Répondre à : IBSEN, Henrik – Peer Gynt (Acte V, Scène finale)

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#152848

HENRIK IBSEN
PEER GYNT

Poème dramatique en cinq actes
traduit du norvégien
par le comte Prozor
1899
1

Scène finale

 



Le jour commence à poindre.
Peer Gynt s’approche de la cabane.

PEER GYNT

Mes affaires, c'est là que je les règlerai.

De quelque côté qu'on se tourne,
c'est toujours la même chose.
Non ! C'est trop de misère, trop de désolation
que de rentrer chez soi pour en ressortir ainsi !
Fais le tour, disait le Courbe !
Non. Cette fois-ci, j'irai tout droit, quel que soit le chemin !

Solveig sort de la maison, en habit de dimanche,
tenant un livre de cantiques enveloppé d'un mouchoir.

Un bâton à la main, elle se dresse svelte et douce.

Peer Gynt se laisse tomber sur le seuil de la maison.

PEER GYNT

Parle et prononce la sentence du pécheur !

SOLVEIG

C'est lui ! C'est lui ! Béni soit le Seigneur!

PEER GYNT

Plains-toi ! Reproche-moi mes torts et mes péchés !

SOLVEIG

Je ne te connais aucun tort, ô mon unique amour !

PEER GYNT

Ah ! Crie bien haut tous mes forfaits !

SOLVEIG

Ô toi qui de ma vie as fait un chant d'amour !
Sois béni d'être revenu près de moi.
Et béni soit Pâques-aux-Roses qui te ramène ici !

PEER GYNT

Ah ! je suis perdu !

Oui, perdu,
à moins toutefois que tu ne saches deviner les énigmes !

SOLVEIG

Parle.

PEER GYNT

Eh ! oui ! Je vais parler ! Écoute !
Peux-tu me dire où a été Peer Gynt depuis que tu ne l'as vu ?

SOLVEIG

Où il a été ?

PEER GYNT

Oui, où était-il, tel que Dieu l'a marqué du sceau de la prédestination,
tel qu'il est éclos de la pensée divine ?
Peux-tu me le dire ?
Sinon il me faut rentrer d'où je suis sorti,
disparaître dans le pays des brumes.

SOLVEIG

Oh ! l'énigme est facile à résoudre.

PEER GYNT

Allons ! Dis ce que tu penses !
Où étais-je moi-même, dans ma plénitude et dans ma vérité ?
Où étais-je, tel que je fus marqué du sceau divin ?

SOLVEIG

Dans ma foi, dans mon espérance, dans mon amour.

PEER GYNT
Que dis-tu ? Ah ! Tais-toi !
Ce ne sont là que paroles enjôleuses.
Tu parles d'un enfant qui ne vit qu'en toi,
qui par toi seule existe, qui n'a qu'une mère.

SOLVEIG

Mais oui, c'est bien mon enfant.
Mais n'a-t-il donc pas de père ?
Si ! Son père est celui qui pardonne,
cédant aux instances de la mère.

PEER GYNT

Ma mère ! Mon épouse ! Ô Vierge sans tache !
Cache-moi, cache-moi sur ton sein !

SOLVEIG (chante doucement)

Schlaf, du treuester Knabe mein!2
Dors en paix, mon petit enfant.

Ich will wiegen mein Kind und wachen.
Je vais te bercer doucement.

Still im Schoße hat's gelauscht dem Sang.
L'enfant rit et joue au bras de sa mère.

Mit mir gespielt hat es sein Lebtage lang.
Ils passent ensemble une vie entière.

An seiner Mutter Brust mag gern es sein
All sein Lebtage lang. Gott segne es fein !
An meinem Herzen laß ich's gerne ruhn
All sein Lebtage lang, so müd ist es nun.
Schlaf du treuester Knabe mein !
Ich will wiegen mein Kind und wachen !

L'enfant sur mon sein sourit et s'endort.
Que la vie est bonne, ô mon doux trésor !
L'enfant a penché sa tête lassée
Sur mon cœur. Ainsi la vie est passée.
Je te bercerai, mon enfant ;
Sur mon cœur repose en rêvant.

FIN

Gilles-Claude Thériault
23 novembre 2010


 


 

1 Henrik Ibsen, Peer Gynt, poésie dramatique en cinq actes.
   Traduit par le comte Prozor. Perrin et Cie, Libraires-Éditeurs, Paris, 1899.

  

2 Edvard Grieg, Berceuse de Solveig, Suite Peer Gynt.

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