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#152115

XXV

Le rapport d’autopsie se trouvait entre les mains du commandant Licci. Luigi

Antonioni, directeur de la sécurité de la région de Vénétie, le commissaire Genaro

Biasini, patron des polices de Venise, ainsi que les deux gendarmes français

l’avaient rejoint dans son bureau. Tout ce beau monde analysa chaque terme du

document avec minutie. Le compte rendu du médecin légiste s’étendait sur un

double feuillet, le moindre détail y était consigné.

Ces hommes, rompus aux crimes les plus atroces et parfois les plus insolites,

manifestèrent une certaine surprise à la lecture de certains paragraphes rédigés par

le spécialiste post mortem. L’expertise précisait que la rupture de deux vertèbres

cervicales avait provoqué le décès et la mort avait été instantanée. La jeune femme

avait succombé quelques instants avant de se balancer au bout du filin. Les policiers

refirent dans leurs têtes les gestes de l’assassin. Ils en conclurent qu’il avait enchaîné

très rapidement l’exécution et l’installation de la victime sur le câble.

Cette dernière avait absorbé une quantité importante de champagne et pris

de la cocaïne. Le commandant Licci, qui lisait à haute voix pour ses confrères et

supérieurs, se hasarda à un commentaire. Sa surprise ne provenait pas de cette

révélation. Un grand nombre de personnes de cette génération consommait des

drogues et les doses variaient selon le milieu du consommateur. Par ailleurs, la

colombine n’avait subi aucune violence sexuelle. Cependant, son étonnement

résidait dans la découverte de deux boules de geishas dans le vagin de la jeune

femme.

Ses collègues, stupéfaits par cette découverte, estimèrent que cet élément

apportait un éclairage nouveau à l’affaire. Une photo était jointe au rapport et

chacun put voir deux boules rouges, de la grosseur d’une bille de flipper, reliées par

un cordon et posées à côté du string blanc de la victime. Les enquêteurs,

interloqués, se regardèrent. Certains ne connaissaient pas cet accessoire sexuel.

Licci, plus documenté que ses confrères, fournit des précisions sur l’usage

qu’en faisaient les courtisanes japonaises. Contrairement à une idée répandue, les

hommes les introduisaient dans leur propre anus. Le déplacement des billes à

l’intérieur des sphères provoquait une excitation et une sensation au niveau de la

prostate. Les Italiens ne se privèrent pas d’ajouter des commentaires imagés, les

boules de geishas exacerbaient les fantasmes masculins. Depuis, elles étaient

devenues des gadgets féminins et leur utilisation ne se cantonnait pas à un seul

orifice, tous les usages pouvaient être envisagés.

L’enquête prenait un tournant imprévu. Cette information modifiait

l’approche du crime, car il ne s’agissait plus d’un incident d’ordre touristique. Les

policiers italiens décidèrent d’orienter leurs investigations vers le monde de la nuit

et surtout celui de la prostitution de luxe.

Sagol et Gilles adhéraient à ce raisonnement, mais leur prudence légendaire

leur soufflait de ne pas abandonner les autres pistes. La vérité pouvait se cacher

derrière des apparences ou un mensonge insoupçonnable, il convenait de se méfier

des évidences.

Les call-girls ciblaient une clientèle huppée et l’inconnue du campanile

pouvait appartenir à un réseau sévissant à Venise pendant la période du carnaval.

Sagol et Gilles cogitaient depuis un moment et, pour eux, ce scénario ne collait pas.

Les prostituées de luxe ne se promenaient pas dans la cité des Doges avec des

boules de geishas dans le bas-ventre. La rue ne constituait pas leur terrain de

chasse ; ce genre de service était tarifé et pratiqué dans les palaces. À l’évidence, il

s’agissait d’autre chose. Les deux gendarmes ne voulaient pas froisser leurs

homologues et ils choisirent le moment opportun pour leur faire part de leurs

hypothèses.

Les Italiens décidèrent de faire un tour de table pour confronter les divers

points de vue. Gilles s’exprima le premier. Au fil des années, il avait pris de

l’assurance. Il abonda longuement dans le sens de ses amis transalpins et, en bon

diplomate, il se permit d’émettre un avis plus personnel. Il disséqua chaque thèse et

mit en parallèle l’argument le plus favorable et l’objection la plus pertinente. Il

voulait amener ses auditeurs à son avis sans vexer quiconque.

Ce diable d’homme fit mouche lorsqu’il aborda la perspective d’une

organisation structurée. Le jouet des courtisanes japonaises posait problème. Une

call-girl s’amusant ainsi en plein carnaval paraissait peu probable et tous en

convinrent. Il restait à comprendre pour quelle raison la mort avait surpris la

coquine colombine en haut du campanile.

Gilles passa le relais à son ami Sagol qui embraya sur les proxénètes

originaires des anciens états du bloc soviétique. Il rejeta lui aussi cette supposition

en expliquant que les méthodes mafieuses de ces individus se révélaient plus

cruelles. Les tortures qu’ils infligeaient s’inspiraient des triades chinoises, mais sans

ses raffinements. Le chantage aux enfants restés au pays demeurait la première

arme dissuasive. Cependant, elle était rapidement relayée par une élimination

radicale, perpétrée selon une mise en scène digne des pires films d’horreur, afin de

terroriser les autres filles. L’empathie n’effleurait même pas ces barbares, alors que

l’exécuteur de l’inconnue du campanile avait fait preuve d’un certain romantisme.

La coopération se trouva renforcée après l’intervention remarquée des deux

gendarmes. Leur esprit d’analyse, de synthèse et leurs propositions séduisirent leurs

collègues transalpins. Les deux hommes venaient de gagner l’estime et l’amitié des

responsables vénitiens. Désormais, ils travailleraient main dans la main.

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