivières,
            Je ne vous cueillerai jamais !

    Nénuphars blancs, ô fleurs des eaux rêveuses,
    Si vous rêvez, à quoi donc rêvez-vous ?…
    Car pour rêver il faut être amoureuses,
    Il faut avoir le cœur pris… ou jaloux ;
    Mais vous, ô fleurs que l’eau baigne et protège,
    Pour vous, rêver… c’est aspirer le frais !
    Nénuphars blancs, dormez dans votre neige !
            Je ne vous cueillerai jamais !

    Nénuphars blancs, fleurs des eaux engourdies
    Dont la blancheur fait froid aux cœurs ardents,
    Qui vous plongez dans vos eaux détiédies
    Quand le soleil y luit, Nénuphars blancs !
    Restez cachés aux anses des rivières,
    Dans les brouillards, sous les saules épais…
    Des fleurs de Dieu vous êtes les dernières !
            Je ne vous cueillerai jamais !

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    Edmond Haraucourt – Le Nénuphar (Extrait du recueil L'Âme nue)

    À Luigi Loir

    L’air s’embrume : les joncs, roux comme de vieux os,
    Encadrent l’étang noir qui dort sous le silence.
    L’eau plate luit dans une opaque somnolence
    Où le ciel renversé fait glisser des oiseaux.

    Et là-bas, loin des bords gluants, loin des roseaux,
    Seul, bercé dans sa fière et souple nonchalance,
    Un Nénuphar, splendeur nageante, se balance,
    Tout blanc sur la noirceur immobile des eaux.

    — Ainsi, tu t’ouvriras peut-être, un soir d’automne,
    Ô mon suprême amour, espoir d’un cœur atone,
    Fleur triste et froide éclose au lac de mes ennuis.

    Et le chaste parfum de ta corolle pâle
    Montera dans le calme insondable des nuits,
    Avec le dernier cri de ma douleur qui râle.

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    Georges Rodenbach – Nénuphar (Extrait du recueil La Jeunesse blanche)

    Sur le canal, parmi des herbes otieuses,
    Un nénuphar vit en exil, comme étranger,
    Mais si plein, dirait-on, de choses précieuses
    Qu’il se tient coi sur l’eau trouble et n’ose bouger.
    Ah ! cet air blanc de Première Communiante,
    Cet air de guimpe close aux doux plis tuyautés
    Et ces linges plus intimes, jamais ôtés,
    Dont l’adhérence stricte est certe anémiante
    Mais le font presque un peu plus vierge et sans péché !
    Nénuphar : chair candide et qui n’est pas nubile,
    Corps dont rien ne s’avère en la robe immobile,
    Nénuphar tout pieux et tout endimanché

    Qui semble attendre, avec la peur qu’un pli se froisse,
    Que la Procession en passant l’ait cueilli
    — Lui tout en blanc et par avance recueilli ―
    Pour faire dans l’encens le tour de la paroisse !
    Nénuphar ! innocence unanime, âme et corps !
    Fleur digne d’escorter la Madone et la Châsse ;
    Aussi chastement blanche au dedans qu’au dehors ;
    Fleur qu’on devine bien toute en état de grâce.

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    Stéphane Mallarmé – Le Nénuphar blanc (Extrait du recueil Vers et prose)

    J’avais beaucoup ramé, d’un grand geste net et assoupi, les yeux au dedans fixés sur l’entier oubli d’aller, comme le rire de l’heure coulait alentour. Tant d’immobilité paressait que frôlé d’un bruit inerte où fila jusqu’à moitié la yole, je ne vérifiai l’arrêt qu’à l’étincellement stable d’initiales sur les avirons mis à nu, ce qui me rappela à mon identité mondaine.

    Qu’arrivait-il, où étais-je ?

    Il fallut, pour voir clair en l’aventure, me remémorer mon départ tôt, ce juillet de flamme, sur l’intervalle vif entre ses végétations dormantes d’un toujours étroit et distrait ruisseau, en quête des floraisons d’eau et avec un dessein de reconnaître l’emplacement occupé par la propriété de l’amie d’une amie, à qui je devais improviser un bonjour. Sans que le ruban d’aucune herbe me retînt devant un paysage plus que l’autre chassé avec son reflet en l’onde par le même impartial coup de rame, je venais échouer dans quelque touffe de roseaux, terme mystérieux de ma course, au milieu de la rivière : où tout de suite élargie en fluvial bosquet, elle étale un nonchaloir d’étang plissé de hésitations à partir qu’a une source.

    L’inspection détaillée m’apprit que cet obstacle de verdure en pointe sur le courant, masquait l’arche unique d’un pont prolongé, à terre, d’ici et de là, par une haie clôturant des pelouses. Je me rendis compte. Simplement le parc de Madame.., l’inconnue à saluer.

    Un joli voisinage, pendant la saison, la nature d’une personne qui s’est choisi retraite aussi humidement impénétrable ne pouvant être que conforme à mon goût. Sûr, elle avait fait de ce cristal son miroir intérieur à l’abri de l’indiscrétion éclatante des après-midis ; elle y venait et la buée d’argent glaçant des saules ne fut bientôt que la limpidité de son regard habitué à chaque feuille.

    Toute je l’évoquais lustrale.

    Courbé dans la sportive attitude où me maintenait de la curiosité, comme sous le silence spacieux de ce que s’annonçait l’étrangère, je souris au commencement d’esclavage dégagé par une possibilité féminine : que ne signifiaient pas mal les courroies attachant le soulier du rameur au bois de l’embarcation, comme on ne fait qu’un avec l’instrument de ses sortilèges.

    « — Aussi bien une quelconque.. » allais-je terminer.

    Quand un imperceptible bruit me fit douter si l’habitante du bord hantait mon loisir, ou inespérément le bassin.

    Le pas cessa, pourquoi ?

    Subtil secret des pieds qui vont, viennent, conduisent l’esprit où le veut la chère ombre enfouie en de la batiste et les dentelles d’une jupe affluant sur le sol comme pour circonvenir du talon à l’orteil, dans une flottaison, cette initiative par quoi la marche s’ouvre, tout au bas et les plis rejetés en traîne, une échappée, de sa double flèche savante.

    Connaît-elle un motif à sa station, elle-même la promeneuse : et n’est-ce, moi, tendre trop haut la tête, pour ces joncs à ne dépasser et toute la mentale somnolence où se voile ma lucidité, que d’interroger jusque-là le mystère.

    « — À quel type s’ajustent vos traits, je sens leur précision, Madame, interrompre chose installée ici par le bruissement d’une venue, oui ! ce charme instinctif d’en dessous que ne défend pas contre l’explorateur la plus authentiquement nouée, avec une boucle en diamant, des ceintures. Si vague concept se suffit : et ne transgresse point le délice empreint de généralité qui permet et ordonne d’exclure tous visages, au point que la révélation d’un (n’allez point le pencher, avéré, sur le furtif seuil où je règne) chasserait mon trouble, avec lequel il n’a que faire. »

    Ma présentation, en cette tenue de maraudeur aquatique, je la peux tenter, avec l’excuse du hasard.

    Séparés, on est ensemble : je m’immisce à de sa confuse intimité, dans ce suspens sur l’eau où mon songe attarde l’indécise, mieux que visite, suivie d’autres, ne l’autorisera. Que de discours oiseux en comparaison de celui que je tins pour n’être pas entendu, faudra-t-il, avant de retrouver aussi intuitif accord que maintenant, l’ouïe au ras de l’acajou vers le sable entier qui s’est tu !

    La pause se mesure au temps de ma détermination.

    Conseille, ô mon rêve, que faire ?

    Résumer d’un regard la vierge absence éparse en cette solitude et, comme on cueille, en mémoire d’un site, l’un de ces magiques nénuphars clos qui y surgissent tout à coup, enveloppant de leur creuse blancheur un rien, fait de songes intacts, du bonheur qui n’aura pas lieu et de mon souffle ici retenu dans la peur d’une apparition, partir avec tacitement, en déramant peu à peu sans du heurt briser l’illusion ni que le clapotis de la bulle visible d’écume enroulée à ma fuite ne jette aux pieds survenus de personne la ressemblance transparente du rapt de mon idéale fleur.

    Si, attirée par un sentiment d’insolite, elle a paru, la Méditative ou la Hautaine, la Farouche, la Gaie, tant pis pour cette indicible mine que j’ignore à jamais ! car j’accomplis selon les règles la manœuvre : me dégageai, virai et je contournais déjà une ondulation du ruisseau, emportant comme un noble œuf de cygne, tel que n’en jaillira le vol, mon imaginaire trophée, qui ne se gonfle d’autre chose sinon de la vacance exquise de soi qu’aime, l’été, à poursuivre, dans les allées de son parc, toute dame, arrêtée parfois et longtemps, comme au bord d’une source à franchir ou de quelque pièce d’eau.

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